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17/04/2025 | FRANCE | N°24LY00484

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 17 avril 2025, 24LY00484


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision implicite du 6 janvier 2021 par laquelle le ministre de la santé et des solidarités a rejeté sa demande de protection fonctionnelle et d'enjoindre au ministre de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle pour des faits de discrimination en raison de son activité syndicale.



Par un jugement n° 2100209 du 22 décembre 2023, le tribunal a fait droit à sa demande.







Procédure devant la cour



Par une requête enregistrée le 22 février 2024, la ministre d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision implicite du 6 janvier 2021 par laquelle le ministre de la santé et des solidarités a rejeté sa demande de protection fonctionnelle et d'enjoindre au ministre de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle pour des faits de discrimination en raison de son activité syndicale.

Par un jugement n° 2100209 du 22 décembre 2023, le tribunal a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 22 février 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de M. A....

Elle soutient que :

- il n'est pas établi que la minute du jugement a été signée par la présidente, le rapporteur et le greffier d'audience ;

- c'est à tort que le tribunal a, pour annuler la décision refusant de lui accorder la protection fonctionnelle, estimé que M. A... aurait fait l'objet d'un traitement par le jury laissant supposer une discrimination ;

- l'autre moyen soulevé devant le tribunal, tiré de ce que les motifs de rejet implicite de sa demande ne lui ont pas été communiqués malgré sa demande doit être écarté car si M. A... prétend avoir contacté le chef du département en charge de l'instruction de sa demande de protection fonctionnelle, par courriel le 6 janvier 2021, puis par téléphone le 12 janvier 2021, afin de connaître les motifs du rejet de sa demande, il ne l'établit pas.

M. A... auquel la requête a été communiquée n'a pas présenté d'observations.

Par une ordonnance du 1er octobre 2024, l'instruction a été close au 18 novembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., inspecteur du travail stagiaire, a suivi un cycle de perfectionnement d'une durée de six mois à l'Institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (INTEFP), de décembre 2015 à juin 2016, à l'issu duquel il a fait l'objet d'une prolongation de stage de trois mois. Estimant avoir été à cette occasion victime d'une discrimination fondée sur son appartenance syndicale, il a saisi la cellule d'écoute et d'alerte des ministères sociaux qui a rendu un rapport intermédiaire en date du 30 juin 2020. M. A... a formulé le 6 novembre 2020 une demande de protection fonctionnelle, reçue le même jour, implicitement rejetée le 6 janvier 2021. Par un jugement du 22 décembre 2023, qui mentionne par erreur comme date de la décision implicite le 5 au lieu du 6 janvier 2021, et dont la ministre du travail, de la santé et des solidarités relève appel, le tribunal administratif de Grenoble, a, à la demande de M. A..., annulé cette décision implicite.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué comporte la signature de la présidente de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir qu'à défaut de telles signatures, prévues par l'article R. 741-7 du code de justice administrative, le jugement serait irrégulier.

Sur le motif d'annulation :

3. Aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983, alors en vigueur : " (...) Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race / Toutefois des distinctions peuvent être faites afin de tenir compte d'éventuelles inaptitudes physiques à exercer certaines fonctions. / (...) Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération :/ 1° Le fait qu'il a subi ou refusé de subir des agissements contraires aux principes énoncés au deuxième alinéa du présent article ; / 2° Le fait qu'il a formulé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire respecter ces principes ; 3° Ou bien le fait qu'il a témoigné d'agissements contraires à ces principes ou qu'il les a relatés (...) ".

4. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime de discriminations de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'une telle discrimination ou d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les discriminations alléguées sont ou non établies, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

5. Par ailleurs, aux termes du IV de l'article 11 de la même loi, alors en vigueur : " La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle ne puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en a résulté ".

6. Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

7. Il ressort des termes de la demande de protection fonctionnelle présentée par M. A... que sa demande portait sur le dépôt d'une plainte pénale contre le directeur de l'INTEFP dont les commentaires inscrits sur son livret de formation transmis au jury révèleraient une discrimination syndicale.

8. A l'appui de sa demande, M. A... s'est fondé sur un avis émis par la cellule d'écoute et d'alerte des ministères sociaux, tenue par Allodiscrim, qui a conclu, dans un rapport intermédiaire en date du 30 juin 2020, que la prolongation de formation de M. A... pourrait être fondée sur le critère prohibé des opinions syndicales. Selon cet avis, M. A... a fait l'objet d'un traitement différent s'agissant de l'appréciation de son assiduité dans son livret individuel, potentiellement fondé sur le critère prohibé de ses opinions syndicales ou à tout le moins d'une inégalité de traitement illicite, fondée sur l'exercice de son droit de grève. Le livret de stage de M. A... comporte comme seule appréciation littérale une réserve du directeur indiquant que " Monsieur A... a conscience qu'il doit poursuivre son perfectionnement. L'INTEFP lui a rappelé la nécessité de prendre connaissance des modules de formation non suivis en présentiel et à distance ". Il résulte du rapport rédigé par la société Allodiscrim que " sur les 8 absences de Monsieur A..., 6 étaient motivées par des journées de grève contre la loi El Khomri, une sur un chèque syndical pour être auditionné à titre de syndicaliste par l'IGAS dans l'affaire " Téfal " et une pour promouvoir la sortie de son livre lors d'une conférence débat ". En outre, les courriels des formateurs dont ce rapport reproduit des extraits pointent l'assiduité, la ponctualité, l'implication et la participation active et constructive de l'intéressé dans sa formation, plusieurs formateurs s'étonnant de la prolongation de son stage. Le rapport relève que deux stagiaires ayant eu neuf absences, soit plus que l'intéressé, et un autre huit absences ont reçu des appréciations littérales relevant leur assiduité ou leur investissement dans la formation sans même que soit précisée la nature des absences et leur caractère justifié ou non. Le rapport retient également que, contrairement à d'autres, M. A... a rattrapé avant son oral tous les modules à distance non réalisés. Les éléments produits par M. A... sont, par suite, de nature à faire présumer l'existence d'une telle discrimination.

9. L'administration, qui se borne à faire valoir que la décision du jury de ne pas prolonger le stage de M. A... n'est pas discriminatoire, ne justifie nullement que les mentions portées par le directeur de l'INTEFP sur le livret, qui constituent le motif de la demande de protection fonctionnelle, seraient motivées par des considérations étrangères à son activité syndicale. Dans son rapport, Allodiscrim souligne que l'administration n'a pas souhaité produire les livrets individuels des autres stagiaires. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la décision implicite refusant à M. A... le bénéfice de la protection fonctionnelle était entachée d'une erreur d'appréciation.

10. Il résulte de ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé la décision implicite de rejet de la demande de protection fonctionnelle de M. A... et lui a enjoint d'accorder la protection fonctionnelle à M. A....

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la ministre du travail, de la santé et des solidarités est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 3 avril 2025 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

M. Chassagne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 avril 2025.

La rapporteure,

A. Duguit-LarcherLe président,

V-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY00484

kc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY00484
Date de la décision : 17/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

01-04-03-07-04 Actes législatifs et administratifs. - Validité des actes administratifs - violation directe de la règle de droit. - Principes généraux du droit. - Principes intéressant l'action administrative. - Garanties diverses accordées aux agents publics.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Agathe DUGUIT-LARCHER
Rapporteur public ?: M. RIVIERE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-17;24ly00484 ?
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