Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 17 août 2023 par lequel le préfet de la Savoie a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il serait éloigné.
Par un jugement n° 2402642 du 4 juin 2024, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 18 octobre 2024, M. E..., représenté par Me Mathis, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 17 août 2023 du préfet de la Savoie ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la décision de refus de titre de séjour :
- elle méconnaît le 2) et le 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- elle doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour et obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire enregistré le 14 janvier 2025, le préfet de la Savoie conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 7 janvier 2025, la clôture de l'instruction a été fixée le 22 janvier 2025.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Haïli, président-assesseur, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant algérien né le 10 août 1971, qui, selon ses déclarations, est entré en France le 12 juin 2017 avec son épouse, de nationalité algérienne, et leur fils, a divorcé le 16 avril 2018 et s'est remarié avec une ressortissante française, Mme A... D..., le 9 juillet 2022. L'intéressé a sollicité le 11 août 2022 la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 2) de l'article 6 de l'accord franco-algérien en tant que conjoint de français. Par l'arrêté contesté du 17 août 2023, le préfet de la Savoie a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligé à quitter le territoire dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. E... relève appel du jugement du 4 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes du 2) de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / (...) / 2. Au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; / (...) / Le premier renouvellement du certificat de résidence délivré au titre du 2 ci-dessus est subordonné à une communauté de vie effective entre les époux ".
3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ces compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre du 2) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, qui n'a pas entendu écarter l'application de ces principes. Par conséquent, si le mariage d'un étranger avec un ressortissant français est opposable aux tiers, dès lors qu'il a été célébré et publié dans les conditions prévues aux articles 165 et suivants du code civil et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'il n'a pas été dissous ou déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi de façon certaine lors de l'examen d'une demande présentée sur le fondement du 2) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 que le mariage a été contracté dans le but exclusif d'obtenir un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser à l'intéressé, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la carte de résident sollicitée.
4. A l'appui de sa requête, M. E... se prévaut de son mariage avec une ressortissante française, le 9 juillet 2022 et expose que les deux époux ont un domicile commun appartenant à sa mère et que sa femme dort fréquemment dans son ancien appartement afin de s'occuper de ses animaux de compagnie. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'audition de l'officier d'état-civil de la mairie de Chambéry conduite le 2 février 2023, communiquée au service de la police des frontières le 2 février 2023, a mis en évidence des incohérences entre les déclarations des deux époux et notamment l'absence de connaissance de la date de naissance exacte de l'autre, l'absence de connaissance respective des familles des époux, de la durée de la précédente union de M. E..., des erreurs quant aux loisirs pratiqués par l'épouse ainsi que des éléments et des réponses contradictoires quant à l'adresse de leur domiciliation, dans le dossier de mariage déposé le 2 février 2022 puis lors de l'audition en mairie. En outre, il ressort de l'enquête administrative effectuée par les services de la police aux frontières, et de l'entretien administratif conduit à la préfecture les 23 et 26 janvier 2023 que les déclarations des époux, entendus séparément, présentaient de nombreuses contradictions quant à leur adresse commune, au fil des auditions, Mme D... déclarant résider au 3 rue de Boigne avec son époux et le fils de ce dernier, l'enfant Adem E..., tandis que M. E... dans une audition ultérieure du 1er mars 2023 déclarait avoir menti sur ce point et indiquait que son épouse et son fils vivait avec lui au 10 rue du Mâconnais depuis le 12 janvier 2023. De plus, il ressort des pièces du dossier que l'épouse du requérant lors de son audition du 23 janvier 2023 s'est opposée à la visite domiciliaire par les services de la police aux frontières à l'appartement au 3 rue de Boigne, puis à nouveau lors d'une visite des policiers le 26 janvier 2023 à cette adresse, et que lors de la visite domiciliaire finalement acceptée par l'épouse le 9 février 2023, les services de police ont relevé le faible nombre d'effets personnels de l'épouse, la présence d'un seul couchage pour deux personnes et de seulement deux chaises dans la cuisine et en ont conclu que M. E... vivait seul avec son fils de façon régulière dans cet appartement. Enfin, il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'enquête de police, que la vérification domiciliaire a permis d'établir que les époux avait donné des réponses imprécises, différentes voire contradictoires sur les circonstances de leur rencontre, des conditions de leur vie commune avant comme après le mariage, ainsi que sur les personnes qui avaient été invitées à leur mariage, le requérant ayant une connaissance parcellaire des vingt invités présents au mariage et son épouse déclarant également ne pas connaître l'identité de certains des témoins du mariage et mentionnant des dates de rencontre différentes au cours des auditions réalisées. Dans ces conditions, alors que l'intéressé ne combat pas sérieusement ces éléments précis et concordants et se borne à seulement faire état du dépôt d'une demande de logement social le 15 février 2023, le préfet de Savoie a pu regarder le mariage contracté par l'intéressé le 9 juillet 2022 comme ayant un caractère frauduleux. Par suite, le préfet de Savoie a pu légalement refuser de délivrer un certificat de résident à M. E... sur le fondement des stipulations du 2) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
5. En deuxième lieu, d'une part, aux termes des stipulations de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) / Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / (...) / 5. Au ressortissant algérien qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; / (...) ".
6. M. E... ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 dès lors qu'il n'établit pas avoir déposé de demande de titre de séjour sur leur fondement.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
8. Si M. E... soutient qu'il est entré en France en juin 2017, et y réside avec son fils, issu d'un premier mariage avec une ressortissante algérienne, et avec son épouse de nationalité française, il résulte de ce qui a été dit au point 4 du présent arrêt, que l'appelant n'est pas fondé à se prévaloir de cette relation et de cette vie commune au titre de sa vie privée et familiale en France. Par suite, alors que l'appelant a constitué l'essentiel de sa vie privée, familiale et sociale en Algérie pour y avoir vécu au moins jusqu'à l'âge de quarante-six ans et où résident sa mère et ses frères, il n'est, dans ces conditions, pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
9. La décision portant refus de titre de séjour n'étant entachée d'aucune des illégalités alléguées, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision, invoqué à l'appui des conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français doit, en conséquence, être écarté.
10. La décision portant obligation de quitter le territoire n'étant entachée d'aucune des illégalités alléguées, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision, invoqué à l'appui des conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination doit, en conséquence, être écarté
11. Il résulte de ce qui précède que l'appelant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juin 2025.
Le rapporteur,
X. Haïli
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY02942