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20/05/2025 | FRANCE | N°24LY01571

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 20 mai 2025, 24LY01571


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, de condamner solidairement la communauté de communes ... et la société Suez Eau France à lui verser la somme de 204 134,51 euros en réparation du préjudice que lui a causé un sinistre intervenu le 17 juin 2013 sur le réseau des eaux usées et, d'autre part, de leur enjoindre de justifier et régulariser le droit de passage de la canalisation sur son terrain, de vérifier le dimensionnement du ré

seau, de poser des clapets anti-retours sur les branchements et de réaliser un nettoyage comp...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, de condamner solidairement la communauté de communes ... et la société Suez Eau France à lui verser la somme de 204 134,51 euros en réparation du préjudice que lui a causé un sinistre intervenu le 17 juin 2013 sur le réseau des eaux usées et, d'autre part, de leur enjoindre de justifier et régulariser le droit de passage de la canalisation sur son terrain, de vérifier le dimensionnement du réseau, de poser des clapets anti-retours sur les branchements et de réaliser un nettoyage complet du réseau, dans un délai de deux mois, ou à défaut de lui verser une somme complémentaire de 30 000 euros.

La communauté de communes ... a appelé en garantie la société Suez Eau France.

Par un jugement n° 2105966 du 26 mars 2024, le tribunal administratif de Grenoble, d'une part, a condamné solidairement la communauté de communes Lyon-Saint-Exupéry-en- Dauphiné et la société Suez Eau France à verser à M. A... la somme de 31 177 euros et, d'autre part, a condamné la société Suez Eau France à garantir la communauté de communes ... dans une proportion de 80 %.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 mai 2024, ensemble un mémoire complémentaire enregistré le 13 septembre 2024, M. B... A..., représenté par Me Juveneton, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement n° 2105966 du 26 mars 2024 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il n'a fait droit que partiellement à ses conclusions indemnitaires et à ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'injonction ;

2°) de condamner solidairement la communauté de communes Lyon-Saint-Exupéry-en- Dauphiné et la société Suez Eau France à lui verser la somme de 216 046,41 euros en réparation du préjudice que lui a causé un sinistre intervenu le 17 juin 2013 sur le réseau des eaux usées ;

3°) d'enjoindre à la communauté de communes ... et subsidiairement à la société Suez Eau France de justifier et régulariser le droit de passage de la canalisation sur son terrain, de vérifier le dimensionnement du réseau, de poser des clapets anti-retours sur les branchements et de réaliser un nettoyage complet du réseau et de créer un nouveau collecteur spécifique, dans un délai de deux mois, ou à défaut de les condamner à lui verser une somme complémentaire de 30 000 euros

4°) de mettre à la charge solidaire de la communauté de communes Lyon-Saint-Exupéry-en-Dauphiné et de la société Suez Eau France une somme de 15 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre de la procédure de première instance ;

5°) de mettre à la charge solidaire de la communauté de communes ... et de la société Suez Eau France une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre de la procédure d'appel.

M. A... soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- c'est à juste titre que le tribunal a écarté les fins de non-recevoir et l'exception de prescription et qu'il a retenu la responsabilité solidaire de la communauté de communes et de la société Suez Eau France en écartant toute faute exonératoire de la victime ;

- il a subi des préjudices matériels liés à des travaux d'urgence, des désordres et des frais d'expertise judiciaire et d'assistance ;

- il a subi des pertes financières ;

- il a subi un préjudice de jouissance et un préjudice moral ;

- il a subi un préjudice du fait de la résistance abusive de la communauté de communes ;

- c'est à tort que le tribunal a refusé de prononcer les injonctions sollicitées, nécessaires pour prévenir un nouveau sinistre ;

- le montant alloué par le tribunal au titre des frais non compris dans les dépens est insuffisant.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 août 2024, ensemble un mémoire complémentaire enregistré le 1er octobre 2024, la SAS Suez Eau France, représentée par la SELARL ADK agissant par Me Laurenon, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre incident, à l'annulation du jugement n° 2105966 du 26 mars 2024 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a fait droit partiellement aux conclusions de M. A... et au rejet de ces conclusions ;

3°) subsidiairement et à titre provoqué, à l'annulation du même jugement en tant qu'il a fait droit partiellement aux conclusions d'appel en garantie de la communauté de communes ... et au rejet de ces conclusions.

La société Suez Eau France soutient que :

- les conclusions de M. A... sont prescrites par application du délai de cinq ans fixé par l'article 2224 du code civil ;

- le sinistre est au moins partiellement imputable au caractère non conforme de l'installation de M. A..., sa cause exacte n'étant en réalité pas identifiée et ne pouvant lui être imputée ;

- subsidiairement, le sinistre est imputable au moins partiellement à la communauté de communes, dans une proportion d'au moins 80 %, alors qu'elle n'est elle-même que délégataire dans le cadre d'un affermage ;

- les montants demandés, tant en première instance qu'en appel, sont excessifs et non justifiés ;

- aucune injonction ne peut lui être adressée dès lors que le contrat de délégation a pris fin.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 septembre 2024, la communauté de communes ..., représentée par la SCP Pyramide avocats agissant par Me Romulus, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre incident, à l'annulation du jugement n° 2105966 du 26 mars 2024 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a fait droit partiellement aux conclusions de M. A... et au rejet de ces conclusions ;

3°) subsidiairement et à titre provoqué, à la réformation du jugement en tant qu'il n'a fait droit que partiellement à ses conclusions à fin d'appel en garantie dirigées contre la société Suez Eau France et à la condamnation de cette société à la garantir entièrement ;

4°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La communauté de communes ... soutient que :

- sa responsabilité ne peut être recherchée, dès lors que l'assainissement est une compétence communale en application de l'article L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales ;

- sa responsabilité ne peut être recherchée dès lors qu'elle a délégué à la société Suez l'entretien du réseau ;

- subsidiairement, si sa responsabilité était retenue elle devrait être garantie par la société Suez Eau France ;

- elle n'a pas commis de faute dans la gestion du sinistre ;

- M. A... a en outre commis une faute exonératoire, dès lors que le sinistre n'a été rendu possible que par la non-conformité de ses installations ;

- s'agissant des préjudices, les demandes de majoration ne sont pas justifiées ;

- aucune injonction ne peut lui être adressée, les mesures demandées ne relevant pas de sa compétence.

Par ordonnance du 28 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 16 septembre 2024 à 16h30. Par ordonnance du 16 septembre 2024, la clôture d'instruction a été reportée au 16 octobre 2024 à 15h30.

Un mémoire complémentaire, présenté pour la société Suez Eau France et enregistré le 13 septembre 2024, n'a pas été communiqué en l'absence d'éléments nouveaux.

Un mémoire complémentaire, présenté pour la communauté de communes ... et enregistré le 15 octobre 2024, n'a pas été communiqué en l'absence d'éléments nouveaux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- les observations de Me Juveneton, représentant M. A...,

- les observations de Me Calvet-Baridon, représentant la communauté de communes ...,

- et les observations de Me Laurendon, représentant la société Suez Eau France.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... est propriétaire d'une maison dans la commune de ..., où il réside. Le 17 juin 2013, il a été victime d'un important refoulement d'eaux usées. Par le jugement attaqué du 26 mars 2024, le tribunal administratif de Grenoble a condamné solidairement la communauté de communes ... et la société Suez Eau France à l'indemniser à hauteur de 31 177 euros et a par ailleurs condamné cette société à garantir cette communauté de communes dans la limite de 80 %.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. En premier lieu, il résulte de l'article R. 421-1 du code de justice administrative qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au paiement d'une somme d'argent est irrecevable. En revanche, les termes du second alinéa de l'article R. 421-1 n'impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l'existence d'une décision de l'administration s'apprécie à la date de son introduction. Cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l'administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle. Par suite, l'intervention d'une telle décision en cours d'instance régularise la requête, sans qu'il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l'administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l'absence de décision. En l'espèce, M. A... a formé une demande préalable, reçue le 5 août 2022 par la communauté de communes et qui avait été rejetée tacitement avant que le tribunal statue. La fin de non-recevoir invoquée en première instance par la communauté de communes et tirée du défaut de décision préalable doit en conséquence être écartée.

3. En second lieu, les conclusions, relatives à une créance née de travaux publics, dirigées contre une personne privée, ne sauraient être rejetées comme irrecevables faute de la décision préalable prévue par l'article R. 421-1 du code de justice administrative. La fin de non-recevoir invoquée en première instance par la société Suez Eau France et tirée de l'absence de décision préalable doit en conséquence être écartée.

Sur les conclusions indemnitaires de M. A... et les conclusions incidentes de la communauté de communes ... et de la société Suez Eau France :

4. M. A... recherche la responsabilité solidaire de la communauté de communes et de la société Suez Eau France, en leurs qualités respectives de maître de l'ouvrage et de gestionnaire délégué, au titre du réseau public d'assainissement.

En ce qui concerne l'exception de prescription :

5. Aux termes de l'article 2224 du code civil, qui définit le délai de prescription de droit commun et son point de départ : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Il résulte de ces dispositions que la prescription qu'elles instituent court à compter de la manifestation du dommage, c'est-à-dire de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage, quand bien même le responsable de celui-ci ne serait à cette date pas encore déterminé. Par ailleurs, une citation en justice, au fond ou en référé, n'interrompt la prescription qu'à la double condition d'émaner de celui qui a la qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait.

6. Il résulte de l'instruction que le sinistre est survenu le 17 juin 2013. M. A... a saisi son assureur, qui a diligenté une expertise. Le rapport, réalisé par un expert technique en bâtiment, a été achevé le 17 octobre 2015. Il expose très clairement que le sinistre a été causé par le réseau public d'assainissement, dont les canalisations étaient saturées et bouchées, provoquant le reflux qui est à l'origine des dommages subis par M. A.... Le rapport, assorti de plusieurs photographies, identifie par ailleurs les travaux qui ont dû être réalisés en urgence et donne un premier état des dommages. Ainsi, M. A... avait, à cette date, des éléments suffisants sur le fait générateur et les dommages en résultant, pour pouvoir utilement engager une procédure lui permettant de rechercher une indemnisation de ses préjudices, le cas échéant en sollicitant au préalable une nouvelle expertise, qui aurait interrompu le délai de prescription. S'il a saisi le 12 octobre 2016 le juge des référés du tribunal de grande instance de Vienne d'une demande d'expertise, cette action n'était dirigée que contre son assureur. S'il a étendu son action à la communauté de communes le 3 mars 2017, M. A... n'a dirigé aucune conclusion contre la société Suez Eau France, alors que l'affermage du service d'assainissement dont elle bénéficie avait été évoqué. Dès lors, celle-ci, qui est une société privée et relève donc du régime de prescription défini par les dispositions précitées du code civil, est fondée à soutenir qu'à la date d'enregistrement au tribunal administratif de Grenoble des conclusions indemnitaires dirigées contre elle, soit le 7 septembre 2021, cette action était prescrite. L'exception de prescription invoquée par la société Suez Eau France doit, en conséquence, être accueillie.

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

7. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.

8. Toutefois, en cas de délégation limitée à la seule exploitation d'un ouvrage, comme c'est le cas en matière d'affermage, si la responsabilité des dommages imputables au fonctionnement de l'ouvrage relève du délégataire, sauf stipulations contractuelles contraires, celle résultant de dommages imputables à son existence, à sa nature et à son dimensionnement appartient à la personne publique délégante.

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction et notamment des analyses de l'expert désigné par le juge judiciaire et dont le rapport a été achevé le 28 septembre 2019, que le sinistre qui a touché la propriété de M. A... trouve son origine dans une surpression du réseau public d'assainissement, du fait de la combinaison, en amont, d'une mise en charge de la canalisation générale, augmentée par la poussée d'un relevage et, en aval, d'un engorgement important de la canalisation générale bloquant le passage des eaux usées, alors que les tampons des regards sont en fonte et clavetés, de telle sorte qu'ils ne se soulèvent pas et ne permettent pas en cas de saturation l'évacuation des eaux usées, qui sont dès lors renvoyées sur les réseaux avoisinants. Ce phénomène a entrainé un refoulement qui a envahi le réseau privatif de M. A... et entrainé l'afflux de matières usées sur son terrain.

10. L'expert souligne que l'engorgement de la canalisation générale résulte de l'accumulation progressive de dépôts graisseux, sans qu'aucune opération d'entretien et en particulier de désobstruction n'ait été réalisée. Les dommages doivent ainsi être regardés comme résultant du mauvais entretien du réseau public d'assainissement. Le mécanisme de blocage des tampons, qui a empêché que la saturation du réseau puisse être réduite sans reporter les eaux usées sur les propriétés voisines et a ainsi contribué directement au dommage, relève en revanche d'une mauvaise conception du réseau qui n'est pas apte à gérer une situation de surpression. Il en sera fait une juste appréciation, dans les circonstances de l'espèce, en retenant que les dommages sont liés, pour 80 %, au défaut d'entretien du réseau d'assainissement et, pour 20 %, à sa mauvaise conception.

11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction et notamment du contrat de délégation, des diverses pièces produites et des recherches techniques de l'expert, que la partie de la canalisation générale du réseau d'assainissement qui est à l'origine des dommages relève de la communauté de communes et a été affermée à la société Suez Eau France, qui est seule chargée de l'entretien des canalisations et notamment des opérations de désobstruction par l'article 6-2 du contrat d'affermage, ainsi que par l'article 7-1, la collectivité publique délégante étant en revanche seule en charge de l'installation des regards aux termes de l'article 6-3 du même contrat.

12. D'une part, eu égard à ce qui a été dit sur la prescription de l'action indemnitaire de M. A... en tant qu'elle est dirigée contre la société délégataire, aucune condamnation ne peut être prononcée contre celle-ci. La communauté de communes, autorité délégante, ne peut par ailleurs pas voir sa responsabilité recherchée solidairement au titre d'un défaut d'entretien du réseau affermé.

13. D'autre part, la responsabilité de la communauté de communes est en revanche engagée, à hauteur de 20 % des dommages, au titre du défaut de conception du réseau et en particulier des regards, qui relève de sa responsabilité en tant qu'autorité délégante.

14. En troisième lieu, il est constant que l'installation privative de M. A... n'était pas munie du clapet anti-retour qui est imposé par l'article 44 du règlement sanitaire départemental, qui était en vigueur au moment du sinistre et dont l'objet est " d'éviter le reflux des eaux d'égout ". Cette installation était ainsi non conforme, alors que le respect de la réglementation aurait évité que la propriété de M. A... soit touchée par le phénomène de refoulement des eaux usées, ou aurait au moins sans doute permis de limiter les dommages. Toutefois, ainsi que l'a relevé l'expert, M. A... a réalisé son installation, en perspective de son raccordement au réseau d'assainissement, en ayant recours à une entreprise agréée par le SIVOM alors en charge du réseau d'assainissement, aux droits duquel vient la communauté de communes, et sous le contrôle du SIVOM. M. A... n'ayant aucune connaissance technique en la matière et ayant pu légitimement se référer aux prestations réalisées sous l'aval et avec l'accord du SIVOM, aucune faute exonératoire de nature à réduire la responsabilité de la communauté de communes ne peut, dans les circonstances de l'espèce, lui être imputée.

15. Il résulte de ce qui précède que la communauté de communes ... est responsable, dans la limite de 20 %, des dommages causés à M. A....

En ce qui concerne les préjudices :

16. En premier lieu, il résulte de l'instruction et notamment des vérifications précises de l'expert judiciaire, que les dommages causés par le reflux d'eaux usées ont nécessité le pompage des eaux et matières, le remplacement des terres fortement souillées, ainsi que des travaux de terrassement et de remplacement de la canalisation intérieure de M. A..., qui avait été détériorée, pour un montant total évalué par l'expert à 13 000 euros. Si M. A... demande la majoration de cette somme, en invoquant des frais d'entretien de son micro-tracteur, le lien de causalité entre les factures produites, qui datent de 2017, et le sinistre n'est pas établi. Si M. A... fait également valoir des travaux divers portant sur des caniveaux, un muret et un mur de soutènement, l'expert a relevé que ces travaux étaient sans lien avec le sinistre, qui impliquait uniquement les travaux ayant porté sur la canalisation intérieure et l'enlèvement des terres souillées ainsi que leur remplacement, sans impliquer les autres travaux d'aménagement invoqués. La circonstance que M. A... produise un nouveau devis, datant de 2020, qui fait état de divers travaux envisagés d'aménagement de sa propriété, ne permet pas d'établir leur lien avec le dommage lié au refoulement d'eaux usées en 2013. Les dommages matériels liés à la réparation des dégâts causés par le refoulement d'eaux usées doivent ainsi être évalués à 13 000 euros.

17. En deuxième lieu, M. A... fait valoir des frais d'assistance aux expertises d'assurance de 2015 et judiciaire de 2019, pour les montants respectifs de 600 et 400 euros. Ces frais ont été utiles et doivent être pris en compte. En revanche, l'utilité des constats d'huissier dressés en 2021 et 2024, alors qu'une expertise judiciaire avait eu lieu, et qui ne fournissent aucune donnée exploitable sur les dommages issus du refoulement d'eaux usées, n'est pas établie. Enfin, M. A... établit avoir dû supporter le coût de l'expertise ordonnée en référé par le juge judiciaire, qui lui a laissé la charge provisoire des dépens, à hauteur d'un montant total taxé et liquidé, par ordonnance du 9 décembre 2019 du juge taxateur du tribunal de grande instance de Vienne, de 9 407,70 euros. Ces frais divers de procédure s'élèvent ainsi au montant total de 10 407,70 euros.

18. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le dommage subi du fait du reflux d'eaux usées, dont l'expert a constaté qu'il avait été remédié, aurait fait obstacle à un projet de construction envisagé par ailleurs par M. A... en 2015. Le courrier d'une entreprise daté du 10 octobre 2017 qu'il produit fait au demeurant plutôt état d'une difficulté liée à une ligne électrique. Il n'est dès lors pas fondé à demander une indemnisation au titre de l'abandon de ce projet.

19. En quatrième lieu, M. A... a manifestement subi un préjudice de jouissance du fait de l'afflux de matières sur son terrain et de la durée des travaux rendus nécessaires pour y remédier, évaluée par l'expert à un mois, dont il sera fait une juste appréciation, en suivant la proposition de l'expert, en l'évaluant en l'espèce à hauteur de 2 000 euros. Il a également subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, dont il sera fait une juste appréciation en les évaluant en l'espèce à une somme de 3 000 euros. En revanche, alors que les dommages résultent essentiellement d'un défaut d'entretien du réseau, qui ne relève pas de la communauté de communes dès lors que le réseau est affermé, M. A... n'est pas fondé à soutenir que celle-ci lui aurait opposé une résistance abusive. Les préjudices moral et de jouissance de M. A... s'élèvent ainsi au montant total de 5 000 euros.

20. Il résulte des points 16 à 19 qui précèdent que le préjudice total de M. A... en lien avec les dommages subis en raison du refoulement d'eaux usées, s'élève à 28 407,70 euros. Compte tenu de la part de responsabilité de la communauté de communes, limitée à 20 %, celle-ci doit, en conséquence, être condamnée à lui verser la somme totale de 5 681,54 euros.

Sur les conclusions de la communauté de communes Lyon-Saint-Exupéry- en-Dauphiné et de la société Suez Eau France relatives au litige d'appel en garantie :

21. Un appel en garantie formé par une personne publique moins de cinq ans après la requête par laquelle la victime a sollicité la mise à sa charge de l'indemnisation contre laquelle cette personne publique demande à être garantie n'est pas atteint par la prescription prévue par l'article 2224 du code civil. La circonstance que l'action de M. A... contre la société Suez Eau France serait atteinte par la prescription est ainsi sans incidence sur l'action en garantie dirigée contre cette société par la communauté de communes, qui est une action distincte, formée sur le terrain contractuel et dont le fait générateur est l'action indemnitaire de la victime contre la collectivité publique qui demande à être garantie.

22. Par ailleurs, la communauté de communes, dont la situation est aggravée dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit qu'elle est seule condamnée à indemniser M. A..., est recevable, par la voie de l'appel provoqué, à contester le jugement en tant qu'il ne fait droit que partiellement à ses conclusions d'appel en garantie. La société Suez Eau France, dont la situation n'est pas aggravée, est dans ces conditions elle-même recevable à contester le jugement sur le même point, par des conclusions incidentes à cet appel provoqué.

23. Dès lors que, ainsi qu'il a été exposé, la société Suez Eau France, bénéficiaire d'un affermage et la communauté de communes, autorité délégante, ne sont pas responsables solidairement, mais doivent chacune répondre de la partie des dommages relevant de leur responsabilité propre, la communauté de communes n'est pas fondée à demander à être garantie par la société délégataire au titre de sa part de responsabilité liée à la mauvaise conception du réseau, ce qui échappe à la compétence de la société délégataire. Les conclusions d'appel en garantie présentées par la communauté de communes doivent en conséquence être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

24. La personne qui subit un préjudice direct et certain du fait du comportement fautif d'une personne publique peut former devant le juge administratif une action en responsabilité tendant à ce que cette personne publique soit condamnée à l'indemniser des conséquences dommageables de ce comportement. Elle peut également, lorsqu'elle établit la persistance du comportement fautif de la personne publique responsable et du préjudice qu'elle lui cause, assortir ses conclusions indemnitaires de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets. Il résulte en l'espèce de l'instruction que le dommage causé à la propriété de M. A... a été remédié, dans un délai que l'expert évalue à un mois, sans qu'aucun renouvellement du phénomène ne soit relevé depuis 2013.

25. En premier lieu, la justification et la régularisation du droit de passage ou de la servitude pour une canalisation publique qui passerait dans le terrain de M. A... est sans lien avec le litige tenant à la réparation du refoulement provoqué en 2013 par le mauvais entretien et la mauvaise conception du réseau public à hauteur de la propriété de M. A.... Il n'y a dès lors pas lieu de prononcer une injonction sur ce point.

26. En deuxième lieu, il en va de même pour ce qui est de la vérification du dimensionnement du réseau, de l'inventaire des branchements autorisés et nouveaux, ainsi que de la réalisation d'un nettoyage complet du réseau.

27. En troisième lieu, la pose d'un clapet anti-retour sur l'installation intérieure de M. A... relevant de ce dernier, il n'y a pas lieu d'enjoindre à la communauté de communes d'y procéder.

28. En quatrième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que ce qui a été dit sur le dommage subi par M. A... impliquerait que soit créé un nouveau collecteur spécifique.

Sur les conclusions de M. A... relatives aux frais de la première instance :

29. Le tribunal a alloué à M. A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal aurait ainsi fait une insuffisante appréciation des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens, ni une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce. Les conclusions de M. A... tendant à ce que le jugement soit réformé en portant ce montant à 15 000 euros doivent en conséquence être rejetées.

30. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble ne lui a pas alloué des montants plus élevés. En revanche, la société Suez Eau France est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamnée à indemniser M. A... ainsi qu'à garantir la communauté de communes ... à hauteur de 80 %. Enfin, cette communauté de communes est uniquement fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal n'a pas limité la somme qu'elle a été condamnée à verser à M. A... à 5 681,54 euros.

Sur les frais de l'instance :

31. M. A... étant partie perdante dans la présente instance, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

32. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la communauté de communes ... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2105966 du 26 mars 2024 du tribunal administratif de Grenoble sont annulés.

Article 2 : La communauté de communes ... est condamnée à verser à M. A... la somme de 5 681,54 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la communauté de communes ... et à la société Suez Eau France.

Délibéré après l'audience du 14 avril 2025, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mai 2025.

Le rapporteur,

H. Stillmunkes

Le président,

F. Pourny

La greffière,

B. Berger

La République mande et ordonne à la préfète de l'Isère, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY01571


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY01571
Date de la décision : 20/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Procédure - Voies de recours - Appel - Conclusions recevables en appel - Appel provoqué.

Responsabilité de la puissance publique - Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité - aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale - Action en garantie.

Travaux publics - Différentes catégories de dommages - Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Henri STILLMUNKES
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : JUVENETON

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-20;24ly01571 ?
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