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10/07/2025 | FRANCE | N°23LY02024

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 10 juillet 2025, 23LY02024


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



I - Sous le n° 2300834, Mme A... E... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler les décisions du 19 avril 2023 par lesquelles le préfet du Puy-de-Dôme lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé le bénéfice d'un délai de départ volontaire, a désigné le pays de renvoi, lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'a assignée à résidence pour une durée de 45 jour

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Par un jugement n° 2300834 du 29 avril 2023, la magistrate désignée par la présidente d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

I - Sous le n° 2300834, Mme A... E... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler les décisions du 19 avril 2023 par lesquelles le préfet du Puy-de-Dôme lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé le bénéfice d'un délai de départ volontaire, a désigné le pays de renvoi, lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'a assignée à résidence pour une durée de 45 jours.

Par un jugement n° 2300834 du 29 avril 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.

II - Sous le n° 2301189, Mme A... E... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du 2 juin 2023 par lequel le préfet du Puy-de-Dôme a renouvelé pour une durée de 45 jours l'assignation à résidence prononcée le 19 avril 2023.

Par un jugement n° 2301189 du 13 juin 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

I - Par une requête enregistrée le 15 juin 2023 sous le n° 23LY02024, Mme A... E... épouse C..., représentée par Me Demars, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2300834 du 29 avril 2023 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;

2°) d'annuler les décisions du 19 avril 2023 par lesquelles le préfet du Puy-de-Dôme lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé le bénéfice d'un délai de départ volontaire, a désigné le pays de renvoi, lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'a assignée à résidence pour une durée de 45 jours ;

3°) d'enjoindre au préfet du Puy-de-Dôme de mettre fin sans délai à la mesure de surveillance prévue à l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de procéder à l'effacement de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen dans un délai de sept jours suivant la notification de l'arrêt à venir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard et, enfin, d'enjoindre au préfet du Puy-de-Dôme de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à venir, et, dans l'attente, de lui délivrer, sous 48 heures et sous astreinte de 50 euros par jour de retard, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de prononcer, son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle, à titre provisoire, au titre de la première instance ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de la première instance et une somme de 3 000 euros au titre de la présente instance d'appel, en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ou de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme E... soutient que :

- la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif a manqué à son devoir d'impartialité ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- le refus d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire méconnait les articles 7 et 20 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ; les dispositions de l'article 62 de ce décret qui interdisent tout recours contre une décision statuant en matière d'aide juridictionnelle provisoire, méconnaissent l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les décisions attaquées sont entachées d'un défaut d'examen de sa situation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car c'est pour des motifs indépendants de sa volonté qu'elle s'est maintenue sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; cette mesure a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant ;

- la décision la privant d'un délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, méconnait son droit d'être entendue ainsi que les articles L. 612-2, 3° et L. 612-3, 2° et 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en l'absence de risque de soustraction à la mesure d'éloignement, et méconnait l'intérêt supérieur de ses enfants garanti par l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant ;

- la décision désignant le pays de renvoi est illégale en raison de de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- l'interdiction de retour est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ; elle est insuffisamment motivée et disproportionnée ;

- la décision d'assignation à résidence est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, est insuffisamment motivée, méconnait l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant et méconnait les dispositions de l'article L. 733-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les mesures de présentation étant excessives.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 juin 2023.

Par un mémoire distinct enregistré le 16 juin 2023, Mme A... E..., représentée par Me Demars, a demandé à la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la constitutionnalité de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article 62 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 au regard des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

Par une ordonnance n° 23LY02024 QPC du 9 octobre 2023, le président de la sixième chambre de la cour administrative d'appel de Lyon a refusé de transmettre au Conseil d'Etat cette question prioritaire de constitutionnalité.

II - Par une requête enregistrée le 18 juin 2023 sous le n° 23LY02066, Mme A... E..., représentée par Me Demars, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2301189 du 13 juin 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;

2°) d'annuler la décision du 2 juin 2023 par lequel le préfet du Puy-de-Dôme a renouvelé pour une durée de 45 jours l'assignation à résidence prononcée le 19 avril 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Puy-de-Dôme de mettre fin sans délai à la mesure de surveillance prévue à l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de procéder à l'effacement de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen dans un délai de sept jours suivant la notification de l'arrêt à venir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard et, enfin, de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à venir, et, dans l'attente, de lui délivrer, sous 48 heures et sous astreinte de 50 euros par jour de retard, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de prononcer, son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle, à titre provisoire, au titre de la première instance ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de la première instance et une somme de 3 000 euros au titre de la présente instance d'appel, en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ou de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme E... soutient que :

- le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif a manqué à son devoir d'impartialité ; il a méconnu le principe du contradictoire en se fondant sur une délégation de signature non communiquée ; il a omis de statuer sur un moyen d'erreur de droit et d'erreur de qualification juridique des faits ; il a omis de viser ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de communiquer son dossier et a omis d'y statuer ; le jugement est insuffisamment motivé ; le jugement est entaché d'incompétence dès lors qu'il n'est pas établi que le magistrat était compétent pour statuer en application de l'article R. 776-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le refus d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire méconnait les articles 7 et 20 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ; les dispositions de l'article 62 de ce décret qui interdisent tout recours contre une décision statuant en matière d'aide juridictionnelle provisoire, méconnaissent l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le renouvellement d'assignation à résidence est entaché d'incompétence ; il est insuffisamment motivée méconnait son droit d'être entendue, est entaché d'un défaut d'examen de sa situation n'est pas justifié dès lors que les démarches entreprises pour exécuter l'éloignement n'ont pas été prises en compte et qu'il n'est pas établi que l'éloignement demeure une perspective raisonnable, méconnait les stipulations de l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant ; l'obligation de présentation est excessive.

La demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme E... a été rejetée par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 28 août 2023.

Par un mémoire distinct enregistré le 21 juin 2023, Mme A... E..., représentée par Me Demars, a demandé à la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la constitutionnalité de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article 62 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 au regard des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

Par une ordonnance n° 23LY02066 QPC du 9 octobre 2023, le président de la sixième chambre de la cour administrative d'appel de Lyon a refusé de transmettre au Conseil d'Etat cette question prioritaire de constitutionnalité.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Gros, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique du 30 juin 2025.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... E..., épouse C..., ressortissante algérienne née en 1988, est entrée en Italie le 2 novembre 2022, sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa italien de court séjour et a ensuite gagné la France, à une date indéterminée. Par des décisions du 19 avril 2023, le préfet du Puy-de-Dôme lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a désigné le pays de renvoi et lui a interdit tout retour deux années durant. Par une décision du même jour, il l'a assignée à résidence pendant 45 jours à son domicile clermontois, avec obligation d'y demeurer quotidiennement entre 6h00 et 7h00 et de se présenter aux services de police les lundi, mercredi et vendredi, à 10h00, et interdiction de sortir du département sans autorisation. Le 2 juin 2023, le préfet a renouvelé cette assignation à résidence pour une nouvelle période de 45 jours. Mme E... relève appel, d'une part, du jugement du 29 avril 2023 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions préfectorales du 19 avril 2023, d'autre part, du jugement du 13 juin 2023 du magistrat désigné par la présidente du même tribunal, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision préfectorale du 2 juin 2023 portant renouvellement d'assignation à résidence.

2. Les deux requêtes enregistrées sous les n° 23LY02024 et 23LY02066 concernent la situation d'une même ressortissante algérienne, présentent à juger des questions communes et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.

Sur la régularité des jugements attaqués :

3. En premier lieu, il ne ressort pas de la motivation des jugements attaqués des 29 avril 2023 et 13 juin 2023, ni des pièces des dossiers, que la magistrate et le magistrat désignés par la présidente du tribunal auraient manqué à leur devoir d'impartialité. Ne sont pas susceptibles de révéler un tel manquement le rejet des demandes d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle présentées par la requérante ou la prétendue application d'un régime de preuve défavorable à celle-ci ou bien encore certaines déclarations de la présidente du tribunal rapportées par des organes de presse.

4. En deuxième lieu, les jugements des 29 avril 2023 et 13 juin 2023 sont régulièrement motivés, conformément aux exigences de l'article L. 9 du code de justice administrative.

5. En troisième lieu, en se bornant à soutenir qu'" il n'est pas établi que le magistrat désigné du Tribunal était compétent à l'effet de statuer sur le fondement des dispositions de l'article R. 776-14 et suivants du CESEDA ", alors que, selon une mention du jugement du 13 juin 2023, laquelle fait foi jusqu'à preuve du contraire, " La présidente du tribunal a désigné M. Debrion, premier conseiller, pour statuer sur les requêtes relevant de la procédure prévue aux articles R. 776-14 et suivants du code de justice administrative ", la requérante ne démontre pas que le jugement serait irrégulier sur ce point.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire (...) ".

7. Contrairement à ce que soutient la requérante, l'arrêté du 27 septembre 2022 par lequel le préfet du Puy-de-Dôme avait consenti à la signataire de l'arrêté du 2 juin 2023 une délégation pour ce faire, est aisément disponible en ligne sur le site de la préfecture. Au demeurant, cet arrêté avait été produit dans le cadre de l'instance ayant abouti au jugement contesté du 29 avril 2023. Le jugement du 13 juin 2023 n'a donc pas été rendu en méconnaissance du contradictoire au seul motif qu'il se fonde sur cette délégation de signature pour écarter le moyen tiré de l'incompétence.

8. En cinquième lieu, dans sa requête de première instance n° 2301189, sous l'intitulé " Sur le moyen tiré de l'erreur de droit ou de l'erreur dans la qualification juridique des faits " et au visa du 1° de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la requérante énonce qu'il appartiendra au préfet du Puy-de-Dôme de justifier des démarches entreprises pour l'organisation matérielle de son départ. Le magistrat désigné a répondu à cet énoncé, qu'il a d'ailleurs visé, au point 9 du jugement du 13 juin 2023. Le moyen tiré de l'omission à statuer manque ainsi en fait.

9. En dernier lieu, le magistrat désigné n'était pas tenu, dans le jugement du 13 juin 2023, de viser les conclusions tendant à la communication de l'entier dossier administratif de la requérante, ni d'y répondre explicitement, s'agissant d'une simple faculté pour le juge dans l'exercice de son pouvoir d'instruction.

Sur les conclusions relatives à l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire au titre de la première instance :

10. Aux termes de l'article 20 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président (...) ". L'article 62 du décret susvisé du 28 décembre 2020 dispose que " La décision statuant sur la demande d'admission provisoire n'est pas susceptible de recours. ".

11. Il résulte de ces dispositions de l'article 62 du décret du 28 décembre 2020, et ainsi que l'exposent les articles 61 et 63 du même décret, que l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle peut être accordée dans une situation d'urgence et le bureau d'aide juridictionnelle, qui est saisi de la demande, statuera seul de façon définitive sans être lié par la décision provisoire, sa décision définitive étant elle-même susceptible de recours. Par ailleurs, le jugement rendu est lui-même susceptible de faire l'objet d'une voie de recours dans le cadre de laquelle le requérant, qui pourra solliciter le bénéfice de l'aide juridictionnelle s'il en remplit les conditions, sera en mesure de contester le sens du jugement et sa régularité. Ainsi, l'article 62 du décret du 28 décembre 2020, qui, afin de tenir compte de l'urgence et dans un souci de rapidité de jugement du litige, exclut l'exercice d'un recours spécifique contre la seule décision provisoire sur l'aide juridictionnelle, compte tenu en particulier de la possibilité de contester à la fois la décision définitive sur l'aide juridictionnelle ainsi en outre que le jugement, ne méconnait pas l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ni l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, la décision statuant sur la demande d'admission provisoire n'étant pas, aux termes de l'article 62 du décret du 28 décembre 2020, susceptible de recours, la requérante n'est pas recevable à critiquer les rejets qui lui ont été opposés, ni à demander que lui soit allouée l'aide juridictionnelle provisoire au titre de la première instance.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

12. En premier lieu, il ne ressort pas de la motivation de l'arrêté en litige du 19 avril 2023 contenant cette décision, ni des pièces du dossier, que le préfet, au vu des éléments dont il disposait, et qui a notamment mentionné les trois enfants mineurs de la requérante, aurait manqué de procéder à un examen de la situation personnelle et familiale de cette dernière. Le moyen tiré du défaut d'examen doit par conséquent être écarté.

13. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré (...) ".

14. Mme E... a, depuis le 2 novembre 2022, séjourné en Italie puis en France munie d'un passeport revêtu d'un visa italien, autorisant des entrées multiples pour une durée totale de séjour de 90 jours. Ce visa expiré, il est constant qu'elle s'est maintenue sur le territoire français sans solliciter de titre de séjour. Son état de santé, caractérisé par un " diabète gestationnel " durant sa grossesse, et une affection de la thyroïde, antérieure à son entrée en France, et l'état de santé de son enfant F... née le 23 décembre 2022, ne l'empêchaient pas de solliciter la régularisation de sa situation administrative. Dès lors, aucune erreur de droit ne peut être imputée au préfet au seul motif qu'il a édicté la mesure d'éloignement en litige sur le fondement du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

15. En troisième lieu, l'enfant Djaouad Mamar, aîné de la fratrie, né en 2017, scolarisé en grande section d'école maternelle à la date de la décision attaquée, pourra poursuivre en Algérie une scolarité à peine entamée en France et l'enfant F... y bénéficier d'une surveillance médicale adaptée. L'intérêt supérieur de ces enfants n'ayant ainsi pas été méconnu par la mesure d'éloignement en litige, le moyen tiré de la méconnaissance l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

En ce qui concerne le refus de délai de départ volontaire :

16. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que l'exception d'illégalité de la mesure d'éloignement, articulée à l'encontre de la décision privant la requérante d'un délai de départ volontaire, doit être écartée.

17. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet n'a pas omis de procéder à l'examen de la situation de la requérante avant de lui refuser le bénéfice d'un délai de départ volontaire

18. En troisième lieu, lors de son audition par les services de police du 23 mars 2023, Mme E..., qui a pu exposer sa situation personnelle et familiale, a indiqué suivre un traitement, initié en Algérie, pour la thyroïde, sans être en état de vulnérabilité ni de handicap. Invitée à présenter des observations sur l'éventualité d'une mesure d'éloignement prise à son encontre, assortie d'une interdiction de retour et d'une assignation à résidence ou d'un placement en centre de rétention, elle a répondu vouloir retourner en Algérie, où ses enfants doivent grandir. Elle n'a aucunement été empêchée de faire état de circonstances expliquant son maintien irrégulier sur le territoire français, s'agissant notamment de son état de santé et de celui de sa fille F..., ni de faire état de ce qu'elle n'a pas, au contraire de son mari, été convoquée en justice suite à l'utilisation de fausses cartes d'identité italiennes. Le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit en conséquence être écarté.

19. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) / 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour / (...) / 7° L'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document (...) ".

20. Ainsi qu'il a été précédemment dit, Mme E... n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour, sans apporter de justification à cette abstention. A l'aide de fausses cartes d'identité italiennes, ce que Mme E... pouvait difficilement ignorer, la famille a indûment perçu une somme de plus de 40 000 euros de Pôle emploi, de la caisse d'allocations familiales et de la caisse primaire d'assurance maladie. Le risque de soustraction à la mesure d'éloignement étant ainsi établi, sans qu'y fassent obstacle l'état de santé de la requérante et celui de son dernier enfant qui ne constituent pas en l'espèce des circonstances particulières, c'est sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur dans la qualification juridique des faits que le préfet a refusé d'accorder à la requérante un délai de départ volontaire.

21. En cinquième lieu, pour les raisons exposées au point 15 et en l'absence d'argument pertinent relatif au délai de départ volontaire, la décision n'a pas été prise en méconnaissance de l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant.

En ce qui concerne la désignation du pays de destination :

22. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, articulée à l'encontre de la décision désignant le pays de destination, doit être écartée.

23. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet n'a pas omis de procéder à l'examen de la situation de la requérante avant de désigner le pays de renvoi.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

24. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, articulée à l'encontre de l'interdiction de retour, doit être écartée.

25. En deuxième lieu, l'arrêté du 19 avril 2023 contenant cette décision mentionne les éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement, au regard des critères prévus par l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier de la durée du séjour de la requérante. Cette décision est, par suite, motivée.

26. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet n'a pas omis de procéder à l'examen de la situation de la requérante avant d'édicter à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français.

27. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français / (...) ".

28. A la date de la décision attaquée, la durée du séjour en France de la requérante n'atteignait pas six mois. Elle n'y fait pas état d'attaches et son mari est sous le coup d'une mesure d'éloignement, assortissant un refus de séjour, prononcée le 30 mars 2023. Ainsi qu'il a été dit, le couple a utilisé de fausses cartes d'identité italiennes. La requérante ne justifie pas en l'espèce de circonstances humanitaires par l'invocation de son état de santé dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il impliquerait son séjour en France. Par suite, même si Mme E... n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, en fixant à deux ans la durée de l'interdiction de retour, le préfet du Puy-de-Dôme n'a pas entaché sa décision d'une erreur de droit ni d'une erreur d'appréciation.

En ce qui concerne l'assignation à résidence du 19 avril 2023 :

29. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, articulée à l'encontre de l'assignation à résidence, doit être écartée.

30. En deuxième lieu, l'arrêté du 19 avril 2023 portant assignation à résidence mentionne les éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement. Cette décision est, par suite, motivée.

31. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet n'a pas omis de procéder à l'examen de la situation de la requérante avant de l'assigner à résidence.

32. En quatrième lieu, pour les raisons exposées au point 15, et alors que rien ne démontre que la requérante, qui réside à Clermont-Ferrand, ne pourrait pas se rendre, avec son dernier enfant, trois fois par semaine au commissariat situé dans la même ville, pour y pointer, la décision n'a pas été prise en méconnaissance de l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant et n'est pas entachée d'une erreur de droit. Pour les mêmes raisons et même si son mari, également assigné à résidence, est astreint à une obligation quotidienne de pointage, la décision n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation.

En ce qui concerne le renouvellement d'assignation à résidence prononcé le 2 juin 2023 :

33. En premier lieu, cette décision a été signée par Mme D... B..., cheffe du service de l'immigration et de l'intégration de la préfecture du Puy-de-Dôme, qui bénéficiait pour ce faire d'une délégation de signature régulièrement consentie par un arrêté du 27 décembre 2022 du préfet du Puy-de-Dôme. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit en conséquence être écarté.

34. En deuxième lieu, l'arrêté du 2 juin 2023 mentionne les éléments de droit et de fait qui constituent le fondement du renouvellement de l'assignation à résidence. Si cet arrêté ne précise pas le lieu où la requérante est assignée, ce lieu était précisé dans l'arrêté initial d'assignation à résidence du 19 avril 2023, que l'arrêté du 2 juin 2023 renouvelle. Ce second arrêté précise dès lors suffisamment le périmètre de la mesure.

35. En troisième lieu, il ne ressort pas des motifs de la décision ni des pièces du dossier que le préfet, au vu des éléments dont il disposait, aurait manqué de procéder à un examen de la situation personnelle et familiale de Mme E..., en particulier au regard de son état de santé, de celui de son dernier enfant, de celui de son mari et de la scolarité de l'aîné des enfants. Le moyen tiré du défaut d'examen doit par conséquent être écarté.

36. En quatrième lieu, la circonstance que l'arrêté ne mentionne pas les démarches entreprises par la préfecture pour organiser le départ de Mme E... ne révèle pas la commission par le préfet d'une erreur de droit ou d'une erreur de qualification juridique des faits et ne caractérise pas une absence de toute perspective raisonnable d'exécution de l'éloignement.

37. En cinquième lieu, ainsi qu'il a été exposé au point 18, Mme E... a pu présenter ses observations sur l'éventualité d'une décision d'éloignement assortie d'une assignation à résidence et a été mise à même d'exposer sa situation personnelle et familiale, au regard de son état de santé et de celui de son dernier enfant, ainsi que tout élément qui pourrait justifier son séjour en France. Elle n'a pas, ultérieurement, transmis à la préfecture d'information concernant l'état de santé de son mari, hospitalisé pour une durée, non précisée, à compter du 2 mai 2023. Au surplus, il n'apparaît pas que cette information aurait pu conduire le préfet à ne pas renouveler l'assignation à résidence. Le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit en conséquence être écarté.

38. En sixième lieu, en se bornant à soutenir que la mesure attaquée fait obstacle au suivi médical de son dernier enfant et à la scolarisation de son enfant aîné, et à faire état de l'indisponibilité de son époux, qui serait hospitalisé en psychiatrie, la requérante ne démontre pas que cette mesure aurait été prise en méconnaissance de l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant.

39. En septième lieu, aucune pièce produite au dossier ne permet d'établir que l'état de santé de Mme E..., celui de sa fille dernière née, celui de son mari et la scolarisation de son fils aîné ainsi que la charge des trois enfants du couple empêcheraient la requérante de satisfaire à l'obligation de pointage et de demeurer à son domicile entre 6 heures et 7 heures. Le moyen d'erreur d'appréciation doit en conséquence être écarté.

40. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, les magistrats désignés par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ont rejeté ses demandes. En conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ne peuvent qu'être également rejetées ainsi que celles tendant au versement de frais de procès.

DÉCIDE:

Article 1er : Les requêtes n° 23LY02024 et n° 23LY02066 de Mme E... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E... épouse C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Puy-de-Dôme.

Délibéré après l'audience du 30 juin 2025, à laquelle siégeaient :

M. Stillmunkes, président de la formation de jugement,

M. Gros, premier conseiller,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025.

Le rapporteur,

B. Gros

Le président,

H. Stillmunkes

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 23LY02024, 23LY02066


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02024
Date de la décision : 10/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. STILLMUNKES
Rapporteur ?: M. Bernard GROS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : DEMARS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-10;23ly02024 ?
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