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17/04/2025 | FRANCE | N°24LY01632

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 1ère chambre, 17 avril 2025, 24LY01632


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure



Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 29 avril 2024 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a fixé le pays à destination duquel elle sera reconduite d'office en application de la peine complémentaire d'interdiction du territoire français d'une durée de dix ans prononcée par un arrêt du 14 mars 2024 de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Chambéry, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel la même autorité a décidé d

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 29 avril 2024 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a fixé le pays à destination duquel elle sera reconduite d'office en application de la peine complémentaire d'interdiction du territoire français d'une durée de dix ans prononcée par un arrêt du 14 mars 2024 de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Chambéry, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel la même autorité a décidé de l'assigner à résidence dans le département de la Haute-Savoie pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable et l'a astreinte à se présenter une fois par jour à la brigade de gendarmerie.

Par un jugement n° 2403037 du 6 mai 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 5 juin 2024, Mme B..., représentée par Me Pafundi, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler le jugement du 6 mai 2024 ;

3°) d'annuler les arrêtés du 29 avril 2024 ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision fixant le Kosovo comme pays de destination, alors qu'elle a obtenu la protection subsidiaire en France, méconnaît les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant assignation à résidence est illégale, par voie d'exception, du fait de l'illégalité de la décision fixant le pays de destination ;

- elle est entachée d'une erreur dans l'appréciation des perspectives d'éloignement.

La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Savoie, qui n'a pas présenté d'observations.

Par une ordonnance du 20 décembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 janvier 2025.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 août 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante kosovare née le 8 septembre 1981, a fait l'objet le 29 avril 2024 d'un arrêté du préfet de la Haute-Savoie portant fixation du pays de destination, pour l'application de la peine complémentaire d'interdiction du territoire français d'une durée de dix ans prononcée à son encontre par un arrêt du 14 mars 2024 de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Chambéry, ainsi que d'un arrêté du même jour par lequel la même autorité l'a assignée à résidence dans le département de la Haute-Savoie. Mme B... relève appel du jugement du 6 mai 2024 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur la légalité de la décision du 29 avril 2024 fixant le pays de destination :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office (...) d'une peine d'interdiction du territoire français ou d'une interdiction administrative du territoire français. " Aux termes de l'article L. 721-4 du même code : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. " Aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. / (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, si Mme B... s'est vue accorder le bénéfice de la protection subsidiaire, par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 31 octobre 2016, en raison du risque de représailles dont elle pourrait faire l'objet en cas de retour au Kosovo, cette protection lui a été retirée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 10 août 2022. Si Mme B... a contesté cette décision de retrait devant la CNDA, alors au demeurant que celle-ci ne s'était pas prononcée à la date de la décision attaquée et qu'il ne résulte pas de l'instruction que ce serait le cas à la date du présent arrêt, cette seule circonstance n'est pas de nature à faire obstacle à la fixation, par la décision en litige, du Kosovo comme pays de renvoi de Mme B... en exécution de l'interdiction judiciaire du territoire français de dix ans dont elle fait l'objet.

4. D'autre part, Mme B... se borne à indiquer les raisons pour lesquelles elle a dû fuir son pays d'origine en 2013, à rappeler que la protection subsidiaire des autorités françaises lui a été accordée en 2016 et à affirmer qu'elle serait exposée à un risque réel de traitements inhumains ou dégradants de la part de son cousin en cas de retour au Kosovo, sans apporter aucun élément de nature à établir la réalité et l'actualité, à la date de la décision en litige, soit plus de dix années après sa fuite de son pays d'origine, du risque d'être exposée à des traitements prohibés par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, et alors que la fixation du Kosovo comme pays de destination ne l'oblige pas à retourner dans la localité où réside la personne qui lui a fait subir des sévices, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.

5. En second lieu, Mme B... fait état de ce qu'elle réside depuis plus de dix ans en France, où elle a développé des attaches et où elle est soignée. Toutefois, les conséquences ainsi alléguées d'un éloignement sur la vie privée et familiale de l'intéressée résultent non de la décision en litige, qui se borne à prévoir le renvoi de l'intéressée dans son pays d'origine ou dans tout autre pays dans lequel elle serait légalement admissible, mais du prononcé par le juge pénal de la peine d'interdiction du territoire français pour une durée de dix ans, qui fait obstacle à sa libre circulation sur le territoire de la République française et lui interdit d'y revenir. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés comme inopérants.

Sur la légalité de la décision du 29 avril 2024 portant assignation à résidence :

6. En premier lieu, en l'absence d'illégalité de la décision fixant le pays de destination, le moyen tiré de l'illégalité de cette décision et soulevé par voie d'exception à l'encontre de la décision d'assignation à résidence ne peut qu'être écarté.

7. En second lieu, aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : / (...) / 7° L'étranger doit être éloigné en exécution d'une peine d'interdiction judiciaire du territoire prononcée en application du deuxième alinéa de l'article 131-30 du code pénal ; / (...) ".

8. D'une part, si Mme B... soutient qu'elle est exposée à un risque de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine, cette circonstance, à la supposer établie, est sans incidence sur la légalité de la décision d'assignation à résidence. En tout état de cause, ainsi qu'il a été vu au point 4 du présent arrêt, Mme B... ne produit aucun élément de nature à établir la réalité ni l'actualité de la menace qu'elle allègue. D'autre part, la circonstance qu'elle ne bénéficie pas de titre de séjour dans un autre État n'est pas de nature, dès lors qu'elle dispose de la nationalité kosovare et est donc admissible dans ce pays, à priver de perspective raisonnable son éloignement du territoire français.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'avocat de Mme B... demande sur le fondement de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D..., à Me Graziano Pafundi et au ministre de l'intérieur.

Copie sera adressée pour information à la préfète de la Haute-Savoie.

Délibéré après l'audience du 1er avril 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Anne-Gaëlle Mauclair, présidente de la formation de jugement,

Mme Claire Burnichon, première conseillère,

Mme Gabrielle Maubon, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 avril 2025.

La rapporteure,

G. A...La présidente,

A.-G. Mauclair

La greffière,

O. Ritter

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Une greffière,

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24LY01632
Date de la décision : 17/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme MAUCLAIR
Rapporteur ?: Mme Gabrielle MAUBON
Rapporteur public ?: Mme DJEBIRI
Avocat(s) : ANGLADE & PAFUNDI A.A.R.P.I

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-17;24ly01632 ?
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