Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... C... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 24 novembre 2023 par lequel la préfète du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a invitée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Par un jugement n° 2207088 du 26 janvier 2024, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 12 juin 2024, Mme C... épouse B..., représentée par Me Guérault, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;
2°) d'enjoindre à la préfète du Rhône de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " ; à défaut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt, de procéder au réexamen de sa situation, et, dans l'attente, de lui délivrer, dans un délai de huit jours, un récépissé l'autorisant à séjourner et à travailler, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, outre les intérêts au taux légal, en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le refus de délivrer un titre de séjour est entaché d'un vice de procédure à défaut de saisine sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile de la commission du titre de séjour ;
- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des critères de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article L. 423-23 du même code et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée à la préfète du Rhône, qui n'a pas présenté d'observations.
Mme C... épouse B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Boffy, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... épouse B..., ressortissante bosnienne née le 1er novembre 1983, déclare être entrée en France le 30 août 2012, accompagnée de son époux et de leurs deux premiers enfants. Elle a déposé une demande d'asile qui a été rejetée tant par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le 14 novembre 2012, que par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), le 6 septembre 2013. Par un arrêté du 13 mars 2013, dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Lyon du 11 juillet 2013 et par une ordonnance de la cour du 7 avril 2014, le préfet du Rhône a refusé à Mme C... épouse B... la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée d'office. Elle a sollicité le 4 mai 2018 la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions alors applicables des articles L. 313-11, 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et a complété sa demande par un courrier du 16 juillet 2018. Par un courrier du 12 mai 2022, Mme C... épouse B... a formé un recours gracieux à l'encontre de la décision implicite, née le 4 septembre 2018, par laquelle le préfet du Rhône lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, qui a été implicitement rejeté. Postérieurement à l'introduction de sa demande le 19 septembre 2022 devant le tribunal administratif de Lyon, tendant à l'annulation de ces décisions implicites de refus, la préfète du Rhône, par une décision expresse du 24 novembre 2023 qui s'y est substituée, lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et l'a invitée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par un jugement du 26 janvier 2024, le tribunal administratif de Lyon, qui a requalifié ses conclusions comme étant dirigées contre cette dernière décision, les a rejetées. Mme C... épouse B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation du refus de titre de séjour.
2. Aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : / (...) 4° Dans le cas prévu à l'article L. 435-1. ". Et selon les termes de l'article L. 435-1 du même code : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. (...) ".
3. Mme C... épouse B... soutient, sans être utilement contredite, que la préfète du Rhône ne justifie pas avoir saisi la commission du titre de séjour pour avis préalablement à l'édiction de la décision en litige. Or, elle justifie suffisamment, par les pièces produites au dossier, de la continuité de son séjour au France, depuis le 30 août 2012, date de son entrée en France admise par la préfète. La requérante justifie notamment de ses conditions d'hébergement, par la production d'attestations et de diverses factures, d'abord en hôtel en 2012, puis chez des tiers à Vaulx-en-Velin, puis dans le cadre d'un contrat de bail conclu le 1er février 2016 pour un logement à Bron. Elle justifie aussi de la continuité de la scolarité de ses deux aînés depuis 2012-2013, par des certificats de scolarité, un diplôme du brevet, des attestations d'enseignants. Elle justifie également des démarches du couple en vue de régulariser leur séjour en 2012-2013, ainsi que des décisions administratives et judiciaires dont ils ont fait l'objet suite aux rejets de leurs demandes d'asile, puis des démarches entreprises à compter de 2018. Elle produit également des certificats médicaux attestant de consultations et d'examens médicaux pour elle ou pour ses enfants et de passages en pharmacie, des reçus de règlement de la ville de Vaulx-en-Velin, des attributions d'aide par la Maison du Rhône, et une attestation d'un centre socio-culturel selon laquelle elle a suivi des ateliers sociolinguistiques à raison de deux fois par semaine sur l'année scolaire 2015-2016. Elle produit aussi des pièces, relatives à la situation professionnelle du couple, constituées, pour son conjoint, d'une lettre d'embauche en 2017, d'un formulaire Cerfa d'autorisation de travail en 2018 et d'une promesse unilatérale de contrat de travail en 2022, et pour elle-même, d'un formulaire Cerfa d'autorisation de travail pour aide-cuisinière en contrat à durée indéterminée (CDI) à temps partiel renseigné le 13 juillet 2018. Ces différents éléments couvrent une période de dix ans. Dans ces conditions, Mme C... épouse B... doit être regardée comme apportant suffisamment la preuve, qui lui incombe, de sa résidence habituelle en France depuis plus de dix ans. Elle est par suite fondée à soutenir que la préfète du Rhône était tenue de soumettre sa demande d'admission exceptionnelle au séjour pour avis à la commission du titre de séjour prévue par les dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avant de refuser de lui délivrer un titre de séjour. La décision, qui est entachée d'un vice de procédure, doit pour ce motif être annulée.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme C... épouse B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fins d'injonction sous astreinte :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".
6. Compte tenu de ses motifs, le présent arrêt implique seulement que la préfète du Rhône procède au réexamen de la situation de Mme C... épouse B.... Il y a lieu de lui enjoindre de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui enjoindre de délivrer à Mme C... épouse B... une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de huit jours, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. En premier lieu, Mme C... épouse B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Guérault, avocat de Mme C... épouse B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au profit de cet avocat au titre des frais liés au litige.
8. En second lieu, même en l'absence de demande tendant à l'allocation d'intérêts, les sommes allouées au titre des frais non compris dans les dépens sont productives d'intérêt dans les conditions fixées par l'article 1231-7 du code civil. Ainsi la demande de Mme C... épouse B... tendant à ce que lui soient alloués des intérêts au taux légal sur les frais mis à la charge de l'État sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, est dépourvue de tout objet et doit donc être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 26 janvier 2024 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : La décision du 24 novembre 2023 par laquelle la préfète du Rhône a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme C... épouse B... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Rhône, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, de procéder au réexamen de la situation de Mme C... épouse B... et de lui délivrer, dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt, une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'État versera à Me Guérault la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'il renonce à percevoir la contribution de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... épouse B..., au ministre d'État, ministre de l'intérieur et à Me Guérault.
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône et au procureur de la République près le tribunal judicaire de Lyon.
Délibéré après l'audience du 5 juin 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Duguit-Larcher, présidente de la formation de jugement ;
M. Chassagne, premier conseiller ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juin 2025.
La rapporteure,
I. BoffyLa présidente,
A. Duguit-Larcher
La greffière,
A. Le ColleterLa République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY01677
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