La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/01/2006 | FRANCE | N°05MA02157

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, Juge des reconduites, 19 janvier 2006, 05MA02157


Vu la requête enregistrée le 17 août 2005, présentée pour M. Mohamed X élisant domicile ..., par Me Martini ;

M. X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0504491 en date du 18 juillet 2005 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 13 juillet 2005 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a décidé sa reconduite à la frontière et fixé le pays de destination ;

2°) d'annuler ledit arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet des B

ouches-du-Rhône, sur le fondement de l'article L.911-1 du code de justice administrative, de lui att...

Vu la requête enregistrée le 17 août 2005, présentée pour M. Mohamed X élisant domicile ..., par Me Martini ;

M. X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0504491 en date du 18 juillet 2005 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 13 juillet 2005 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a décidé sa reconduite à la frontière et fixé le pays de destination ;

2°) d'annuler ledit arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, sur le fondement de l'article L.911-1 du code de justice administrative, de lui attribuer l'autorisation de séjour sollicitée dans un délai de huit jours ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que le préfet n'avait pas l'obligation de prendre à son encontre un arrêté de reconduite à la frontière ; qu'il justifie d'une présence ininterrompue de plus de dix ans sur le territoire national puisqu'il est entré en France en septembre 1990 ainsi que le précise le titre de séjour que lui a délivré auparavant la préfecture en qualité de conjoint d'une ressortissante française ; qu'il est commerçant et régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés ; qu'il vit en concubinage avec Mme Y et est père d'une enfant née le 22 mai 2004 sur le territoire français ; qu'il est parfaitement intégré et n'est pas connu défavorablement des services de police ; que la mesure d'éloignement a des conséquences disproportionnée par rapport au but en vue duquel elle a été prise ; que la décision querellée méconnaît, dès lors, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu, enregistré au greffe de la Cour le 14 septembre 2005, le mémoire en défense présenté par le préfet des Bouches-du-Rhône ; le préfet conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué ;

Le préfet des Bouches-du-Rhône fait valoir qu'il avait tout à fait la possibilité de prendre à l'encontre du requérant un arrêté de reconduite à la frontière puisqu'un refus de titre de séjour lui avait été notifié il y a plus d'un an et demi et que l'intéressé avait fait l'objet d'une invitation à quitter le territoire ; que M. X a bénéficié d'un titre de séjour de façon illégale en épousant une ressortissante française à cette seule fin ; que l'intéressé ne démontre pas ne pas avoir quitté le territoire national depuis 1990 ; que le fait de créer son propre fond de commerce ne constitue pas la preuve d'une réelle insertion ; que sa concubine, avec laquelle il ne démontre pas l'ancienneté de la vie commune, est inconnue du fichier national des étrangers et semble être en situation irrégulière sur le territoire ; que M. X ne démontre pas avoir de la famille proche en France ni être dépourvu de toutes attaches familiales dans son pays d'origine ; qu'enfin, le fait que l'intéressé soit inconnu des services de police n'a aucune incidence sur la légalité de la décision en cause ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

Vu l'ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision en date du 27 décembre 2004 par laquelle le président de la Cour a notamment délégué M. François Bourrachot, président, pour statuer sur l'appel des jugements rendus en matière de reconduite à la frontière ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 décembre 2005 :

- le rapport de M. Bourrachot, Président rapporteur ;

- les observations de Me Touati substituant Me Martini ;

-.et les conclusions de M.Trottier, commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

Considérant, tout d'abord, qu'aux termes de l'article L.511-1 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile : L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire français au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait ; ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X, de nationalité marocaine, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 3 décembre 2003, de la décision du 22 novembre 2003 du préfet des Bouches-du-Rhône lui refusant le renouvellement de son titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'il était ainsi dans le cas prévu par les dispositions précitées du 3° de l'article L.511-1 du code précité où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Considérant, toutefois, qu'indépendamment de l'énumération donnée par l'article L.511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une mesure de reconduite à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour ; que lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière ;

Considérant qu'aux termes de l'article L.313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale est délivrée de plein droit : (...) 3° à l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans (…) ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X, de nationalité marocaine, entré en France en septembre 1990, a épousé une ressortissante de nationalité française le 23 novembre 1991 ; qu'à la date de la décision du 22 novembre 2003 lui refusant la délivrance d'une carte de résident, il était titulaire d'une carte de résident de dix ans valable du 18 novembre 1992 au 17 novembre 2002 délivrée en qualité de conjoint de français et justifiait, par là-même, d'une résidence régulière ininterrompue en France depuis plus de dix ans en tant que conjoint de français alors même que le renouvellement de ce titre lui a été refusé par décision du 22 novembre 2003 au motif que le mariage avait été annulé par un jugement du Tribunal de grande instance de Marseille du 12 novembre 1998 ; qu'ainsi, il remplissait les conditions prévues au 3° de l'article L.313-11 précité ; que, par suite, le préfet des Bouches-du-Rhône ne pouvait légalement prendre à son encontre l'arrêté attaqué sans méconnaître les dispositions du 3º de l'article L.313-11 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, dès lors, l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 13 juillet 2005 ordonnant la reconduite à la frontière de M.X doit être annulé ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 juillet 2005 ordonnant sa reconduite à la frontière ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant qu'aux termes de l'article L.911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une décision dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ; qu'aux termes de l'article L. 911-2 du même code : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé ; que l'article L.512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : Si l'arrêté de reconduite à la frontière est annulé, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas ;

Considérant que la présente décision prononce l'annulation pour excès de pouvoir d'un arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de M. X et non pas d'une décision refusant de délivrer à celui-ci une carte de séjour temporaire ; que, dès lors, M. X n'est pas fondé à invoquer l'autorité de la chose jugée qui s'attacherait aux motifs de la présente décision pour soutenir que celle-ci implique nécessairement, au sens des dispositions précitées de l'article L.911-1 du code de justice administrative, la délivrance d'une carte de séjour temporaire ;

Considérant, cependant, qu'à la suite de l'annulation d'un arrêté de reconduite à la frontière, il incombe au préfet, en application des dispositions précitées de l'article L.512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile , non seulement de munir l'intéressé d'une autorisation provisoire de séjour mais aussi, qu'il ait été ou non saisi d'une demande en ce sens, de se prononcer sur son droit à un titre de séjour ; que, dès lors, il appartient au juge administratif, lorsqu'il prononce l'annulation d'un arrêté de reconduite à la frontière et qu'il est saisi de conclusions en ce sens, d'user des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, lesquels peuvent être exercés tant par le juge unique de la reconduite à la frontière que par une formation collégiale, pour fixer le délai dans lequel la situation de M. X doit être réexaminée, au vu de l'ensemble de la situation de droit et de fait existant à la date de ce réexamen ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour à M. X et de se prononcer sur sa situation dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision ;

Sur les conclusions de M. X tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à payer à M. X une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement susvisé du Tribunal administratif de Marseille en date du 18 juillet 2005 et l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer sans délai à M. X une autorisation provisoire de séjour et de statuer sur la régularisation de la situation de M. X dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision.

Article 3 : L'Etat est condamné à verser à M. X la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Mohamed X, au préfet des Bouches-du-Rhône et au ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.

Copie en sera adressée à Me Martini.

Lu en audience publique le 19 janvier 2006

Le président rapporteur, Le greffier,

Signé Signé

F. BOURRACHOT A. BOISSON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

2

0502157


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : Juge des reconduites
Numéro d'arrêt : 05MA02157
Date de la décision : 19/01/2006
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François BOURRACHOT
Rapporteur public ?: M. TROTTIER
Avocat(s) : MARTINI

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2006-01-19;05ma02157 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award