Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoire enregistrés le 10 octobre 2023 ainsi que les 26 avril et 3 juin 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Boralex Deux Chaises et Le Theil, représenté par Me Guiheux, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 10 août 2023 par lequel la préfète de l'Allier a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale en vue de l'implantation d'un parc éolien sur le territoire des communes de Deux-Chaises et Le Theil ;
2°) de délivrer l'autorisation et d'enjoindre à la préfète de l'Allier de mettre en œuvre les mesures de publicité nécessaires prévues aux articles R. 181-44 et R. 181-50 du code de l'environnement ;
3°) subsidiairement, d'enjoindre à la préfète de délivrer l'autorisation environnementale, dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge respectivement de l'État et des intervenants volontaires une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté ne répond pas à l'obligation de motivation d'un tel acte ;
- les intervenants n'ont pas d'intérêt à contester le projet ; l'intervention est irrecevable en ce qu'elle soulève plusieurs motifs de refus, non mentionnés dans l'arrêté contesté ; le parc éolien développé à Bransat par la société Abowind ne saurait être pris en compte ; les projets des sociétés Boralex Deux Chaises et Le Theil et Abowind n'ont pas été développés concomitamment ; rien ne justifiait que la société exposante et la société Abowind procèdent à une évaluation environnementale commune à leurs projets respectifs ; aucune insuffisance de l'étude d'impact relative à l'analyse des effets cumulés ne saurait être retenue, qu'il s'agisse de l'avifaune, des chiroptères ou du paysage ; aucune imperméabilisation significative ne résultera de la création du projet ; aucune méconnaissance de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables n'est caractérisée ; le projet ne se trouve pas dans l'aire de reproduction du Milan royal, dont la population augmente malgré un nombre de parcs éoliens croissant, et à l'écart des principales voies de migration, avec des enjeux faibles à modérés et des mesures d'évitement adaptées ; aucune atteinte aux chiroptères susceptibles de fonder le refus attaqué n'est caractérisée ; aucune atteinte paysagère excessive n'est caractérisée, notamment pour le château de Fontariol et le Bois de Max ; le moyen tiré de ce que tous les monuments historiques classés ou inscrits ne seraient pas intégrés à l'état initial est imprécis et infondé ;
- les effets du projet sur les eaux superficielles, souterraines, les zones humides et le positionnement du projet au regard de la loi sur l'eau font l'objet de développements précis et circonstanciés ;
- les inventaires de faune ont été réalisés avec sérieux ; l'aire d'étude est située à l'écart des principaux enjeux liés à l'avifaune régionale et des axes migratoires ; les inventaires réalisés sur le terrain, notamment pour les rapaces, au cours de l'ensemble des saisons sont complets ; les enjeux et risques, notamment de collision, sont d'intensité variable selon les espèces, les périodes et les types d'activité ; l'évitement a été privilégié, notamment des secteurs de prises d'ascendance (zones de pompe) récurrents ou non et des principales voies de migration, en privilégiant des solutions limitant l'effet barrière ; la zone d'ascendance située en limite de l'éolienne E5, comme pour l'éolienne E3, n'est utilisée que par la Buse variable ; compte tenu de l'alignement des éoliennes, moins d'efforts devront être fournis par les oiseaux migrateurs pour contourner le parc ; si les éoliennes E3 et E5 sont situées en limite de zone à risque fort, ce choix permet toutefois de retenir une configuration prenant en compte les enjeux migratoires ; les éoliennes ont une garde au sol élevée, entre quarante-cinq et soixante-quatre mètres, même si le modèle d'éoliennes n'est pas encore défini ; aucun niveau fort d'impact brut n'a été relevé ; des mesures de réduction comme de suivi ont été prévues ; l'impact " net " a été jugé " non significatif " sur les rapaces ;
- le site d'implantation du projet ne présente aucune sensibilité paysagère particulière ; les vues sont ponctuellement limitées par les forêts et les haies et l'ensemble présente un relief modeste d'altitude moyenne ; des éléments d'anthropisation sont présents ou prévus dans le secteur, dont des parcs photovoltaïques et éoliens ; les premières habitations sont à plus de 500 mètres et les éléments patrimoniaux ont des covisibilités éloignées ; il n'y a pas d'impacts significatifs ; l'impact est " modéré " pour sept des hameaux ou lieux-dits étudiés, seul Le Bouchet souffrant d'un impact " fort " ; pour les villages de Deux-Chaises et du Theil, les atteintes sont discrètes avec en particulier des filtres tenant à la végétation et la trame bocagère.
Par des mémoires enregistrés les 30 octobre, 28 novembre 2023 et 12 mars 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la préfète de l'Allier conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- aucune motivation insuffisante n'est caractérisée ;
- aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Par un mémoire en intervention enregistré le 23 novembre 2023 les associations Bourbon'air et Fontario Évolution, représentées par Me Azan, demandent à la cour de rejeter la requête de la société.
Elles renvoient au mémoire qu'elles avaient remis à la préfète dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation.
Par des mémoires en intervention enregistrés les 4 mars et 13 mai 2024 M. et Mme A..., les associations Bourbon'air et Fontario Évolution et D... C..., représentées par Me Azan, demandent à la cour de rejeter la requête de la société et de mettre à la charge de cette dernière une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils sont recevables à intervenir ;
- un projet sur les communes voisines de Bransat et Lafeline forme, en réalité, une seule et même opération avec celui ici contesté ; ils ont chacun intérêt à contester le projet ;
- la procédure suivie est irrégulière ; compte tenu des effets cumulés avec d'autres projets, l'article R. 122-5 du code de l'environnement a été méconnu, notamment s'agissant de l'avifaune et du paysage ; il y a eu fractionnement irrégulier des opérations menées conjointement par deux opérateurs éoliens distincts ; les communes de Theil et Laféline sont limitrophes ; l'effet d'encerclement est désormais plus certain encore avec le projet Voltalia de Tréban à moins de neuf kilomètres au nord-est ; le projet doit être repris pour démontrer sa compatibilité avec la loi AER du 10 mars 2023 ;
- le projet est incompatible avec l'avifaune locale, au regard de l'insuffisance des mesures de réduction, d'évitement et de compensation prévues ; les enjeux sont minimisés ; des enjeux forts existent notamment du fait de l'implantation du projet dans un couloir de migration principal ; le domaine de vol du Milan royal se situe entre trente et cent cinquante mètres et non pas en dessous de cinquante mètres ; le projet est manifestement insuffisamment détaillé sur la question de la perméabilisation des sols avec les fondations en béton qui seront mises en œuvre notamment dans le bois de Max ;
- le paysage est d'une grande qualité ; les photomontages ne rendent pas fidèlement compte de la réalité et en particulier des atteintes au patrimoine ;
- aucun moyen n'est fondé.
Par une ordonnance du 13 mai 2024, la date de clôture de l'instruction a, en dernier lieu, été fixée au 3 juin 2024.
M. et Mme A..., les associations Bourbon'air et Fontario Évolution et D... C... ont présenté un mémoire enregistré le 12 juin 2025.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Picard, président ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- les observations de Me Guiheux, pour la société Boralex Les Deux Chaises et Le Theil, ainsi que celles de Me Azan, pour les associations Bourbon'air et Fontario Évolution, M. et Mme A... et D... C... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 juin 2025, présentée pour la société Boralex Deux Chaises et Le Theil.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté en date du 10 août 2023, la préfète de l'Allier, sur le fondement de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, a refusé de délivrer à la société Boralex Deux Chaises et Le Theil une autorisation environnementale en vue de l'implantation sur le territoire des communes de Deux-Chaises et Le Theil, dans un secteur rural mêlant prairies agricoles et forêts de feuillus, et comportant différents hameaux et habitations, d'un parc éolien constitué de cinq éoliennes d'une hauteur en bout de pâles comprise entre cent soixante-quinze mètres et deux cents mètres, implantées en ligne selon un axe nord sud et espacées de quatre cents à cinq cents mètres. Cette société en demande l'annulation.
Sur l'intervention en défense :
2. Eu égard à la mission dont elle se trouve investie en vertu de l'article 2 de ses statuts, qui est notamment de s'opposer au " développement inadapté d'infrastructures provoquant l'artificialisation des espaces naturels et agricoles, telles que les installations industrielles éoliennes (...) dans l'Allier, (...) et plus particulièrement sur les territoires des communes de Le Theil, Deux-Chaises, Treban et de façon non limitative, des communes limitrophes ", pour en particulier veiller à la protection des espaces naturels, spécialement la flore et la faune, défendre le cadre de vie, l'environnement, la propriété, la tranquillité, la santé et la sécurité des habitants des territoires concernés et lutter, notamment par des actions devant les juridictions administratives, contre les projets d'installations industrielles de production d'énergie éolienne particulièrement dans le périmètre des communes ci-dessus, l'association Bourbon' air justifie à elle seule d'un intérêt à intervenir. Par suite, l'intervention collective qu'elle a présentée en défense avec d'autres personnes, quand bien même certains des moyens invoqués dans le cadre de cette intervention seraient inopérants au vu des motifs du refus opposés par la préfète, doit être admise.
Sur la légalité de l'arrêté :
3. L'arrêté contesté comporte les considérations de droit et éléments de fait qui en constituent le fondement. Par suite, et malgré son caractère concis, cet arrêté est motivé.
4. Aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. ". Aux termes de l'article L. 511-1 de ce code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ". Dans le cas où il estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation d'exploitation est sollicitée, que même l'édiction de prescriptions additionnelles ne permettrait pas d'assurer la conformité de l'exploitation à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, le préfet ne peut légalement délivrer cette autorisation.
5. Aux termes de l'article L. 515-44 du même code : " (...) La délivrance de l'autorisation d'exploiter est subordonnée au respect d'une distance d'éloignement entre les installations et les constructions à usage d'habitation, les immeubles habités et les zones destinées à l'habitation définies dans les documents d'urbanisme en vigueur au 13 juillet 2010 et ayant encore cette destination dans les documents d'urbanisme en vigueur, cette distance étant, appréciée au regard de l'étude d'impact prévue à l'article L. 122-1. Elle est au minimum fixée à 500 mètres. (...) ".
6. Le refus contesté s'appuie notamment sur les risques importants " d'écrasement et de surplomb " que le projet éolien est susceptible d'entraîner pour de nombreux lieux de vie et l'impact paysager fort à l'échelle des hameaux de l'aire d'étude immédiate, la préfète ayant retenu que les mesures proposées ne permettaient pas de prévenir les dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 ci-dessus, et " en particulier (...) l'altération des paysages ".
7. Pour certains des hameaux situés à moins d'un kilomètre du projet, qu'il s'agisse des hameaux de l'Escure, de la Combre, de Plissonnière ou de Fontariol, distants respectivement de cinq cent trente-six mètres, six cent soixante-trois mètres, huit cent trente mètres et huit cent soixante-huit mètres de l'éolienne la plus proche, il résulte de l'instruction, et en particulier de l'Étude patrimoniale et paysagère complétée, que l'impact a été jugé " modéré ". Ainsi, malgré une plus grande proximité, le hameau de Lescure paraît le moins affecté compte tenu d'un angle de vision horizontal faible tandis que celui de Plissonnière, qui perçoit directement les éoliennes, est le plus impacté, les autres étant en partie protégés par la présence de végétation ou d'un léger relief. Au nombre de ces hameaux figure également celui du Boucher, le plus affecté, dont une des habitations se trouve à cinq cent onze mètres de l'éolienne E02, la plus proche. L'étude d'impact relève ainsi que, depuis ce hameau, " le parc éolien présente son plus grand développement : l'angle d'occupation sur l'horizon dépasse les quatre-vingt-dix degrés. Le relief peu marqué permet une bonne lisibilité de la ligne d'implantation des éoliennes avec des inter distances relativement régulières. Les éoliennes présentent cependant une grande échelle visuelle par rapport aux motifs paysagers environnants ". Le tableau de synthèse des impacts sur les hameaux et lieux-dits les plus proches qualifie l'impact de " fort ", retenant un " grand angle de perception horizontal et vertical et la proximité des éoliennes ". Et, selon l'avis de la mission régionale de l'autorité environnementale : " le dossier montre (...) que l'impact paysager est le plus important pour le hameau du Bouchet situé immédiatement à l'ouest du site du projet et depuis lequel les éoliennes seront perçues sur un angle de 105° ". L'exploitant, pour limiter les inconvénients résultant de la présence des machines, s'est engagé à " respecter le maillage végétal existant " et à accompagner le projet d'un " nouveau linéaire de haie arborée, planté dans le secteur du projet, à 200 m minimum des éoliennes et dans la mesure du possible à plus de 400 m ", avec trois lignes qui viendront redécouper le parcellaire entre le hameau du Bouchet et le projet, pour un total de cinq cent vingt mètres linéaire, composées d'essences locales et de jeunes arbres, et d'une strate arbustive. Il reste que, compte tenu de la configuration des lieux mais également de l'agencement du parc, les éoliennes projetées, bien que prévues à plus de cinq cents mètres des lieux de vie, en sont particulièrement proches et visibles, en particulier du hameau du Boucher, et que, compte tenu de leur taille particulièrement imposante, non encore définitivement arrêtée, mais fixée dans une fourchette de cent soixante-quinze mètres à deux cents mètres, elles sont susceptibles d'exercer un important effet d'écrasement et de surplomb sur les habitations voisines et de sérieusement porter atteinte à leur environnement paysager comme d'altérer la commodité du voisinage. Il n'apparaît pas que des prescriptions additionnelles auraient permis d'assurer la conformité de l'exploitation à l'article L. 511-1 du code de l'environnement et que, plus spécialement, les plantations envisagées par l'exploitant seraient suffisantes pour restreindre notablement les effets négatifs du projet.
8. Dès lors, et pour le seul motif rappeler plus haut, la préfète de l'Allier a pu légalement se fonder sur la méconnaissance des dispositions précitées pour prendre l'arrêté contesté.
9. Il s'ensuit que la requête de la société Boralex Deux Chaises et Le Theil doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.
10. Les conclusions au titre de l'article de L. 761-1 du code de justice administrative présentées par l'association Bourbon'air et autres, qui ne sont pas des parties dans la présente instance, ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de l'association Bourbon'air et autres est admise.
Article 2 : La requête de la société Boralex Deux Chaises et Le Theil et autres est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de l'association Bourbon'air et autres sur le fondement de l'article de L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Boralex Deux Chaises et Le Theil, au préfet de l'Allier, à M. et Mme B... A..., représentants uniques des intervenants en défense en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Délibéré après l'audience du 19 juin 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2025.
Le président, rapporteur,
V-M. Picard
La présidente assesseure,
A. Duguit-Larcher
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY03186
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