Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... se disant Abdugani Abdurahman a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 4 avril 2023 par lequel la préfète du Rhône l'a obligé à quitter le territoire français et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée de douze mois et d'enjoindre à l'administration de réexaminer sa situation et, dans l'attente, de lui remettre une autorisation provisoire de séjour.
Par un jugement n° 2303057 du 22 juin 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal a annulé cet arrêté et enjoint à la préfète du Rhône de réexaminer la situation de l'intéressé dans les deux mois suivant la notification de ce jugement et de lui délivrer, dans les quinze jours suivant cette même notification, une autorisation provisoire de séjour.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 21 juillet 2023, la préfète du Rhône demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de M. A... se disant Abdugani Abdurahman.
Elle soutient que :
- la requête est recevable ;
- la décision contestée, qui précise sa date d'entrée sur le territoire, faisait bien référence à la vie privée et familiale du requérant sur le territoire français en fonction des éléments qu'il avait portés à sa connaissance à l'occasion de son audition le 4 avril 2023, soit l'existence de son épouse qui, selon lui, n'était pas présente en France, et de ses six enfants, dont il n'a pas précisé ceux d'entre eux qui étaient présents sur le territoire ; il n'a pas fait état d'une autre relation ;
- ni les certificats de naissance en France de deux enfants produits à l'occasion du contentieux ni l'attestation d'hébergement manuscrite signée de Mme G... E... ne le visent nommément ; les liens stables et anciens avec cette dernière et le lien de paternité avec les enfants ne sont pas avérés ; rien ne permet de dire qu'il participerait à leur entretien et éducation ;
- aucun défaut d'examen particulier de sa situation n'est donc démontré ;
- le moyen tiré de l'incompétence manque en fait ;
- aucune erreur manifeste d'appréciation n'est avérée ; ses expériences professionnelles sont ponctuelles ; il ne démontre pas la gravité de son état de santé ; l'intéressé ne justifie pas du caractère stable et ancien de sa relation avec Mme F... B... ni participer à l'éducation des enfants en France avec lesquels il n'établit aucune filiation ; il est père de trois autres enfants et demeure l'époux de Mme H... ;
- le droit au respect de la vie privée et familiale et l'intérêt supérieur des enfants n'ont pas été méconnus ; l'intéressé, qui a usurpé l'identité de M. C... D..., ne démontre pas une présence de plus de dix ans en France, ni des relations avec une compagne, ni qu'il aurait eu des enfants avec cette dernière, ni que son épouse et ses autres enfants seraient entrés sur le territoire ;
- il n'y a pas de risques avérés de traitements inhumains ou dégradants ;
- il ne démontre pas que l'hypertension et le psoriasis dont il souffrirait seraient à l'origine de conséquences d'une exceptionnelle gravité en cas de défaut de traitement ou qu'aucun traitement ne serait disponible dans son pays d'origine ;
- aucune violation de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est établie.
Par un mémoire enregistré le 29 septembre 2023, M. A... se disant Abdugani Abdurahman, représenté par Me Bouchet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'administration n'était pas dispensée de prendre en compte l'ensemble de sa situation ; son épouse, Mme H..., dont il n'est pas divorcé, qui est partie vivre en Hollande, lui a laissé ses deux plus jeunes enfants nés en 2006 et 2008, les deux ainés, majeurs, vivant en France, et il vit désormais avec sa compagne depuis 2016, mère de ses trois enfants nés en 2017, 2019 et 2023 ; sa relation avec cette dernière est stable et ancienne et il participe à l'entretien et l'éducation de ses enfants ;
- il abandonne le moyen sur l'incompétence ;
- l'erreur manifeste d'appréciation est caractérisée ; il est inséré sur le territoire français où il vit avec sa compagne et ses cinq enfants depuis plus de dix ans ;
- le droit au respect de la vie privée et familiale et l'intérêt supérieur des enfants sont violés ; il ne dispose plus d'attaches familiales en Somalie ;
- il est exposé à un risque de traitements inhumains ou dégradants ;
- sa situation médicale est préoccupante ;
- des circonstances humanitaires s'opposent à l'interdiction de retour.
M. A... se disant Abdugani Abdurahman a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Picard, président ;
- et les observations de Me Bouchet, pour M. A... se disant Abdugani Abdurahman ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... se disant Abdugani Abdurahman, ressortissant somalien entré en France en 2012, a obtenu de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon l'annulation par un jugement du 22 juin 2023 de l'arrêté du 4 avril 2023 par lequel la préfète du Rhône l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de douze mois. La préfète du Rhône relève appel de ce jugement.
2. Il n'apparaît pas que, pour prendre l'arrêté contesté, la préfète du Rhône, qui s'est prononcée en fonction des seuls éléments dont l'intéressé avait fait état auprès de l'administration, relatifs à son épouse, qui n'était pas présente en France, et à ses six enfants, aurait été en possession des autres informations concernant sa compagne, mère de deux enfants nés en 2017 et 2019, et alors enceinte d'un troisième enfant, qui, d'après les pièces du dossier, ont été révélées postérieurement à l'intervention de cet arrêté. L'absence de prise en compte par la préfète de ces derniers éléments, qui ne s'explique pas par la fraude tenant à l'usurpation d'identité dont l'intéressé s'est rendu coupable pour obtenir la protection subsidiaire en 2014 et des titres de séjour régulièrement renouvelés depuis 2015, ne saurait, dans ces circonstances, caractériser un défaut d'examen particulier de sa situation. C'est par suite à tort que, pour ce motif, la magistrate désignée a annulé l'arrêté contesté.
3. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le requérant devant le tribunal et devant la cour.
4. Il apparaît que, contrairement à ce que soutient l'intéressé, l'arrêté contesté, notamment en ce qu'il fixe le pays de renvoi, est motivé aussi bien en fait qu'en droit.
5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
6. L'intéressé fait valoir l'ancienneté de son séjour sur le territoire, qui s'élève à plus de dix ans, la relation stable et pérenne avec sa compagne depuis 2016, ses efforts d'insertion ainsi que les relations qu'il a nouées et le fait qu'il ne dispose plus d'attaches familiales en Somalie. Il précise que sa compagne est mère de ses trois derniers enfants nés en 2017, 2019 et 2023 qui vivent à leurs côtés avec deux autres de ses enfants nés d'un mariage, tandis que ses deux aînés, désormais majeurs, sont également en France. Cependant, les pièces produites ne suffisent pas à démontrer qu'il entretiendrait une relation ancienne et stable avec sa compagne, ne justifiant vivre au même domicile que cette dernière que depuis janvier 2023 au mieux, et qu'il participerait réellement, et dans la durée, à l'entretien et à l'éducation de ses enfants mineurs, aucun élément circonstancié et susceptible d'en justifier n'étant produit en ce sens. Dans ce contexte, et alors qu'il est toujours marié, et même en admettant que, malgré l'usurpation d'identité retenue à son encontre, l'intéressé est le compagnon de la mère des trois enfants dont il indique être le père, c'est sans méconnaître les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant que la préfète a pu prendre l'arrêté litigieux.
7. L'intéressé, en plus des éléments dont il a précédemment fait état pour justifier d'une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, se prévaut de son expérience professionnelle sur plusieurs années et de ses problèmes de santé pour caractériser une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle. Cependant, ses expériences professionnelles demeurent ponctuelles et rien ne permet de dire que, compte tenu de l'hypertension et du psoriasis dont il souffre, un défaut de traitement équivalent à celui disponible en France, voire de tout traitement, entraînerait pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dans ces conditions, et compte tenu également de ce qui a été dit au point 6, ce moyen ne peut donc qu'être écarté.
8. Eu égard à ce qui vient d'être dit s'agissant de son état de santé, l'intéressé ne saurait se prévaloir, de toutes les façons, d'une violation de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni d'une méconnaissance de l'article L. 611-3 de ce même code.
9. L'intéressé, dont la demande d'asile a en dernier lieu été rejetée par la Cour nationale du droit d'asile le 25 septembre 2013, n'apporte aucun élément circonstancié sur les risques qu'il encourrait personnellement et spécialement en cas de retour en Somalie. Le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne saurait donc recevoir satisfaction.
10. Compte tenu de ce qui précède, aucune illégalité, par voie de conséquence, de la décision d'interdiction de retour pendant douze mois ne saurait être retenue.
11. La description de la situation en Somalie et les éléments fournis sur son état de santé ne suffisent pas à caractériser ici l'existence de circonstances humanitaires au sens de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Aucune violation de cette disposition ne saurait donc être retenue.
12. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Rhône est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 4 avril 2023 et ordonné qu'elle réexamine la situation de M. A... se disant Abdugani Abdurahman. La demande de ce dernier devant le tribunal ainsi que ses conclusions présentées en appel doivent être rejetées.
DÉCIDE
Article 1er : Le jugement de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 22 juin 2023 est annulé.
Article 2 : La demande de M. A... se disant Abdugani Abdurahman devant le tribunal ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... se disant Abdugani Abdurahman, au ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 17 avril 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
Le président, rapporteur,
V-M. Picard
La présidente assesseure,
A. Duguit-Larcher
La greffière,
A. Le ColleterLa République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY03471
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