Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 3 mai 2023 par lequel la préfète de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2307119 du 1er février 2024, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 30 avril 2024, M. B..., représenté par Me Barrut, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;
2°) d'enjoindre à la préfète de l'Ain de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de trente jours, ou de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois et de lui délivrer dans l'attente, et dans un délai d'un mois, une autorisation provisoire de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision est insuffisamment motivée en fait, dès lors que la préfète n'a retenu qu'un motif de refus et s'est contenté d'indiquer des incohérences et des défauts de formalisme dont faisait état le rapport des services spécialisés de la police aux frontières, sans joindre ce document ni apporter aucun détail ;
- il justifie de son identité par les pièces produites au soutien de sa demande de titre de séjour ; ces documents sont concordants ; les irrégularités relevées par les services de la police aux frontières sont insuffisantes pour remettre en cause leur authenticité ni la véracité des informations qu'ils contiennent et notamment sa date de naissance ; la présomption d'authenticité prévue à l'article 47 du code civil n'est pas renversée ; il s'est vu délivrer un certificat de nationalité malienne le 20 mars 2024 par le président du tribunal de grande instance de la commune II du district de Bamako qui comporte les mêmes mentions ; les autorités judiciaires décidant de son placement au service de l'aide sociale à l'enfance n'ont pas remis en cause sa minorité ;
- il justifie du caractère réel et sérieux de ses études, il n'a aucun contact avec sa famille dans son pays d'origine, il est intégré dans la société française et la décision portant refus de lui délivrer un titre de séjour méconnaît l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour et de la décision portant obligation de quitter le territoire.
En application de l'article R. 611-8 du code de justice administrative, l'affaire a été dispensée d'instruction.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
M. B... ayant été régulièrement averti du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Boffy, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant malien né le 20 octobre 2003, qui a déclaré être entré en France en juillet 2020 à l'âge de seize ans, a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Ain. Les 13 janvier et 18 mai 2022, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par l'arrêté attaqué du 3 mai 2023, la préfète de l'Ain a rejeté sa demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination. M. B... relève appel du jugement du 1er février 2024 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".
3. Le refus de séjour contesté, qui rappelle les conditions d'entrée et de séjour en France de M. B..., indique que, par décisions des 31 mars et 28 juin 2022, sa demande de titre de séjour avait fait l'objet de refus d'enregistrement au regard des avis défavorables des services spécialisés de la police aux frontières du 11 avril 2021 et du 9 juin 2022 quant à l'authenticité des justificatifs d'état civil produits, au vu des incohérences et défauts de formalisme, mentionne que l'intéressé a de nouveau présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, rappelle que ces services, saisis pour la troisième fois, ont de nouveau rendu un avis défavorable le 9 janvier 2023 à propos de l'authenticité de son acte de naissance et du jugement supplétif qu'il a produits et précise que l'intéressé a communiqué deux jugements supplétifs, établis les 22 février 2021 et 20 juin 2022, dont le caractère apocryphe est caractérisé, et que la carte consulaire obtenue au regard de ces documents irréguliers n'a pas de valeur probante. Ainsi, la décision, qui comporte les considérations de fait lui servant de fondement, s'agissant notamment de l'irrégularité des documents d'état civil, est motivée.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou du tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ". Aux termes de l'article R. 431-10 du même code : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; (...). ". Aux termes de l'article L. 811-2 de ce code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. (...). ".
5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
6. La préfète de l'Ain, pour refuser à M. B... la délivrance d'un titre de séjour, a estimé que l'intéressé avait présenté un acte de naissance et un jugement supplétif contrefaits, compte tenu des incohérences et erreurs relevées sur ces documents par les services spécialisés de la fraude documentaire. Les rapports des services, établis les 9 juin 2022 et 9 janvier 2023 indiquent que, sur l'acte de naissance, le numéro d'identification nationale (NINA) est absent. Or, contrairement à ce que soutient M. B..., même s'il est né avant l'entrée en vigueur de la loi n° 06-040 du 11 août 2006 instituant le numéro NINA, ce dernier était obligatoire à la date d'établissement de cet acte. Si M. B... produit une attestation du consulat général du Mali à Lyon en date du 23 février 2024, indiquant qu'actuellement le numéro NINA n'est pas encore attribué dès la naissance à tous les ressortissants maliens, et qu'il n'est exigé que pour l'établissement du passeport et de la carte d'identité nationale biométrique, il n'en ressort aucunement qu'un tel numéro ne devrait pas être attribué lors de la délivrance d'un acte de naissance.
7. Même à admettre qu'aucune des irrégularités de forme et de typographie entachant l'acte de naissance, qu'il s'agisse des dates de naissance et de délivrance de l'acte écrites en chiffres et non en lettres, de l'erreur d'imprimerie affectant le volet n° 3 de l'acte de naissance, qui précise " offier " au lieu d'" officier ", et enfin de dimensions non conformes, n'était à elle seule de nature à renverser la présomption d'authenticité dont il bénéficiait, prises ensemble elles suffisaient à cet égard à faire naître un doute sérieux sur leur authenticité, d'autant que d'autres points n'étaient pas renseignés, tels que la qualité de l'officier d'état civil qui, contrairement à ce que soutient le requérant, n'a pas signé le volet n° 3 de ce document, le numéro de série de couleur rouge et le code imprimeur. Enfin, et sans que le requérant n'apporte aucun élément sur ce point, les services spécialisés indiquent que l'acte de naissance aurait dû être vu par le tribunal de grande instance du cercle du Kayes et non par le tribunal de grande instance du cercle de Bamako.
8. S'agissant du jugement supplétif, M. B... soutient qu'il ne s'agit pas du jugement lui-même mais d'un " extrait de jugement supplétif ", et que par suite il n'aurait pas à comporter les mentions prévues aux articles 462 à 464 du code de procédure civile, commerciale et sociale malien. Toutefois, l'intéressé, qui n'apporte aucun élément sur la nature exacte de cet acte, lequel ne comporte ni la date de la requête, ni l'exposé de la demande, ni l'identité du ou des requérants, ni les dispositions du droit malien applicables, et ne précise pas l'identité du magistrat, dont il ne comporte pas davantage la signature, ne justifie pas de sa force probante. Si M. B... produit pour la première fois en appel un certificat de nationalité malienne délivré le 20 mars 2024 par le tribunal de grande instance de la commune II du district de Bamako, ce document, qui fait mention du même extrait d'acte de naissance que celui produit au dossier et dont la régularité n'est pas établie, a été renseigné de manière manuscrite et n'a pas été soumis à l'examen des services spécialisés des forces de police pour le contrôle de sa régularité. Par suite, son authenticité n'apparaît pas établie.
9. Enfin, s'agissant de la carte d'identité consulaire, cette pièce, qui ne constitue pas un acte d'état civil et pouvait être délivrée au vu des documents d'état-civil précités dont l'authenticité n'est pas établie est, par elle-même, dépourvue de toute force probante pour l'application de l'article 47 du code civil.
10. Dès lors, et en dépit de la reconnaissance de sa minorité par le juge des enfants, il apparaît ici que les éléments évoqués ci-dessus étaient suffisants pour remettre en cause l'authenticité des documents d'état civil produits par M. B... à l'appui de sa demande de titre de séjour et renverser la présomption dont il bénéficiait à cet égard. Dans ces conditions, la préfète a pu, par le seul motif qu'elle ne pouvait connaître l'état civil de l'intéressé, et sans méconnaître les dispositions de l'article 47 du code civil, refuser de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. En dernier lieu, et compte tenu de ce qui précède, les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination ne sont pas illégales par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour.
12. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 avril 2025.
La rapporteure,
I. Boffy
Le président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY01213
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