Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 11 avril 2022 par lequel la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation lui a infligé la sanction disciplinaire du troisième groupe d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de six mois assortie d'un sursis de cinq mois et la décision du 29 juillet 2022 rejetant son recours gracieux et de procéder au " rétablissement " de sa rémunération pour la durée effective de la sanction.
Par un jugement n° 2207263 du 29 décembre 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 22 février 2024, M. A..., représenté par Me Ponsard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et les décisions mentionnées ci-dessus ;
2°) de rétablir sa rémunération pour la durée de sa suspension ainsi que la prime de fin d'année ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté est entaché d'un vice de procédure dès lors que le procès-verbal du conseil de discipline ne lui a pas été transmis en méconnaissance du principe fondamental reconnu par les lois de la République, de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et des droits de la défense et n'est pas visé dans l'arrêté de sanction ; l'administration a manqué au principe de loyauté procédurale ;
- le délai pour l'édicter est déraisonnable dès lors que dix-huit mois se sont écoulés entre l'information de l'engagement d'une procédure disciplinaire et la date de la sanction en litige ;
- la sanction se fonde sur des faits erronés et non caractérisés ; les messages échangés sur la messagerie WhatsApp sont des messages à caractère privé, dès lors le groupe WhatsApp, objet des signalements, ne peut être considéré comme un outil de communication professionnelle et est protégé par le secret des correspondances ; les propos tenus ne peuvent s'apparenter à des faits de harcèlement moral dans la mesure où aucun n'est matériellement vérifiable, aucune déclaration circonstanciée ne permettant de caractériser de tels faits, ainsi que l'admet le rapport d'enquête administrative, rendu le 3 juillet 2020, qui met en lumière l'absence d'élément tangible démontrant de façon avérée des comportements harcelants ou des paroles discriminatoires ; les agissements reprochés n'ont pas eu pour conséquence d'altérer la santé physique ou moral de l'appariteur prétendument victime et n'ont pas compromis son avenir professionnel ;
- l'administration, qui ne l'avait pas formé à occuper un poste de management, a commis une faute ;
- la sanction est disproportionnée ;
- il a été illégalement privé de sa rémunération pendant un mois et de sa prime de fin d'année, ce qui représente une somme de 2 597,83 euros brut.
Par un mémoire enregistré le 10 octobre 2024, le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 11 octobre 2024, l'instruction a été close au 15 novembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le décret n° 85-1534 du 31 décembre 1985 ;
- la décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Assistant ingénieur du ministère chargé de l'enseignement supérieur, affecté à la direction des systèmes d'informations (DSI) de l'université Lyon II, M. A..., qui occupe depuis septembre 2018 le poste de responsable du pôle des appariteurs, a fait l'objet à titre disciplinaire, par un arrêté du 11 avril 2022 de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche d'une exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois, assortie d'un sursis de cinq mois. Son recours gracieux a été rejeté par une décision du 29 juillet 2022. M. A... relève appel du jugement du 29 décembre 2023 par lequel le tribunal a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 11 avril 2022 et de la décision du 29 juillet 2022.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées d'exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que les droits de la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 532-4 du code général de la fonction publique, dont l'alinéa 2 sera abrogé à compter du 1er octobre 2025 conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 4 octobre 2024 visée ci-dessus : " Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes. L'administration doit l'informer de son droit à communication du dossier. / Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à l'assistance de défenseurs de son choix. ".
4. En application de ces dispositions et en vertu du principe général des droits de la défense, le fonctionnaire qui fait l'objet d'une procédure disciplinaire doit être informé des griefs qui lui sont reprochés et mis à même de demander la communication de son dossier. Toutefois, aucune disposition ne prévoit que le fonctionnaire poursuivi doive recevoir communication, après la séance de la commission administrative paritaire statuant en matière disciplinaire, de l'avis émis par cette commission ni même, le cas-échéant, du procès-verbal de cette séance. Si M. A... fait valoir qu'un principe fondamental reconnu par les lois de la République et le principe allégué de " loyauté procédurale " auraient été méconnus, il n'apporte aucune précision sur les principes qu'il invoque. Par suite, le moyen tiré du caractère irrégulier de la procédure, faute pour l'administration de lui avoir communiqué le procès-verbal de la commission administrative paritaire statuant en matière disciplinaire avant de prendre la sanction, doit être écarté.
5. En deuxième lieu, le défaut de visa dans les décisions litigieuses du procès-verbal de la commission administrative paritaire statuant en matière disciplinaire, qui est expressément mentionné dans ces décisions, est sans incidence sur leur légalité.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 532-2 du code général de la fonction publique : " Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction. " Ces dispositions, qui enferment dans un délai déterminé l'exercice de l'action disciplinaire, n'ont, en l'espèce, pas été méconnues. En outre, aucun texte ni principe général du droit n'enferme dans un délai déterminé le prononcé de la sanction après l'engagement de la procédure disciplinaire. Dans ces conditions, et alors au demeurant que le délai écoulé n'était pas anormalement long, le moyen tiré de ce que le délai pour édicter la sanction aurait été déraisonnable ne peut qu'être écarté.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code général de la fonction publique, reprenant les dispositions de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " L'agent public exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. ". Aux termes de l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ".
8. Pour décider de prononcer à l'encontre de M. A... une sanction, le ministre a retenu qu'il avait été l'auteur de faits de harcèlement moral, attestés par les témoignages des appariteurs, et notamment l'un d'entre eux.
9. Ainsi que l'a retenu le tribunal, la circonstance que le groupe WhatsApp sur lequel s'échangeaient les messages écrits incriminés de M. A... avec les appariteurs qu'il encadrait, ait eu un caractère privé et non public, et que ces échanges puissent être intervenus, pour certains, en dehors des heures du service, n'empêchait pas l'autorité administrative de les prendre en compte pour apprécier le comportement de son agent et son caractère fautif. Cette messagerie et les groupes de discussion en cause avaient d'ailleurs été mis en place, à l'initiative du requérant, pour lui permettre d'échanger avec les appariteurs et de gérer l'organisation du service dont il était en charge. C'était devenu le lieu d'échange privilégié de M. A... avec ses agents. Aucune atteinte par l'administration au secret des correspondances ne saurait être retenue dans la mesure où ce sont certains membres de ce groupe qui lui en ont spontanément communiqué le contenu. Si le ton employé par certains appariteurs dans ces échanges était, comme celui de M. A..., inapproprié dans le cadre de relations professionnelles, cette circonstance n'est pas de nature à exonérer M. A..., qui était leur supérieur hiérarchique et se devait de montrer l'exemple, du caractère fautif de son attitude. Les pièces du dossier démontrent que le nombre de messages adressés et les périodes au cours desquelles ils étaient envoyés étaient également inapproprié et de nature à créer une atmosphère générale de tension particulièrement malsaine. Les appariteurs étaient soumis à des plaisanteries tendancieuses, à des interpellations diverses et faisaient l'objet de propos déplacés, de surnoms dénigrants, de sarcasmes et de moqueries récurrents. Ils étaient par ailleurs contraints de surveiller en permanence leur téléphone portable, au risque de ne plus ou de ne pas être sollicités par M. A... et de ne plus se voir attribuer de vacations.
10. Si le requérant soutient qu'il ne serait pas l'auteur de la mention " My name is Quentin, I'm a victim " ajoutée sur une photographie qu'il aurait affichée sur un tableau se trouvant dans la salle des appariteurs, toutefois le rapport d'enquête administrative conduite au pôle des appariteurs du mois de décembre 2019 au mois de février 2020 lui attribue ces commentaires moqueurs, le rapport relatant la réaction devant la commission de " l'appariteur visé par les moqueries de M. A... ". En outre, selon les mentions portées sur le procès-verbal du conseil de discipline, qui ont foi jusqu'à preuve du contraire, il a alors reconnu être l'auteur de ces faits.
11. Dans ces conditions, et quand bien même ces agissements, qui étaient susceptibles de porter atteinte à la dignité des agents, n'auraient pas eu d'effet sur leur santé, l'administration, qui n'était pas liée par la qualification donnée à ces faits par la commission d'enquête administrative, a pu estimer qu'en adoptant un tel comportement, qui était avéré, et qui, était constitutif d'agissements répétés qui ont eu pour effet une dégradation des conditions de travail, et pouvait ainsi être qualifié de harcèlement moral, M. A... avait commis une faute de nature à justifier le prononcé d'une sanction. Si M. A... n'a pas reçu de formation de management, cette circonstance ne saurait être de nature à écarter le caractère fautif de son comportement.
12. En dernier lieu, M. A... reprend en appel le moyen tiré de ce que la sanction prononcée à son encontre revêtirait un caractère disproportionné. Il y a lieu, par adoption des motifs des premiers juges, d'écarter ce moyen.
13. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles aux fins de restitution de traitements et prime.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré après l'audience du 17 avril 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY00516
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