Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 2 mars 2023 par lequel la préfète de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante de l'Union européenne.
Par un jugement n° 2301898 du 14 mars 2024, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 13 mai 2024, M. C..., représenté par Me Maugez, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 mars 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 2 mars 2023 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de l'Ain de lui délivrer un titre de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de refus de séjour méconnaît les articles L. 233-1 et L. 233-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- dès lors que les conditions prévues par les articles L 233-1, L 233-2 et R 233-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont remplies, il devait lui être délivré un titre de séjour dans les trois mois de son entrée en France, sans que les mentions figurant sur son permis de résidence espagnol, dont la préfète ne s'est pas prévalue, aient d'incidence ;
- la décision de refus de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 janvier 2025, la préfète de l'Ain conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- M. C... n'apporte la preuve ni de la date de son entrée en France ni de la date de dépôt de sa demande de délivrance d'un titre de séjour, qui a été enregistrée le 25 janvier 2023, soit au-delà du délai de trois mois prévu par l'article R. 233-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le titre de séjour délivré par les autorités espagnoles dont est titulaire M. C... ne lui permettait pas de se maintenir plus de trois mois sur le territoire français ;
- ce titre, qui ne constitue pas une " carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union ", ne le dispensait pas de l'obligation d'obtenir un visa pour entrer en France.
Par une ordonnance du 21 janvier 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 février 2025.
La demande d'admission à l'aide juridictionnelle de M. C... a été déclarée caduque par une décision du 14 août 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant marocain né le 20 novembre 1982, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante de l'Union européenne. M. C... relève appel du jugement du 14 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 mars 2023 par lequel la préfète de l'Ain a refusé de faire droit à cette demande.
2. D'une part, aux termes de l'article 5 de la directive 2004/28/CE du 29 avril 2004 : " (...) / 2. Les membres de la famille qui n'ont pas la nationalité d'un État membre ne sont soumis qu'à l'obligation de visa d'entrée, conformément au règlement (CE) no 539/2001 ou, le cas échéant, à la législation nationale. Aux fins de la présente directive, la possession de la carte de séjour en cours de validité visée à l'article 10, dispense les membres de la famille concernés de l'obligation d'obtenir un visa. / (...) / (...) / 4. Lorsqu'un citoyen de l'Union ou un membre de la famille qui n'a pas la nationalité d'un État membre ne dispose pas du document de voyage requis ou, le cas échéant, du visa nécessaire, l'État membre concerné accorde à ces personnes tous les moyens raisonnables afin de leur permettre d'obtenir ou de se procurer, dans un délai raisonnable, les documents requis ou de faire confirmer ou prouver par d'autres moyens leur qualité de bénéficiaires du droit de circuler et de séjourner librement, avant de procéder au refoulement. / 5. L'État membre peut imposer à l'intéressé de signaler sa présence sur son territoire dans un délai raisonnable et non discriminatoire. Le non-respect de cette obligation peut être passible de sanctions non discriminatoires et proportionnées. " Aux termes de l'article 9 de cette directive : " 1. Les États membres délivrent une carte de séjour aux membres de la famille d'un citoyen de l'Union qui n'ont pas la nationalité d'un État membre lorsque la durée du séjour envisagé est supérieure à trois mois. / 2. Le délai imparti pour introduire la demande de carte de séjour ne peut pas être inférieur à trois mois à compter de la date d'arrivée. / 3. Le non-respect de l'obligation de demander la carte de séjour peut être passible de sanctions non discriminatoires et proportionnées. " Aux termes de l'article 10 : " 1. Le droit de séjour des membres de la famille d'un citoyen de l'Union qui n'ont pas la nationalité d'un État membre est constaté par la délivrance d'un document dénommé " Carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union " au plus tard dans les six mois suivant le dépôt de la demande. Une attestation du dépôt de la demande de carte de séjour est délivrée immédiatement. / (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 200-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le présent livre détermine les règles applicables à l'entrée, au séjour et à l'éloignement : / Des citoyens de l'Union européenne, tels que définis à l'article L. 200-2 ; / (...) / 3° Des membres de famille des citoyens de l'Union européenne et des étrangers qui leur sont assimilés, tels que définis à l'article L. 200-4 ; / (...) ". L'article L. 200-2 du même code dispose qu'" Est citoyen de l'Union européenne toute personne ayant la nationalité d'un État membre ", tandis que l'article L. 200-4 de ce code précise que : " Par membre de famille d'un citoyen de l'Union européenne, on entend le ressortissant étranger, quelle que soit sa nationalité, qui relève d'une des situations suivantes : / 1° Conjoint du citoyen de l'Union européenne ; (...) ". Aux termes de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : / 1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; / 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; / (...) / 4° Ils sont membres de famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées aux 1° ou 2° ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 233-2 de ce code : " Les ressortissants de pays tiers, membres de famille d'un citoyen de l'Union européenne satisfaisant aux conditions énoncées aux 1° ou 2° de l'article L. 233-1, ont le droit de séjourner sur le territoire français pour une durée supérieure à trois mois. / (...) ".
4. Il résulte des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 3, interprétées à la lumière des dispositions de la directive 2004/28/CE citées au point 2, qu'un étranger, conjoint d'un ressortissant de l'Union européenne, n'ayant pas lui-même la qualité de citoyen de l'Union européenne, ne peut se voir refuser un titre de séjour au seul motif de son entrée irrégulière ou de son séjour irrégulier sur le territoire français.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 232-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tant qu'ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale mentionné par la directive 2004/38 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relatif au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, les citoyens de l'Union européenne ainsi que les membres de leur famille, tels que définis aux articles L. 200-4 et L. 200-5 et accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne, ont le droit de séjourner en France pour une durée maximale de trois mois, sans autre condition ou formalité que celles prévues pour l'entrée sur le territoire français./ (...) ". Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, les étrangers dont la situation est régie par le présent livre doivent être munis des documents prévus par décret en Conseil d'Etat. " Aux termes de l'article R. 221-2 de ce code : " Les documents permettant aux ressortissants de pays tiers mentionnés à l'article L. 200-4 d'être admis sur le territoire français sont leur passeport en cours de validité et un visa ou, s'ils en sont dispensés, un document établissant leur lien familial. / La possession du titre de séjour délivré par un État membre de l'Union européenne portant la mention " Carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union " en cours de validité dispense les membres de la famille concernés de l'obligation d'obtenir un visa. / L'autorité consulaire leur délivre gratuitement, dans les meilleurs délais et dans le cadre d'une procédure accélérée, le visa requis sur justification de leur lien familial. Toutes facilités leur sont accordées pour obtenir ce visa. / (...) ". Aux termes de l'article R. 233-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les membres de famille ressortissants de pays tiers mentionnés à l'article L. 233-2 présentent dans les trois mois de leur entrée en France leur demande de titre de séjour avec leur passeport en cours de validité ainsi que les justificatifs établissant leur lien familial et garantissant le droit au séjour du citoyen de l'Union européenne accompagné ou rejoint. / Lorsque le citoyen de l'Union européenne qu'ils accompagnent ou rejoignent n'exerce pas d'activité professionnelle, ils justifient en outre des moyens dont celui-ci dispose pour assurer leur prise en charge financière et d'une assurance offrant les prestations mentionnées aux articles L. 160-8 et L. 160-9 du code de la sécurité sociale. / Ils reçoivent une carte de séjour portant la mention " Carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union/ EEE/ Suisse-Toutes activités professionnelles ". Sa durée de validité est fixée à cinq ans, sauf si le citoyen de l'Union européenne qu'ils accompagnent ou rejoignent déclare vouloir séjourner pendant une durée inférieure à cinq ans. (...) / (...) ".
6. Il ressort des termes de la décision de refus de séjour contestée qu'elle est fondée sur deux motifs : le premier tiré de la méconnaissance des articles L. 221-1 et R. 221-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en ce que l'intéressé est entré en France sans visa, le second tiré de la méconnaissance des articles L. 232-1 et R. 233-15 du même code, en ce que M. C... a déposé sa demande de délivrance d'un titre de séjour au-delà du délai de trois mois prévu par ce dernier article.
7. À supposer même ces motifs établis, alors qu'il ressort des pièces du dossier que M. C..., qui a indiqué que sa dernière date d'entrée en France était le 30 septembre 2022, justifie disposer d'une carte de séjour temporaire délivrée par les autorités espagnoles valable du 18 juillet 2022 au 30 juin 2027 et produit des éléments au soutien de son affirmation selon laquelle il a sollicité un rendez-vous en préfecture dès le 30 novembre 2022, il résulte du principe exposé au point 4 que les seuls motifs tirés de ce que M. C... serait entré irrégulièrement en France et de ce qu'il se serait maintenu sur le territoire français au-delà d'un délai de trois mois sans solliciter de titre de séjour ne peuvent pas légalement, alors que l'intéressé se prévalait de la qualité de conjoint d'une ressortissante de l'Union européenne, justifier une décision de refus de délivrance d'un titre de séjour en cette qualité. Dans ces conditions, M. C... est fondé à soutenir que la décision du 2 mars 2023 est entachée d'une erreur de droit, en ce qu'elle méconnaît les articles L. 233-1 et L. 233-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. "
10. L'exécution du présent arrêt implique seulement que la préfète de l'Ain réexamine la demande de M. C... et prenne une nouvelle décision à l'issue de ce réexamen. Il y a dès lors lieu d'enjoindre à la préfète de l'Ain de procéder à ce réexamen, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
11. Par une décision du 14 août 2024, la présidente du bureau d'aide juridictionnelle a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle de M. C.... Par suite, les conclusions de Me Maugez, avocat du requérant, tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'État à son profit au titre du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées. Toutefois il y a lieu de mettre à la charge de l'État le versement à M. C... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon n° 2301898 en date du 14 mars 2024 et l'arrêté de la préfète de l'Ain du 2 mars 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour à M. C... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de l'Ain de procéder au réexamen de la demande de M. C..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Les conclusions de M. Maugez, avocat de M. C..., présentées en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : L'État versera à M. C... une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à Me Philippe Maugez et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée à la préfète de l'Ain.
Délibéré après l'audience du 18 mars 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Anne-Gaëlle Mauclair, présidente de la formation de jugement,
Mme Claire Burnichon, première conseillère,
Mme Gabrielle Maubon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 avril 2025.
La rapporteure,
G. A...La présidente,
A.-G. Mauclair
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N° 24LY01373 2