La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/05/2025 | FRANCE | N°23LY02798

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 22 mai 2025, 23LY02798


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du directeur général adjoint des finances publiques du 13 novembre 2020 lui infligeant la sanction de révocation.



Par un jugement n° 2100314 du 4 juillet 2023, le tribunal a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour



Par une requête et des mémoires enregistrés le 31 août 2023 ainsi que les 7 et 18 avril 2025, ce dernier n'aya

nt pas été communiqué, Mme B..., représentée par Me Coureau, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;

...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du directeur général adjoint des finances publiques du 13 novembre 2020 lui infligeant la sanction de révocation.

Par un jugement n° 2100314 du 4 juillet 2023, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires enregistrés le 31 août 2023 ainsi que les 7 et 18 avril 2025, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Mme B..., représentée par Me Coureau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce que les premiers juges n'ont ni visé ni n'ont examiné les moyens qu'elle avait présentés en première instance, tirés de la méconnaissance des garanties accordées par le guide de déontologie des agents de la direction générale des finances publiques (DGFIP), de la dénonciation de certaines des conditions du déroulement de l'entretien, de l'inapplication et de la marginalisation de l'exercice des droits de la défense dès la phase administrative, ainsi que du manquement aux dispositions du code de déontologie des auditeurs de la DGFIP et du code de déontologie composant le cadre de référence internationale des pratiques professionnelles ;

- l'audition du 2 septembre 2019 a eu lieu par surprise, à son retour de congé, sans convocation préalable ; elle n'a pas été informée de son droit à l'assistance d'un représentant syndical ou d'un autre agent de la DGFIP, et a été privée d'exercer effectivement ce droit en méconnaissance du paragraphe 2.1.1.2 du premier chapitre du titre 3 du guide de déontologie des agents de la direction générale des Finances publiques ; elle a ainsi été privée d'une garantie ;

- elle n'a pas été informée, à l'occasion de cette audition, de son droit de se taire, qu'elle tient de la constitution et plus particulièrement de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- à défaut de communication des griefs formulés à son encontre avant son audition et d'assistance d'un représentant syndical, l'audit a méconnu les droits de la défense, qui trouvent à s'appliquer dès la phase d'enquête administrative, ce qui relève d'un principe général du droit et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, s'imposant même sans texte, en méconnaissance de l'article 6§2 de la convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme, alors que l'administration a ensuite porté plainte contre elle et que des réquisitions ont été décidées à son encontre par le procureur de la République ;

- elle a subi lors de cette audition des pressions afin d'obtenir ses aveux ; ses propos n'ont pas été retranscrits avec loyauté ; les propos sont simplifiés ; l'audit et l'audition n'ont été conduits que dans la perspective de poursuites disciplinaires ; la procédure disciplinaire diligentée ensuite n'était que de pure forme ;

- les opérations litigieuses n'ont pas été corroborées par des tiers, en méconnaissance des articles 1.1, 4.1 et 4.2 du code de déontologie des auditeurs de la DGFIP, et des dispositions 2030, 2230 et 2330 des normes internationales pour la pratique professionnelle de l'audit interne du cadre de référence internationale des pratiques professionnelles ; les résultats et conclusions de la mission d'audit ne sont par suite pas valables ;

- les vérifications dans l'application Hélios n'ont été conduites que lorsque cela était possible ; la matérialité des faits reprochés n'est ainsi pas établie ; l'administration n'apporte pas d'éléments suffisamment sérieux, précis et concordants pour établir qu'elle s'est rendue coupable de détournements de fonds pour un montant total de 62 335,95 euros, ce dont ses " aveux " ne la dispensaient pas ; elle n'a d'ailleurs jamais reconnu avoir détourné des fonds publics ; elle a seulement, par courrier, évoqué de possibles irrégularités dans des actes et contrôles ; l'audit n'a pas procédé aux vérifications qui auraient permis de s'en assurer ;

- la preuve de l'imputabilité de toutes les dépenses injustifiées en espèces à la caisse, de toutes annulations de recettes en espèces à la caisse, et de tous les manquants en écriture devait être apportée poste par poste pour les années 2017 à 2019 ; l'administration a procédé par simplification et a fait preuve de négligence ; les tableaux produits dans l'audit relèvent d'hypothèses ; ces montants pouvaient résulter d'erreurs ou d'échanges de monnaie de fonctionnaires en situation de surmenage et débordés ; un audit correctement mené aurait pu conduire à écarter toute imputabilité, d'autant que l'audit comporte des erreurs au regard des normes comptables ; la faute ne peut résulter de suspicions ;

- la trésorerie est en difficulté, en sous-effectif, et les contrôles préventifs ne sont pas effectués, ce qui créé les conditions d'erreurs ou d'irrégularités ; l'incidence de qualité comptable est qualifié d'assez faible ; les extractions Hélios montrent que les comptes de tiers ne sont pas suivis régulièrement et font apparaitre de nombreuses anomalies ; la hiérarchie est coupable de négligences ; la responsabilité d'autres agents n'a pas été explorée, dont notamment un agent qui la remplaçait ponctuellement et avait en charge l'encaissement des chèques ;

- cette procédure a été pour elle à l'origine de la dégradation de son état de santé, alors qu'elle était déjà en épuisement professionnel et qu'elle était très impliquée avec un très bon sens du service publique.

Par des mémoires enregistrés les 13 mai 2024 et 23 avril 2025, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le jugement n'avait pas à viser le guide de déontologie des agents de la DGPIF ni le code de déontologie des auditeurs de la DGPIF, dès lors que ces guides sont dépourvus de valeur réglementaire ; le jugement, qui répond au moyen tiré du non-respect des droits de la défense et est suffisamment motivé, n'est entaché d'aucune irrégularité ;

- le droit de se taire ne s'applique pas aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle et le moyen est inopérant ;

- le principe du contradictoire ne s'applique pas à l'enquête administrative mais à la procédure disciplinaire ; la requérante a été représentée lors du conseil de discipline du 20 octobre 2020 et ce principe n'a pas été méconnu ;

- il s'en remet à ses écritures de première instance pour le surplus.

Par une ordonnance du 7 avril 2025, l'instruction a été close, en dernier lieu, au 28 avril 2025.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ;

- le décret n° 2011-775 du 28 juin 2011 relatif à l'audit interne dans l'administration ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Boffy, première conseillère ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Coureau, pour Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., contrôleuse principale de 2ème classe employée par la direction départementale des finances publiques de la Savoie et affectée à la trésorerie de Beaufort, relève appel du jugement du 4 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation l'arrêté du directeur général adjoint des finances publiques du 13 novembre 2020 lui infligeant la sanction de révocation.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. Il résulte du jugement attaqué que celui-ci a visé l'ensemble des moyens présentés par Mme B... à l'appui de ses conclusions. En outre, les premiers juges ont répondu au moyen, au demeurant inopérant, tiré de la violation des droits de la défense lors de la phase d'enquête administrative, notamment au regard des conditions dans lesquelles se serait déroulée l'audition du 2 septembre 2019. Ils n'avaient par ailleurs pas à répondre aux moyens, inopérants, tirés de ce que cette enquête aurait été conduite en méconnaissance des garanties accordées par le guide de déontologie des agents de la direction générale des finances publiques et des dispositions du code de déontologie des auditeurs de la DGFIP et des normes constituant le cadre de référence internationale des pratiques professionnelles. Ce jugement, alors que les premiers juges n'avaient pas à répondre à l'ensemble des arguments de la requérante, est motivé et n'est dès lors entaché d'aucune irrégularité.

Sur la légalité de la sanction du 13 novembre 2020 :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

5. De telles exigences impliquent que l'agent public faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l'autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l'informer du droit qu'il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent.

6. Si Mme B... se prévaut de ce qu'elle n'a pas été informée, à l'occasion de son audition le 2 septembre 2019, de son droit de se taire, il apparaît toutefois que cet entretien a été conduit dans le cadre d'un audit débuté le 22 août 2019. Plus précisément, il apparaît que cette audition a été précédée par une analyse d'extractions dans l'application Hélios, la constitution d'échantillons d'écritures, un contrôle sur place de la caisse et de la trésorerie de Beaufort, un examen du poste de l'intéressée ainsi que par des entretiens avec l'encadrement et le chef de poste. Rien ne permet de dire que cet audit, qui a été complet et approfondi, n'aurait été conduit que dans la perspective de poursuites disciplinaires. Il a donné lieu à un rapport remis le 27 novembre 2019, avant l'engagement le 10 février 2020 de la procédure disciplinaire elle-même, aucun élément du dossier ne laissant même supposer que cette dernière n'aurait été que de pure forme ou qu'elle aurait été victime d'un détournement de procédure. Par suite, la requérante ne peut utilement se prévaloir de l'absence d'information sur son droit de se taire.

7. En deuxième lieu, d'une part, les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives au droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, qui ne sont applicables qu'aux procédures contentieuses suivies devant les juridictions lorsqu'elles statuent sur des droits et obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale, ne peuvent être invoquées pour critiquer les conditions dans lesquelles une enquête administrative, dépourvue de caractère juridictionnel, a pu se dérouler, alors même qu'elle aurait conduit au prononcé d'un révocation pour motif disciplinaire d'un agent de droit public. Et en tout état de cause, il n'est pas même allégué que le déroulement de cette procédure aurait pu porter atteinte au caractère équitable de la procédure contentieuse ultérieurement engagée devant le juge de l'excès de pouvoir. Il n'apparaît pas, d'autre part, que Mme B... n'aurait pas été en mesure, tout au long de la procédure disciplinaire, de faire valoir des éléments de nature à atténuer les fautes susceptibles de lui être reprochées. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le rapport d'audit aurait porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense et à l'égalité des armes doit, en tout état de cause, être écarté.

8. En troisième lieu, les irrégularités, même à supposer qu'elles sont avérées, qui affecteraient l'audit interne préalable à la procédure disciplinaire, sont sans incidence sur la régularité de cette dernière procédure. Le fait que cet audit n'aurait pas respecté certaines dispositions du code de déontologie des auditeurs de la DGFIP et des normes constituant le cadre de référence internationale des pratiques professionnelles pour l'audit interne ne faisait pas par lui-même obstacle à sa prise en compte pour établir la matérialité des faits au stade de la procédure disciplinaire.

9. En dernier lieu, la requérante soutient, au vu du compte-rendu du 2 septembre 2019, que ses propos auraient été déformés ou simplifiés et qu'elle n'aurait jamais reconnu le chef de détournement de fonds publics mais uniquement des erreurs. Il apparaît toutefois que son audition est rapportée avec précision, sans que la restitution des faits soit à l'évidence erronée ou faussée et que, notamment à la lecture de son courrier du 10 septembre 2019, elle a reconnu les faits fautifs. Le rapport d'audit, établi au regard des journaux de caisse et de l'application Hélios, montre que les opérations frauduleuses ont été commises les jours de présence de Mme B... et sous son nom dans l'application, si bien qu'aucun autre agent ne pouvait être incriminé, alors que le système de compensation mis en place était complexe et incompatible avec de simples erreurs récurrentes. Par suite, et par adoption, pour le surplus, des motifs retenus par le tribunal, le moyen tiré de ce que les faits reprochés seraient matériellement inexacts doit être écarté en toutes ses branches.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 6 mai 2025 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

Mme Boffy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mai 2025.

La rapporteure,

I. BoffyLe président,

V-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 23LY02798

kc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02798
Date de la décision : 22/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-12-03-02 Fonctionnaires et agents publics. - Agents contractuels et temporaires. - Fin du contrat. - Refus de renouvellement.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Irène BOFFY
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : COUREAU DAVY

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-22;23ly02798 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award