Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 21 février 2024 par lesquelles la préfète de l'Ain lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé à trente jours le délai de départ volontaire, a désigné le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de six mois.
Par un jugement n° 2402808 du 30 août 2024, le tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions et enjoint à la préfète de l'Ain de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois, en le munissant entretemps sans délai d'une autorisation provisoire de séjour.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 septembre 2024, la préfète de l'Ain demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2402808 du 30 août 2024 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) de rejeter les conclusions de M. B....
La préfète de l'Ain soutient que :
- c'est à tort que le tribunal s'est fondé pour annuler le refus de séjour sur l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant, alors que la situation de l'intéressé relève de la procédure de regroupement familial ;
- il n'a pas méconnu l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- les autres moyens invoqués en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 janvier 2025, M. A... B..., représenté par la SELARL BS2A Bescou et Sabatier avocats associés agissant par Me Bescou, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que la somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B... soutient que :
- c'est à juste titre que le tribunal s'est fondé, pour annuler les décisions contestées, sur l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- en tant que de besoin, il renvoie pour le surplus aux moyens soulevés en première instance et notamment aux moyens d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation dirigés contre l'interdiction de retour sur le territoire français.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, complété par un protocole, deux échanges de lettres et une annexe, modifié, signé à Alger le 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Stillmunkes, président assesseur.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant algérien né le 31 juillet 1972, a demandé au tribunal administratif de Lyon l'annulation des décisions du 21 février 2024 par lesquelles la préfète de l'Ain lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé à trente jours le délai de départ volontaire, a désigné le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de six mois. Par le jugement attaqué du 30 août 2024, le tribunal a fait droit à cette demande.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. D'une part, aux termes de l'article 3 de la convention susvisée relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
3. D'autre part, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de refuser le séjour et de procéder à l'éloignement d'un ressortissant étranger en situation irrégulière d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, cette mesure est susceptible de porter atteinte à l'intérêt supérieur d'un enfant. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant. Cette dernière peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure d'éloignement, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est né en Algérie le 31 juillet 1972 et qu'il est de nationalité algérienne. Il a épousé en Algérie le 3 avril 2022 une compatriote titulaire d'un certificat de résidence algérien en qualité de mère d'un enfant français. Il ressort du certificat d'une pédiatre des 10 mars 2024 que cet enfant, né le 6 août 2019, est atteint d'un diabète de type 1 difficile à équilibrer, que sa mère prend en charge avec attention. Un certificat lapidaire de la même pédiatre du 16 janvier 2024 indique, sans fournir de précisions, que M. B... était présent lors de consultations et d'hospitalisations. Par ailleurs, un certificat d'une orthophoniste du 7 mars 2024 indique que l'enfant, qui venait en consultation avec sa mère, est venu à la dernière consultation avec M. B.... Il est constant que M. B... est entré en France le 22 juin 2023 sous couvert d'un visa de court séjour. Il n'était ainsi présent en France que depuis huit mois à la date de la décision. Sa participation à la prise en charge de la pathologie de l'enfant de son épouse, qui est né d'un précédent mariage, apparait ainsi particulièrement récente et très limitée. C'est dans ces conditions à tort que le tribunal a jugé, au vu de ces seuls éléments, que la décision par laquelle la préfète de l'Ain a refusé à M. B... la délivrance d'un titre de séjour et a assorti ce refus d'une mesure d'éloignement, méconnaissait l'intérêt supérieur de l'enfant tel qu'il est garanti par les stipulations précitées de l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens invoqués par M. B..., tant en première instance qu'en appel.
Sur les autres moyens invoqués en première instance et en appel :
En ce qui concerne le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire français :
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la préfète de l'Ain, qui a d'ailleurs analysé de façon circonstanciée la situation de M. B... dans sa décision, a statué au terme d'un examen effectif de cette situation.
7. En deuxième lieu, pour les motifs exposés au point 4, le moyen tiré de la méconnaissance de l'intérêt supérieur de l'enfant garanti par les stipulations de l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant, doit être écarté.
8. En troisième lieu, les éléments de situation personnelle exposés au point 4 font apparaitre une présence très récente et un séjour irrégulier en France de M. B..., dont les liens avec son épouse et l'enfant de celle-ci ne sont pas ancrés dans la durée. Contrairement à ce qu'il soutient, les décisions de refus de séjour et d'éloignement qui lui sont opposées n'ont par ailleurs ni pour objet ni pour effet de remettre en cause le certificat de résidence dont dispose son épouse, pas davantage que de contraindre l'enfant de celle-ci, qui a la nationalité française et dont le père est de nationalité française et réside en France, à partir en Algérie. Le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, essentiellement fondé sur ces derniers arguments, doit ainsi être écarté.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
9. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7 [c'est-à-dire notamment s'il bénéficie d'un délai de départ volontaire], l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
10. Il ressort de ce qui a été exposé précédemment sur la situation personnelle de M. B... que sa présence en France demeure particulièrement récente à la date de la décision et que son mariage ainsi que ses liens avec l'enfant de son épouse sont également récents. Toutefois, il demeure constant qu'il a épousé une compatriote qui a vocation à demeurer régulièrement sur le territoire français. La préfète de l'Ain admet d'ailleurs qu'il peut avoir vocation à revenir en France, notamment dans le cadre du regroupement familial. Il n'a par ailleurs fait l'objet d'aucune mesure précédente d'éloignement et rien ne permet d'identifier dans son comportement une menace pour l'ordre public. Dans ces conditions, la préfète de l'Ain a en l'espèce commis une erreur d'appréciation en lui faisant interdiction de retour sur le territoire français, fût-ce pour une durée limitée à six mois.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de l'Ain est uniquement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé ses décisions portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français, fixation du délai de départ volontaire et désignation du pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. L'annulation de la seule décision portant interdiction de retour sur le territoire français n'implique aucune mesure d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction présentées par M. B... doivent en conséquence être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
13. L'Etat n'étant pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, les conclusions présentées par M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2402808 du 30 août 2024 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : La décision du 21 février 2024 par laquelle la préfète de l'Ain a fait interdiction à M. B... de retour sur le territoire français pour une durée de six mois, est annulée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de première instance et d'appel de M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain.
Délibéré après l'audience du 30 juin 2025, à laquelle siégeaient :
M. Stillmunkes, président de la formation de jugement,
M. Gros, premier conseiller,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025.
Le président-rapporteur,
H. Stillmunkes
L'assesseur le plus ancien,
B. Gros
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY02781