Vu la procédure suivante :
Par un arrêt avant dire droit du 19 décembre 2024, la cour a invité le ministre des armées et des anciens combattants à produire l'avis de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense établi à la suite de l'enquête de sécurité ou, le cas échéant, tous autres éléments.
Par un mémoire enregistré le 18 avril 2025, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la commission du secret de la défense nationale (CSDN) a rendu, le 19 mars 2025, un avis favorable à la déclassification de l'avis de sécurité et, par une décision du 28 mars 2025, il a décidé de suivre cet avis ;
- il en ressort qu'en juillet 2021, le pays dont M. A... a la nationalité et où il conserve des liens familiaux avait été soupçonné d'implications dans la mise sur écoute de personnalités et de hauts fonctionnaires français, ainsi que de tentatives de corruption de parlementaires européens ; par ailleurs l'intéressé était secrétaire général du rassemblement des musulmans de France, qui constituait un vecteur d'influence de ce pays en France et il a été personnellement au contact avec un service de renseignement étranger ; il était adhérent de l'association Human Relief Fondation France, dont il est le fondateur et qu'il a présidée de 2010 à 2017, et qui présente des liens avec l'organisation Qatar Charity, suspectée de promouvoir l'islamisme séparatiste ; l'accumulation de ces vulnérabilités était incompatibles avec l'exercice de fonctions militaires.
Par un mémoire enregistré le 20 mai 2025, M. A..., représenté par Me Riou, reprend les conclusions et moyens de sa requête.
Il fait en outre valoir que :
- les allégations de la note du service des renseignements sont vagues, et concernent des faits bien antérieurs à la décision en litige ; il a été le fondateur de l'association Human relief Fondation France, Secours humanitaire, son directeur puis son secrétaire général, dont la présidence est assurée par un britannique ; cette association a pour but de fournir à des populations dans le besoin des aides alimentaire et d'urgence suite à des catastrophes en fournissant notamment du personnel médical et des médicaments, elle a reçu le " consultative statut spécial " auprès du conseil économique et social des Nations Unies, elle est signataire du code de conduite pour les sociétés internationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et a un accord de partenariat avec l'aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO) ; il a lui-même distribué des milliers de repas chauds à des personnes sans domicile fixe à Lyon dans le cadre de cette association ;
- ses différents engagements associatifs, bien antérieurs à son recrutement en qualité d'aumônier des armées en 2017, datent des années 2006 à 2008 et sont de notoriété publique ; aucun n'a de lien avec un islamisme radical ni n'est contraire aux valeurs de la République ; ces associations avaient pour objectifs d'encourager les échanges économiques entre son pays d'origine et la France et de créer un réseau de partenariat entre les deux pays ; également, d'aider administrativement les jeunes de ce pays ou autres diplômés qui ne trouvent pas de travail en France à créer leurs entreprises, soit en France soit dans leur pays d'origine ; d'œuvrer pour le dialogue des cultures selon des valeurs communes, soit la liberté, la tolérance, le respect des droits de l'homme, la solidarité et le respect de l'autre ainsi que l'engagement en faveur de la paix ; son appartenance au Rassemblement des Musulmans de France, que rien ne rattache à la mouvance islamiste et qui date de 2008, est largement public, et était également connue lors de sa nomination en qualité d'aumônier ;
- il a constamment lutté contre l'intégrisme et l'islamisme radical ; il a ainsi notamment contribué à l'organisation d'un colloque en 2015 avec l'Église catholique, intitulé " Intégrisme, radicalisation religieuse : racines et remèdes " ; il a pris publiquement position contre les attentats du 7 octobre 2023 en Israël, il a appelé à une marche de la fraternité le dimanche 26 novembre 2023 et rédigé un appel rappelant les valeurs de la République ; les articles qu'il a écrits soutiennent un Islam tolérant et respectueux des valeurs fondamentales de la République française ; il a été proposé par deux fois par l'association nationale des membres de l'ordre national du mérite, notamment pour son engagement dans le dialogue interreligieux et son engagement en qualité d'aumônier des hôpitaux, des armées et des établissements pénitentiaires ;
- il conteste formellement avoir été en contact avec un service de renseignement étranger.
Par une ordonnance du 21 mai 2025, l'instruction a été close au 10 juin 2025.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la défense ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le décret n° 2008-1524 du 30 décembre 2008 ;
- le décret n° 2019-1271 du 2 décembre 2019 ;
- l'arrêté du 15 mars 2021 portant approbation de l'instruction ministérielle n° 900 sur la protection du secret et des informations diffusion restreinte et sensibles ;
- l'arrêté du 9 août 2021 portant approbation de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale ;
- l'instruction n° 12632/ARM/DCSCA/DGC/AUM du 14 juin 2019 relative à la réserve opérationnelle des aumôniers militaires ;
- l'avis n° 581420 du 28 mars 2025 portant déclassification ;
- l'avis de sécurité n°008878981 du 15 septembre 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Boffy, première conseillère ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de M. A..., ainsi que celles de Mme B..., représentant le ministre des armées ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêt avant dire droit du 19 décembre 2024, la cour a invité le ministre des armées et des anciens combattants à produire l'avis de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense établi ensuite de l'enquête de sécurité ou, le cas échéant, tous autres éléments. Le ministre a produit la pièce demandée le 18 avril 2025.
Sur la régularité du jugement :
2. Eu égard à l'office du juge d'appel, les moyens tirés de ce que le tribunal aurait dénaturé les faits et commis une erreur de qualification juridique de ces faits, qui ne mettent pas en cause la régularité du jugement attaqué, ne peuvent qu'être écartés.
3. Par ailleurs, l'administration, en cours d'instance devant le tribunal, a expressément invoqué un autre motif de rejet de la demande de M. A... tendant au renouvellement de son contrat. Ainsi, et contrairement à ce que soutient M. A..., les premiers juges, en se prononçant sur ce dernier motif, n'ont pas, d'office, procédé à une substitution de motifs non demandée par l'administration. Aucune irrégularité ne saurait être retenue ici.
Sur la légalité de la décision du 19 août 2022 :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". Selon les termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 4125-1 du code de la défense : " I. - Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. / Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense. (...) ". Et selon les termes de l'article R. 4125-10 de ce même code : " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé la décision du ministre compétent (...) La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale. (...) ".
5. Outre des considérations de fait, la décision contestée du ministre des armées vise les éléments de droit sur lesquels elle repose. Dès lors, et indépendamment des raisons invoquées à l'appui de la demande de substitution de motifs qui, de toutes les façons, sont suffisamment explicites, le moyen tiré d'un défaut de motivation de cette décision ne peut qu'être écarté.
6. En second lieu, aux termes de l'article 2 du décret du 30 décembre 2008 relatif aux aumôniers militaires : " Les aumôniers militaires assurent, au sein des armées (...) le soutien religieux du personnel de la défense (...) qui le souhaitent. (...) ". Selon les termes de l'article 1er du même décret : " Les aumôniers militaires sont des militaires servant en vertu d'un contrat. (...) ", et l'article 5 de ce même décret prévoit qu'ils " souscrivent un engagement au titre du service du commissariat des armées. (...) ". Aux termes de L. 4132-1 du code de la défense : " Nul ne peut être militaire : (...) 3° S'il ne présente les aptitudes exigées pour l'exercice de la fonction ; " ; aux termes de L. 4221-2 de ce code dans sa version applicable au litige : " (...) Le réserviste doit posséder l'ensemble des aptitudes requises pour servir dans la réserve opérationnelle. ". Aux termes de l'article R. 114-1 du code de la sécurité intérieure : " La liste des décisions pouvant donner lieu, en application de l'article L. 114-1, à des enquêtes administratives est fixée aux articles R. 114-2 à R. 114-5. " ; aux termes de l'article R. 114-2 dans sa version applicable au litige : " Peuvent donner lieu aux enquêtes mentionnées à l'article R. 114-1 les décisions suivantes relatives aux emplois publics participant à l'exercice des missions de souveraineté de l'État ainsi qu'aux emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense : (...) 3° Recrutement ou nomination et affectation : (...) j) Des militaires ;(...) ".
7. Comme l'indique à cet égard le préambule de l'instruction du 14 juin 2019 relative à la réserve opérationnelle des aumôniers militaires : " La présente instruction concerne les volontaires qui souscrivent un engagement à servir dans la réserve (ESR) opérationnelle en qualité d'aumônier militaire des cultes (...) musulman (...) ". Selon les termes du point1.2.2. de cette instruction, relatif à l'une des conditions particulières de recrutement dans la réserve opérationnelle des aumôniers militaires et intitulé " Condition relative à l'habilitation " : " Le candidat au recrutement fait l'objet d'une demande d'habilitation au niveau " confidentiel défense " (CD) établie par la direction centrale du service du commissariat des armées (DCSCA). Le niveau d'habilitation est déterminé par la nature de l'emploi tenu. (...) ". Le point 6.2.1 de la même instruction, intitulé " Demande de renouvellement de contrat ", prévoit que : " La procédure de renouvellement de contrat est de la compétence de la direction de chaque culte. Elle est initiée au cours de la dernière année du contrat et la notification de la décision intervient au plus tard trois mois avant le terme du contrat en cours (...) ". Et d'après le point 6.2.3 de cette même instruction, intitulé " Décision de non-renouvellement de contrat " : " La DCSCA/DGC/AUM avertit tous les services concernés de la décision de non-renouvellement de contrat. / Cette décision est notifiée à l'aumônier de réserve, mais n'a pas à être motivée. ".
8. L'administration peut toujours, pour des motifs tirés de l'intérêt du service ou pris en considération de la personne, qu'ils aient ou non un caractère disciplinaire, ne pas renouveler le contrat d'un agent public recruté pour une durée déterminée et, par là même, mettre fin aux fonctions de l'intéressé.
9. Par ailleurs, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
10. Comme il a été indiqué plus haut, l'administration, après s'être initialement fondée sur le motif tenant à ce que " la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) a(vait) rendu un avis défavorable dans le cadre de la procédure de contrôle élémentaire ", a invoqué en cours d'instance devant le tribunal un autre motif tiré de ce que l'intéressé " ne présentait pas les conditions de confiance et d'aptitude indispensables à l'exercice de ses fonctions d'aumônier réserviste eu égard aux vulnérabilités révélées par l'enquête de sécurité conduite dans le cadre du contrôle élémentaire et de la procédure de renouvellement de son habilitation ".
11. Il apparaît que, comme l'exprime notamment une note blanche produite au dossier, des séjours répétés hors de France ainsi que de liens noués avec des ressortissants étrangers " peuvent rendre vulnérable l'intéressé dans le cas où celui-ci serait directement ou indirectement, via ses attaches, l'objet de pression de la part de services étatiques ou de réseaux criminels ", et que la prise en compte de ces vulnérabilités tend à la protection de la personne comme de l'institution ou de son entourage. S'il est vrai que, compte tenu de ses fonctions d'aumônier du culte musulman réserviste, M. A... n'était pas en contact avec des armes et n'avait aucun accès direct à des informations " secret-défense ", il ressort toutefois des pièces du dossier qu'il avait accès à des sites protégés et entretenait des rapports étroits avec les personnels militaires.
12. Il ressort de " l'avis de sécurité " du 15 septembre 2021 déclassifié et des pièces du dossier que M. A... a effectué cinq voyages dans son pays d'origine entre 2016 et 2018 à titre touristique, ainsi qu'en 2017 pour des raisons familiales, l'administration n'ayant jamais évoqué d'autre but à ses déplacements. Il s'est également rendu aux États Unis et en Arabie Saoudite durant cette même période. Il résulte en outre de cet avis que M. A... a assuré le secrétariat général du Rassemblement des musulmans de France, dont il a été vice-président puis président, et qui constitue une des instances composant le conseil français du culte musulman et un relai de l'islam consulaire de son pays d'origine. M. A... a en outre été engagé au sein de plusieurs bureaux dirigeants de structures socio-culturelles ou professionnelles susceptibles d'agir comme des relais d'influence depuis son pays d'origine. Or, ce dernier, qui a été cité comme l'un des pays soupçonnés de se livrer à des actes d'ingérence et de tentatives de corruption de hauts responsables et de parlementaires français et européens selon un rapport de l'Assemblée nationale du 1er juin 2023 relatif aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères et un rapport du Parlement européen sur l'ingérence étrangère dans les processus démocratiques de l'Union européenne, présente une sensibilité particulière. Il en résulte que les liens étroits qu'entretient M. A... avec ce pays le rendent particulièrement vulnérable.
13. Si, par ailleurs, M. A... conteste les affirmations de ce même avis dont il résulte qu'il aurait été personnellement au contact d'un service de renseignement étranger, il apparaît que, en sa qualité de président fondateur de Human Relief Fondation France du 1er septembre 2010 au 22 juin 2017, branche française d'une association caritative basée au Royaume-Uni et dont la filiale britannique entretient des liens avec une association qatarie, ces deux dernières structures étant suspectées de promouvoir l'islamisme séparatiste, il a évolué au sein d'une sphère associative dont certaines branches sont soupçonnées de porter atteinte à la cohésion nationale. Les liens entretenus au sein de cette sphère associative exposaient également l'intéressé à de possibles pressions.
14. Dans ces circonstances, et même si M. A..., dans l'exercice de ses fonctions, a fait preuve d'excellence ainsi que de qualités morales et de tolérance, au demeurant non contestées par l'administration, il n'apparaît pas que celle-ci, en estimant qu'il présentait des vulnérabilités incompatibles avec les indispensables conditions de confiance et d'aptitude pour l'exercice de fonctions d'aumônier réserviste, aurait commis des erreurs de fait ou manifeste d'appréciation.
15. Sans priver le requérant d'une garantie procédurale, il apparaît ainsi que le ministre des armées aurait pris la même décision en se fondant sur le nouveau motif invoqué par voie de substitution, légalement fondé.
16. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 3 juillet 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2025.
La rapporteure,
I. BoffyLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 23LY02988
lc