Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... G... et M. E... de Pinho, agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leur fille mineure D..., ont demandé au tribunal administratif de Dijon, dans le dernier état de leurs écritures, de condamner solidairement le centre hospitalier d'Auxerre et son assureur la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), ou subsidiairement le même centre hospitalier et le docteur C... chacun pour moitié, ou subsidiairement l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à leur verser, en réparation des préjudices consécutifs à la prise en charge par ce centre hospitalier de la naissance de D..., les sommes respectives de :
- 28 376,80 euros au titre des préjudices temporaires de D... ;
- 8 007,63 euros à M. F... ;
- et 8 327,63 euros à Mme G....
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Côte-d'Or a présenté des conclusions tendant à la condamnation du même centre hospitalier à lui verser une somme de 7 160,05 euros au titre de ses débours provisoires, outre l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par un jugement avant-dire droit n° 2300623 du 21 septembre 2023, le tribunal administratif de Dijon a diligenté une expertise.
Par un jugement n° 2300623 du 12 juillet 2024, le même tribunal a rejeté la demande ainsi que les conclusions de la CPAM de la Côte d'Or et a partagé la charge des dépens entre les consorts H... et le centre hospitalier.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 septembre 2024, Mme B... G... et M. E... F..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leur fille mineure D..., représentés par Me Lion puis par le cabinet Acta publica agissant par Me Jourdain, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2300623 du 12 juillet 2024 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de condamner solidairement le centre hospitalier d'Auxerre et la SHAM, devenue la société Relyens mutual insurance, à verser, en réparation des préjudices consécutifs à la prise en charge par ce centre hospitalier de la naissance de D..., les sommes respectives de :
- 28 376,80 au titre des préjudices temporaires de D...,
- 8 007,63 euros à Mme B... G...,
- 8 007,63 euros à M. E... de Pinho.
3°) de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier d'Auxerre et de la société Relyens mutual insurance une somme de 1 500 euros à verser à chacun des deux parents de D... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme G... et M. F... soutiennent que :
- le traitement engagé avant la prise en charge hospitalière et maintenu par l'hôpital était fautif et a pu favoriser la dystocie ;
- une pelvimétrie aurait dû être réalisée ;
- des anomalies constatées au monitoring n'ont pas été prises en compte ;
- il n'y a pas eu d'information sur les risques de l'accouchement et notamment le risque de dystocie des épaules, ni sur l'éventualité d'une césarienne :
- D..., dont l'état n'est pas consolidé, a subi un déficit fonctionnel temporaire, des souffrances et un préjudice esthétique, outre ses préjudices définitifs qui ne sont pas encore établis ;
- ses parents ont chacun dû engager des frais de déplacement et ont subi un préjudice d'affection et un préjudice d'accompagnement ;
- l'absence d'information a en outre généré un préjudice d'impréparation pour chacun des parents.
Par un mémoire enregistré le 15 octobre 2024, Mme A... C..., représentée par la SCP Thierry Berland-Katia Sévin agissant par Me Sévin, conclut à ce que d'éventuelles conclusions dirigées contre elle soient rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre.
Mme C... soutient que :
- aucune conclusion n'est dirigée contre elle et elle présente des observations à titre conservatoire ;
- c'est à juste titre que le tribunal a jugé que des conclusions dirigées contre elle ne relèveraient pas de la compétence de la juridiction administrative ;
- subsidiairement, aucune faute en lien avec les séquelles de l'enfant ne lui est imputable.
Par un mémoire enregistré le 9 décembre 2024, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SCP UGGC avocats agissant par Me Welsch, conclut au rejet d'éventuelles conclusions dirigées contre lui.
L'ONIAM soutient qu'aucune conclusion n'est dirigée contre lui et que la situation ne relève en tout état de cause pas de la solidarité nationale, les séquelles résultant de la dystocie des épaules qui n'est pas en elle-même un acte de soins.
Par un mémoire enregistré le 24 janvier 2025, la CPAM de la Côte d'Or, représentée par la SELARL BdL avocats agissant par Me Philip de Laborie, conclut :
1°) à l'annulation du jugement n° 2300623 du 12 juillet 2024 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) à la condamnation solidaire du centre hospitalier d'Auxerre et de la société Relyens mutual insurance à lui verser la somme de 7 160,05 euros au titre de ses débours, outre l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge solidaire du centre hospitalier d'Auxerre et de la société Relyens mutual insurance sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La CPAM de la Côte d'Or soutient que :
- plusieurs fautes ont été commises portant sur le traitement mis en œuvre, l'absence de pelvimétrie et la surveillance insuffisante du monitoring ;
- elle justifie des débours exposés, sous la forme de frais hospitaliers, médicaux et d'appareillage.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 février 2025, le centre hospitalier d'Auxerre et la société Relyens mutual insurance, représentés par le cabinet Le Prado et Gilbert, concluent au rejet de la requête et des conclusions de la CPAM de la Côte d'Or.
Le centre hospitalier d'Auxerre et la société Relyens mutual insurance soutiennent que :
- les séquelles sont imputables à une dystocie des épaules et non à une faute médicale ;
- en l'absence de risque identifiable de dystocie, qui constituait par ailleurs lorsqu'elle s'est révélée une situation d'urgence, aucune information ne devait être fournie ;
- subsidiairement, les débours de la caisse ne sont pas suffisamment justifiés.
Par ordonnance du 9 décembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 10 février 2025 à 16h30. Par ordonnance du 6 février 2025, la clôture d'instruction a été reportée au 6 mars 2025 à 16h30.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale, ensemble l'arrêté du 23 décembre 2024 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2025 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,
- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La jeune D... est née le 6 octobre 2020 à 10h37 au centre hospitalier d'Auxerre. L'accouchement a été marqué par une dystocie des épaules et l'enfant, dont l'état n'est pas consolidé, est atteinte d'une lésion du plexus brachial droit. Ses parents, Mme G... et M. F..., dont c'est le premier enfant, ont saisi le tribunal administratif de Dijon de conclusions indemnitaires dirigées solidairement contre le centre hospitalier et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) devenue la société Relyens mutual insurance, subsidiairement contre le centre hospitalier et le docteur C..., gynécologue libérale qui a suivi la grossesse, et infiniment subsidiairement contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Côte-d'Or a par ailleurs demandé la condamnation du centre hospitalier et de son assureur au remboursement de ses débours. Par un premier jugement avant-dire droit du 21 septembre 2023, le tribunal a diligenté une expertise. Par le jugement attaqué du 12 juillet 2024, après avoir décliné la compétence de la juridiction administrative pour connaitre des conclusions dirigées contre Mme C..., le tribunal a rejeté les autres conclusions indemnitaires.
Sur les fautes médicales :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".
3. Il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise diligentée par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) de Bourgogne ainsi que de l'expertise décidée avant-dire droit par le tribunal, que la dystocie des épaules est une complication grave des accouchements, qui constitue une situation d'urgence, survenant statistiquement dans environ un cas sur 1 000 et s'accompagnant d'un taux important de morbidité, notamment du plexus brachial. Elle est largement imprévisible. Les experts s'accordent pour constater qu'en l'espèce cette complication, non prévisible initialement et constatée au stade de l'expulsion, soit au terme du travail dans les minutes précédant la naissance, a été prise en charge de façon adaptée et conforme à l'état des connaissances médicales.
4. En premier lieu, l'enfant est née avec un poids de 3,710 kg, sensiblement inférieur au seuil de la macrosomie qui, lorsqu'elle se produit, peut être un élément favorisant la dystocie des épaules. La circonstance qu'un traitement par corticothérapie susceptible notamment de favoriser un diabète gestationnel et d'influer sur la prise de poids ait été prescrit et prolongé de manière excessive par un praticien libéral durant la grossesse, n'est en tout état de cause pas imputable au centre hospitalier.
5. En deuxième lieu, si l'expert désigné par la CCI estime qu'il aurait pu être prudent de réaliser une pelvimétrie devant une possible suspicion de macrosomie, cette suspicion était erronée ainsi qu'il a été dit au point précédent et il résulte en tout état de cause des indications concordantes des experts qu'aucune recommandation n'imposait, en l'état de la science à la date de l'accouchement, le recours à cet examen. L'expertise décidée avant-dire droit par le tribunal souligne au contraire qu'il y a un accord professionnel sur l'absence d'indication à réaliser une radiopelvimétrie en cas de simple suspicion de macrosomie. Aucune faute ne peut ainsi être caractérisée sur ce point.
6. En troisième lieu, si l'expertise diligentée par la CCI fait état à partir de 5h50 d'anomalies du rythme cardiaque fœtal (RCF) qui était suivi par monitoring et soutient, sans s'expliquer suffisamment, qu'elles auraient appelé " une prise en charge " et une " interruption du travail ", il ne résulte pas de l'instruction que ces anomalies auraient été en lien avec la dystocie des épaules et aucun lien de causalité ne peut ainsi et en tout état de cause être établi entre le suivi du monitoring et les préjudices en litige. En supposant que les remarques de l'expert désigné par la CCI doivent être comprises comme suggérant qu'une césarienne aurait dû être décidée durant le travail et avant le constat d'une dystocie des épaules, il résulte des analyses claires, précises et circonstanciées de l'expertise diligentée avant-dire droit par le tribunal qu'aucune indication pour une césarienne n'était caractérisée et que l'état de l'enfant, et notamment le RCF, qui ne montrait aucun risque élevé d'acidose et ne révélait pas une situation préoccupante, ont été régulièrement suivis et pris en charge avec une accélération appropriée de l'accouchement. Aucune faute ne peut ainsi être regardée comme établie en raison des conditions de surveillance du travail et notamment du monitoring du RCF.
Sur l'information :
7. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " I. - Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser (...) ".
8. La circonstance que l'accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins de l'obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu'il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du fœtus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir. En particulier, en présence d'une pathologie de la mère ou de l'enfant à naître ou d'antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d'accouchement par voie basse, l'intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention.
9. En premier lieu, les experts concordent sur le constat d'une absence d'indication pour une césarienne au moment de la prise en charge et avant le déclenchement du travail. Ainsi qu'il a été dit, l'expertise décidée avant-dire droit par le tribunal fait apparaitre qu'aucune indication pour une césarienne n'était caractérisée durant le travail. Enfin, le constat d'une dystocie des épaules au stade de l'expulsion, qui est une urgence grave nécessitant une prise en charge immédiate par des manœuvres appropriées pour permettre une expulsion rapide sans risque d'anoxie, déconseillait une telle intervention dont les délais de mise en place auraient été excessifs. La circonstance qu'aucune information n'ait été fournie sur une telle intervention, qui n'était pas nécessaire et n'a d'ailleurs pas été pratiquée, est dès lors sans portée utile.
10. En second lieu, il résulte de l'instruction et notamment des indications concordantes des experts que la situation de dystocie était initialement imprévisible, aucune césarienne ne devant d'ailleurs être envisagée à ce stade ainsi qu'il vient d'être dit. La circonstance qu'aucune information n'ait été initialement fournie sur ce risque non prévisible ne constitue donc pas un défaut d'information imputable au centre hospitalier. Si l'expert désigné par la CRCI estime par ailleurs que, compte tenu du déroulement du travail, le risque d'une dystocie devenait plus probable au moment où il s'est réalisé, il constituait toutefois, lorsque la dystocie est survenue en fin de travail, une situation d'urgence immédiate, dispensant en conséquence le centre hospitalier de son obligation d'information. La circonstance qu'aucune information n'ait été fournie lors de la phase d'expulsion sur les risques associés aux manœuvres spécifiques qu'appelle la dystocie des épaules, qui doivent être pratiquées immédiatement et n'ont en outre aucune alternative, ne constitue dès lors pas un défaut d'information.
11. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts H... et la CPAM de la Côte-d'Or ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leurs conclusions indemnitaires.
Sur les dépens :
12. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) "
13. Dans les circonstances particulières de l'affaire, il y a lieu de mettre les dépens, correspondant à l'expertise décidée avant-dire droit par le tribunal et dont le coût a été taxé et liquidé à hauteur de 1 500 euros, à la charge entière du centre hospitalier d'Auxerre.
Sur les frais de l'instance :
14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Les dépens sont mis à la charge du centre hospitalier d'Auxerre.
Article 2 : L'article 3 du jugement n° 2300623 du 12 juillet 2024 du tribunal administratif de Dijon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... G... et M. E... de Pinho, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or, au centre hospitalier d'Auxerre, à la société Relyens mutual insurance, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à Mme A... C....
Délibéré après l'audience du 2 juin 2025, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juin 2025.
Le rapporteur,
H. Stillmunkes
Le président,
F. Pourny
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 24LY02593