Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 15 mai 2003, sous le n° 03MA00953, présentée par Me A..., avocat, pour la SCI « LE LYS D'OR », dont le siège social se trouve ... ;
La SCI demande à la Cour :
1°/ d'annuler le jugement n° 99-4686 du 4 décembre 2002 par lequel le Tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à être indemnisée du préjudice financier qu'elle a subi du fait des inondations de Rognac en 1993 et 1994 ;
2°/ de condamner solidairement l'Etat français, le département des Bouches-du-Rhône, le commune de Rognac et la commune de Velaux à lui verser la somme de 1.451.436, 60 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 30 juin 1999 et capitalisation des intérêts ;
3°/ de les condamner solidairement au paiement d'une somme de 3.500 euros au titre des frais de procédure ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 mars 2006 :
- le rapport de M. Chavant, premier conseiller,
- les observations de Me Y..., substituant Me A..., pour la SCI LE LYS D'OR, les observations de Me X..., de la SCP Charrel et associés, pour la commune de Rognac, et les observations de Me Z..., de la SCP Tertian-Bagnoli, pour la commune de Velaux,
- et les conclusions de M. Firmin, commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il est constant que des pluies torrentielles se sont abattues sur la région de Rognac, Bouches-du-Rhône, le 22 septembre 1993 et du 19 au 21 octobre 1994, provoquant des inondations notamment dans la zone industrielle de Rognac Nord ; qu'il résulte de l'instruction que la SCI LE LYS D'OR, nonobstant sa domiciliation commerciale à Grasse, était propriétaire jusqu'en 1997 d'un immeuble sis dans la ZAC de Rognac Nord, à usage locatif ; que selon les pièces versées au dossier, cet immeuble a été gravement endommagé par les inondations survenues en septembre 1993 et octobre 1994 ; que la localisation du bâtiment à proximité immédiate de « l'échangeur départemental de la Tête noire », ainsi que les documents produits en appel, font apparaître que la SCI LE LYS D'OR a subi un dommage imputable à l'insuffisance du réseau d'évacuation des eaux pluviales de la ZAC, ainsi qu'au mauvais entretien des buses d'évacuation de l'ouvrage départemental routier ; qu'étant tiers par rapport à ces ouvrages, il lui appartient d'établir le lien de causalité direct entre le dommage et l'ouvrage et de justifier de son préjudice ; qu'en l'espèce, les plans et documents versés au dossier suffisent à tenir le lien pour établi ; que, par ailleurs, la SCI LE LYS D'OR produit différentes pièces qui permettent de tenir son préjudice pour certain, mais non de le chiffrer de façon précise ; que le département soutient cependant que la force majeure, comme la faute de la victime, seraient totalement exonératoires de sa responsabilité éventuelle ;
Considérant que si les premiers juges ont estimé que les pluies de septembre 1993 présentaient un caractère imprévisible et irrésistible, de nature à leur conférer la qualification d'événement de force majeure, ils ont écarté celle-ci de façon pertinente pour 1994, dès lors que les pluies exceptionnelles de 1994 n'étaient plus imprévisibles compte tenu de l'épisode pluvieux de l'année précédente ; qu'il résulte en outre de l'instruction que les pluies de 1994 n'ont pas eu la même importance et les mêmes effets ;
Considérant que s'agissant des inondations de 1993, les premiers juges ont à juste titre retenu le caractère aggravant de l'insuffisance des ouvrages publics pour limiter le rôle exonératoire de la force majeure à 50 % des conséquences dommageables du phénomène ;
Considérant, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, que les ouvrages du département des Bouches-du-Rhône, notamment l'absence d'entretien des buses d'évacuation de « l'échangeur de la Tête noire », ont contribué directement à l'aggravation des désordres, tout particulièrement pour les entreprises situées à proximité immédiate dans la ZAC comme la société requérante ; que dès lors, et nonobstant le caractère secondaire de l'aggravation due aux ouvrages départementaux, la responsabilité du département doit être partiellement retenue concurremment avec celle d'autres personnes publiques ;
Considérant que la commune de Rognac est propriétaire de la ZAC qui a été réalisée entre 1975 et 1978 par la SCI de Rognac Nord ; que la convention de ZAC conclue entre la commune et la SCI stipule, au titre des équipements publics, que l'aménageur, en coordination avec les services de la DDE, prend en charge la réalisation et le financement du recalibrage du Vallat neuf, ainsi que « l'élargissement de la RN 113 comprenant : les réseaux d'eaux pluviales » … ; que le procès-verbal de réception sans réserve du 9 mai 1978 fait également apparaître la présence de l'ingénieur des travaux publics de l'Etat « représentant la DDE, Ingénieur conseil de la commune » ; qu'enfin, les dispositions réglementaires relatives à la création des ZAC, notamment l'article R.311-11 du code de l'urbanisme, prévoyaient l'approbation expresse du préfet sur le programme et l'échéancier des ouvrages publics à réaliser ; que, par suite, ni la commune maître d'ouvrage, ni l'Etat en tant que concepteur ne peuvent s'exonérer de leur responsabilité ; qu'en particulier, l'approbation préfectorale du 15 septembre 1976 dont il est fait état n'est pas un simple visa sur des plans annexés, comme le soutient le ministre de l'équipement, mais concernait bien à l'époque le programme des équipements publics tel qu'élaboré par la DDE et réalisé par la SCI de Rognac Nord pour le compte de la commune ;
Considérant, cependant, que la commune de Rognac, en la personne de son maire, entend opposer la prescription quadriennale instaurée par l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ainsi rédigé : « sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis… » ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'aucun acte interruptif de prescription n'est intervenu entre, respectivement, les 22 septembre 1993, 23 octobre 1994 et l'enregistrement de la requête de la SCI LE LYS D'OR le 30 juin 1999 ; qu'à cette date la prescription dont s'agit était échue depuis les 31 décembre 1997 et 31 décembre 1998 ; que, par suite, la commune de Rognac est fondée à soutenir que sa responsabilité ne peut être utilement retenue ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de déclarer l'Etat responsable des désordres ayant affecté les locaux de la SCI LE LYS D'OR à concurrence de 75 % et le département des Bouches-du-Rhône à concurrence de 25 % ; en revanche, la commune de Velaux doit être mise hors de cause dès lors qu'aucun lien de causalité direct ne peut être retenu entre les dommages subis par la société « LE LYS D'OR » et la non-réalisation d'ouvrages publics par cette commune ;
Sur le préjudice :
Considérant que la société « LE LYS D'OR » se prévaut de divers chefs de préjudice sous les rubriques : dépenses exposées en vain, perte de valeur commerciale, perte de valeur vénale, vente de son bien à vil prix ; que, toutefois, les pièces transmises à la Cour ne lui permettent pas de se prononcer en toute connaissance de cause sur le montant exact du préjudice subi par la SCI ; qu'il y a lieu, dès lors, de compléter l'instruction par une expertise comptable, aux fins de déterminer avec précision ledit montant ;
D E C I D E :
Article 1er : L'Etat est déclaré responsable des préjudices subis par la société LE LYS D'OR à concurrence de 75 % de ceux-ci.
Article 2 : Le département des Bouches-du-Rhône est déclaré responsable des mêmes préjudices à concurrence de 25 %.
Article 3 : Les conclusions de la SCI LE LYS D'OR dirigées contre la commune de Rognac sont rejetées.
Article 4 : La commune de Velaux est mise hors de cause.
Article 5 : Avant dire droit, il est ordonné une expertise complémentaire pour déterminer précisément l'entier préjudice de l'appelante ;
- l'expert aura pour mission :
- d'examiner l'ensemble des pièces versées au dossier par les parties et donner toutes informations à la Cour sur l'étendue des préjudices subis par la SCI LE LYS D'OR et correspondant notamment :
- aux dépenses exposées dans le cadre des travaux d'urgence consécutifs aux inondations,
- aux pertes de revenus commerciaux directement rattachables aux mêmes évènements,
- à la perte de valeur vénale de l'immeuble en lien direct avec les inondations dont s'agit,
- de chiffrer les différents chefs de préjudice en précisant les dates à partir desquelles ils ont produit des effets financiers.
Article 6 : Tous droits et moyens sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI LE LYS D'OR, à la commune de Rognac, à la commune de Velaux, au département des Bouches-du-Rhône et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.
N° 03MA00953 4