Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 18 août 2023 par lesquelles la préfète du Rhône lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé à trente jours le délai de départ volontaire, a désigné le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de six mois.
Par un jugement n° 2309149 du 13 février 2024, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 octobre 2024, Mme B... A... épouse C..., représentée par la SCP Couderc-Zouine agissant par Me Zouine, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2309149 du 13 février 2024 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 18 août 2023 par lesquelles la préfète du Rhône lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé à trente jours le délai de départ volontaire, a désigné le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de six mois ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Rhône de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou subsidiairement de réexaminer sa situation sous couvert d'une autorisation provisoire de séjour à lui délivrer dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros, à verser à son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme C... soutient que :
- le refus de séjour méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 6, 5° de l'accord franco-algérien et il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation, compte tenu en particulier de l'état de santé de son enfant et de l'indisponibilité des soins en Algérie ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de séjour ; elle méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le délai de départ volontaire est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'erreur d'appréciation ; elle n'est pas motivée et ne prend pas en compte les critères de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La préfète du Rhône, régulièrement mise en cause, n'a pas produit.
Par décision du 14 août 2024, Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, modifiée, conclue à Rome le 4 novembre 1950 ;
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, complété par un protocole, deux échanges de lettres et une annexe, modifié, signé à Alger le 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Stillmunkes, président rapporteur.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... épouse C..., ressortissante algérienne née le 10 juin 1976, a demandé au tribunal administratif de Lyon l'annulation des décisions du 18 août 2023 par lesquelles la préfète du Rhône lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé à trente jours le délai de départ volontaire, a désigné le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de six mois. Par le jugement attaqué du 13 février 2024, le tribunal a rejeté cette demande.
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien susvisé : " (...) / Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / (...) / 5. Au ressortissant algérien qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... est née en Algérie le 10 juin 1976 et qu'elle est de nationalité algérienne. Il n'est pas contesté qu'elle y a épousé un compatriote et que le couple a eu quatre enfants. Elle est entrée en France le 24 mars 2018 sous couvert d'un visa de court séjour, accompagnée de deux de ses enfants. Sa demande d'asile a été rejetée. Elle a sollicité une première fois la délivrance d'un titre de séjour, en invoquant l'état de santé de son fils D..., né le 5 octobre 1999 et atteint de handicap. Cette délivrance lui a été refusée le 14 août 2020, ce refus étant assorti d'une mesure d'éloignement. Elle a sollicité de nouveau la délivrance d'un titre de séjour, en invoquant l'aggravation de l'état de santé de son fils. La préfète du Rhône, pour apprécier cet état de santé, a consulté le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Cet avis, daté du 27 juin 2023, indique que l'état de santé du fils de Mme C... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Il indique en revanche qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé algérien, il peut y bénéficier d'un traitement approprié. Il ressort des documents médicaux nombreux et circonstanciés produits par Mme C... que son fils a été atteint d'une quadriplégie spastique avec scoliose dorsolombaire et luxation de la hanche, sur prématurité et séquelles de paralysie cérébrale. Il présente également une vessie neurologique rétentionniste. Les attestations de praticiens hospitaliers des 4 janvier et 20 février 2023 relèvent qu'il vient de faire l'objet d'une chirurgie rachidienne, qu'une pompe à Baclofène intrathécale a dû être posée, qu'il a également été opéré pour la pose d'une prothèse totale de hanche gauche et que la pose d'une endoprothèse urétrale a été prévue. Il ressort des indications concordantes de plusieurs praticiens hospitaliers, corroborées par le certificat médical du chef de service de médecine physique et de réadaptation d'un hôpital d'Alger et d'un praticien algérien d'un service neurologique, que la prise en charge complexe de ce cumul grave et compliqué de pathologies n'est pas réalisable en Algérie, et notamment le suivi de la pompe à Baclofène. Devant la cour, la requérante a en outre produit deux autres certificats circonstanciés de praticiens hospitaliers de janvier 2024, qui éclairent l'évolution de l'état de santé de l'intéressé à la date des décisions et qui rappellent en particulier la gravité de cet état en évoquant au surplus la pose en janvier 2024 d'une endoprothèse urétrale et de nouvelles chirurgies d'arthrodèse qui devront être réalisées, et insistent enfin sur l'utilité de la pompe à Baclofène intrathécale, seule réellement efficace dans ce cas compliqué et qui doit faire l'objet d'un suivi régulier, notamment pour remplissage, qui n'est pas disponible en Algérie. Dans ces circonstances particulières, eu égard à l'état très avancé de handicap du fils de la requérante, à la prise en charge médicale indispensable dont il fait l'objet en France, et enfin aux liens particuliers entre Mme C... et son fils, et à l'assistance déterminante qu'elle lui apporte, le refus de séjour et la mesure d'éloignement décidés par la préfète du Rhône ont porté au droit de Mme C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excessive au regard des buts que ces décisions poursuivent. Le moyen tiré de ce que la décision portant refus de séjour méconnait les stipulations de l'article 6, 5° de l'accord franco-algérien doit en conséquence être retenu, et cette décision doit dès lors être annulée. Par voie de conséquence, la mesure portant obligation de quitter le territoire français, prise sur le fondement de ce refus de séjour, doit elle-même être annulée. Enfin, les décisions fixant le délai de départ volontaire et désignant le pays de renvoi, prises pour l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, ainsi que l'interdiction de retour sur le territoire français, prise au vu de la décision portant obligation de quitter le territoire français, doivent elles-mêmes être annulées.
4. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Eu égard au motif sur lequel elle se fonde, l'annulation prononcée par le présent arrêt implique nécessairement que la préfète du Rhône délivre à Mme C... un certificat de résidence algérien d'un an portant la mention " vie privée et familiale ". Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
6. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à Me Zouine, avocat de Mme C..., d'une somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige, sur le fondement de ces dispositions, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2309149 du 13 février 2024 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les décisions du 18 août 2023 par lesquelles la préfète du Rhône a refusé à Mme B... A... épouse C... la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé à trente jours le délai de départ volontaire, a désigné le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de six mois, sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Rhône de délivrer à Mme C... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Zouine avocat de Mme C... une somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Zouine renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... épouse C..., au ministre de l'intérieur et à Me Zouine. Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 30 juin 2025, à laquelle siégeaient :
M. Stillmunkes, président de la formation de jugement,
M. Gros, premier conseiller,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025.
Le président-rapporteur,
H. Stillmunkes
L'assesseur le plus ancien,
B. Gros
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY02882