Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté n° 24-260-220 du 15 mars 2024 par lequel le préfet de la Drôme lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français et a désigné son pays de renvoi.
Par un jugement n° 2402075 du 21 mai 2024, le président du tribunal administratif de Grenoble a admis M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 15 mars 2024.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 25 juillet 2024, M. B... C..., représenté par Me Albertin, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 2402075 du 21 mai 2024 du président du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 15 mars 2024 et d'annuler cet arrêté ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. C... soutient que :
- sa requête est recevable ;
- le président du tribunal n'a pas statué sur le moyen tiré de l'insuffisante motivation en droit de l'arrêté en litige ;
- il n'a pas été informé qu'il pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement ni invité à présenter ses observations sur une telle éventualité, en méconnaissance de son droit d'être entendu consacré par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- cette mesure et la décision désignant son pays de destination sont insuffisamment motivées en droit pour ne pas viser l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- ces décisions ont été prises en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien car il devait se voir délivrer un certificat de résidence sur ce fondement, faisant obstacle à la prise d'une mesure d'éloignement, et ces décisions sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision le privant d'un délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité de la mesure d'éloignement, est insuffisamment motivée et se trouve entachée d'une erreur manifeste d'appréciation car il n'existe pas de risque qu'ils se soustraie à la mesure d'éloignement prononcée à son encontre.
Par un mémoire enregistré le 1er octobre 2024, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête.
Le préfet fait valoir que :
- le requérant n'est pas fondé à soutenir que le jugement est entaché d'une omission à statuer sur un moyen tiré d'une insuffisante motivation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et désignant un pays de renvoi, dès lors que le président du tribunal, qui n'a pas jugé illégale la mesure d'éloignement, n'était pas tenu de répondre à tous les arguments des parties et une telle omission serait, à l'instar d'une erreur matérielle, sans influence sur la légalité de l'arrêté, s'agissant d'un moyen inopérant ;
- les moyens de la requête doivent être écartés par adoption des motifs retenus par le tribunal.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
' l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Gros, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique du 31 mars 2025.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C..., ressortissant algérien né en 1997, relève appel du jugement du 21 mai 2024 par lequel le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Drôme du 15 mars 2024 portant obligation de quitter sans délai le territoire français et désignant son pays de renvoi.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il résulte des termes du jugement attaqué que le président du tribunal n'a pas répondu au moyen, qui n'est d'ailleurs pas visé, tiré de l'insuffisante motivation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et désignant un pays de renvoi. Cette omission à statuer sur un moyen qui n'était pas inopérant entache d'irrégularité le jugement en litige.
3. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Grenoble.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français et désignant le pays de renvoi du requérant :
4. En premier lieu, l'arrêté en litige du 15 mars 2024 a été signé par M. A... D..., directeur des collectivités, de la légalité et des étrangers, à la préfecture de la Drôme, qui bénéficiait pour ce faire d'une délégation de signature que lui avait consentie le préfet de la Drôme par un arrêté du 21 août 2023 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de cette préfecture. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions attaquées doit être écarté.
5. En deuxième lieu, l'arrêté en litige du 15 mars 2024 mentionne les éléments de droit et de fait qui fondent les décisions qu'il contient faisant obligation à M. C... de quitter le territoire français et désignant son pays de renvoi, décisions par suite motivées.
6. En troisième lieu, le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays à destination duquel il pourra être renvoyé en exécution de cette obligation, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle intervienne. Il résulte cependant de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.
7. En l'espèce, lors de son audition par les services de gendarmerie le 14 mars 2024, M. C... a été informé qu'une mesure d'éloignement pouvait être prise à son encontre. S'il n'a pas été formellement invité à formuler des observations sur l'éventualité d'une telle mesure, il a pu exposer sa situation personnelle, familiale et professionnelle en France où il a déclaré vouloir vivre. Il ne fait état d'aucun autre élément qui, porté à la connaissance du préfet, aurait pu exercer une influence sur le sens des décisions à venir. Le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu, articulé à l'encontre des décisions portant obligation de quitter le territoire français et désignant un pays de renvoi doit, en conséquence, être écarté.
8. En quatrième lieu, indépendamment de l'énumération donnée par l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable à la date de la décision attaquée, des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une telle mesure à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Lorsque la loi prescrit, ou qu'une convention internationale stipule, que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.
9. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / (...) / 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ".
10. M. C... a déclaré aux services de gendarmerie une entrée sur le territoire français à la fin de l'année 2019. Hébergé par son frère aîné, lequel est conjoint d'une ressortissante française et titulaire d'un certificat de résidence de dix ans, il n'est toutefois pas dépourvu d'attaches en Algérie, quittée alors qu'il était âgé de plus de 20 ans, pour, a-t-il déclaré, gagner la Turquie, sous couvert d'un visa, puis, par étapes, le territoire français. Il ne démontre pas de particulière insertion en France par la production d'attestations de soutien, pour nombreuses qu'elles soient, et d'une déclaration du 1er avril 2024 à l'Urssaf en qualité de salarié de son frère qui exploite une boulangerie, alors que lui-même ne détient qu'une attestation de qualification de chef de rang délivrée en Algérie en octobre 2015. Dans ces conditions, dès lors qu'il ne remplissait pas les conditions pour se voir délivrer de plein droit un titre de séjour sur le fondement des stipulations du 5) de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, M. C... n'est pas fondé à soutenir qu'il ne pouvait pas légalement faire l'objet de la mesure d'éloignement prononcée le 15 mars 2024. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.
11. En dernier lieu, pour les mêmes motifs qui viennent d'être exposés, le préfet de la Drôme n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni commis d'erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision privative de délai de départ volontaire :
12. Il résulte de ce qui précède que l'exception d'illégalité de la mesure d'éloignement articulée à l'encontre de la décision privant M. C... d'un délai de départ volontaire doit être écartée.
13. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 de ce code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour / (...) ".
14. L'arrêté en litige vise les dispositions des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mentionne que M. C... ne justifie pas être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas accompli de démarche pour régulariser sa situation et qu'il ne justifie d'aucune circonstance particulière. La décision privant M. C... d'un délai de départ volontaire se trouve ainsi motivée en droit et en fait. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisante motivation de cette décision doit être écarté.
15. M. C... ne justifiant pas de circonstances particulières, il présente, pour les raisons venant d'être exposées et alors au surplus qu'il est dépourvu d'une adresse stable au domicile de son frère, un risque de soustraction à la mesure d'éloignement. Il pouvait ainsi être privé d'un délai de départ volontaire.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions qu'il attaque.
Sur les frais de procès :
17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du requérant présentées sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2402075 du 21 mai 2024 du président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Les conclusions en annulation présentées par M. C... devant le tribunal administratif de Grenoble et devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de M. C... tendant au versement de frais de procès sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 31 mars 2025, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
M. Gros, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 avril 2025.
Le rapporteur,
B. Gros
Le président,
F. Pourny
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY02156