Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SAS Rodamco France a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 13 novembre 2023 de la commission des valeurs locatives des locaux professionnels du Rhône et de la métropole de Lyon en tant qu'elle n'a pas modifié les coefficients de localisation applicables aux parcelles cadastrées section AR 5 et 106 de la commune de Lyon.
Par une ordonnance n° 2401391 du 14 mai 2024, la présidente du tribunal administratif de Lyon a, en application des dispositions combinées des articles R. 351-3 du code de justice administrative et L. 201 D du livre des procédures fiscales, transmis à la cour la demande de la SAS Rodamco France, enregistrée au greffe du tribunal le 12 février 2024.
Procédure devant la cour
Par cette demande, enregistrée le 17 mai 2024 au greffe de la cour, et un mémoire enregistré le 12 novembre 2024, la SAS Rodamco France, représentée par Me Schiano Gentiletti, demande à la cour :
1°) d'annuler la décision de la commission des valeurs locatives des locaux professionnels du Rhône et de la métropole de Lyon du 13 novembre 2023 en tant qu'elle ne modifie pas les coefficients de localisation applicables aux parcelles cadastrées section AR 5 et 106 de la commune de Lyon ;
2°) d'enjoindre à la commission des valeurs locatives des locaux professionnels du Rhône et de la métropole de Lyon de fixer un coefficient de localisation de 0,7 pour les parcelles cadastrées section AR 5 et 106 de la commune de Lyon, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'est justifié ni de la consultation de la commission communale ou intercommunale des impôts directs, ni de la régularité de sa composition ;
- il n'est justifié ni de la régularité de la composition de la commission des valeurs locatives des locaux professionnels du Rhône et de la métropole de Lyon, ni du respect des règles de fonctionnement au cours de la délibération contestée ;
- le coefficient de localisation fixé pour les parcelles en cause est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2025, la ministre chargée des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par la SAS Rodamco France ne sont pas fondés.
Par un mémoire distinct, enregistré le 12 novembre 2024, présenté en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la SAS Rodamco France demande à la cour, à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 1518 ter du code général des impôts.
Elle soutient que sont satisfaites les conditions requises pour transmettre la question de la conformité de ces dispositions, qui sont applicables au litige, au droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que ces questions n'ont pas été soumises au Conseil constitutionnel.
Par un mémoire, enregistré le 10 décembre 2024, le ministre chargé du budget et des comptes publics conclut au rejet de la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution et son article 61-1 ;
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Moya, rapporteur,
- et les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision prise lors de sa séance du 13 novembre 2023, la commission des valeurs locatives des locaux professionnels du Rhône et de la métropole de Lyon décidé, en application des dispositions du II de l'article 1518 ter du code général des impôts, de ne pas modifier les coefficients de localisation utilisés pour la détermination de la valeur locative des locaux professionnels prévue à l'article 1498 de ce code. La SAS Rodamco France, propriétaire d'une partie du centre commercial de la Part-Dieu, implantée sur les parcelles cadastrées section AR 5 et 106 situées sur le territoire de la commune de Lyon, a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler pour excès de pouvoir cette décision, en tant qu'elle ne modifie pas le coefficient de localisation de 1 appliqué à ces deux parcelles. Le tribunal n'ayant pas statué dans le délai de trois mois prévu à l'article L. 201 D du livre des procédures fiscales, sa présidente a, par une ordonnance du 14 mai 2024, transmis à la cour la demande de la SAS Rodamco France, en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un mémoire distinct et motivé, statue par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
3. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de des droits de l'homme et du citoyen : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Il résulte de ces dispositions qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
4. Aux termes du II de l'article 1518 ter du code général des impôts : " Au cours des troisième et cinquième années qui suivent celle du renouvellement général des conseils municipaux, la commission départementale des valeurs locatives mentionnée à l'article 1650 B peut se réunir afin de modifier l'application des coefficients de localisation mentionnés au 2 du B du II de l'article 1498 après avis des commissions communales ou intercommunales des impôts directs respectivement mentionnées aux articles 1650 et 1650 A. ".
5. Ces dispositions ne limitent pas le droit, pour les personnes intéressées, d'introduire devant le juge administratif, dans le délai de recours contentieux, un recours pour excès de pouvoir contre les décisions qui, en application des dispositions précitées au point 4, modifient les coefficients de localisation ou, le cas échéant, contre celles qui refusent de modifier ces coefficients. Il est ainsi loisible au justiciable qui s'estimerait fondé à le faire, de former un recours pour excès de pouvoir contre de telles décisions. Ainsi, les dispositions du II de l'article 1518 ter du code général des impôts ne portent aucune atteinte, a fortiori substantielle, au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
6. Il suit de là que la condition tenant à ce que la question prioritaire de constitutionnalité ne soit pas dépourvue de caractère sérieux n'est pas satisfaite. Ainsi, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.
Sur la légalité de la décision de la commission des valeurs locatives des locaux professionnels du Rhône et de la métropole de Lyon du 13 novembre 2023 :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 1498 du code général des impôts : " I. - La valeur locative de chaque propriété bâtie ou fraction de propriété bâtie, autres que les locaux mentionnés au I de l'article 1496, que les établissements industriels mentionnés à l'article 1499 et que les locaux dont la valeur locative est déterminée dans les conditions particulières prévues à l'article 1501, est déterminée selon les modalités prévues aux II ou III du présent article. / Les propriétés mentionnées au premier alinéa sont classées dans des sous-groupes, définis en fonction de leur nature et de leur destination. A l'intérieur d'un sous-groupe, elles sont classées par catégories, en fonction de leur utilisation, de leurs caractéristiques physiques, de leur situation et de leur consistance. Les sous-groupes et catégories de locaux sont déterminés par décret en Conseil d'Etat. / II. - A. - La valeur locative de chaque propriété bâtie ou fraction de propriété bâtie mentionnée au I est déterminée en fonction de l'état du marché locatif à la date de référence du 1er janvier 2013, sous réserve de la mise à jour prévue au III de l'article 1518 ter. / Elle est obtenue par application d'un tarif par mètre carré déterminé conformément au 2 du B du présent II à la surface pondérée du local définie au C du présent II. / (...) / Les tarifs par mètre carré peuvent être majorés de 1,1,1,15,1,2 ou 1,3 ou minorés de 0,7,0,8,0,85 ou 0,9, par application d'un coefficient de localisation destiné à tenir compte de la situation particulière de la parcelle d'assise de la propriété au sein du secteur d'évaluation. / (...). ". Aux termes du II de l'article 1518 ter du même code déjà cité : " Au cours des troisième et cinquième années qui suivent celle du renouvellement général des conseils municipaux, la commission départementale des valeurs locatives mentionnée à l'article 1650 B peut se réunir afin de modifier l'application des coefficients de localisation mentionnés au 2 du B du II de l'article 1498 après avis des commissions communales ou intercommunales des impôts directs respectivement mentionnées aux articles 1650 et 1650 A. ".
8. Il ressort des pièces du dossier et en particulier du bordereau d'accompagnement relatif à la mise à jour des paramètres départementaux d'évaluation des locaux professionnels pour les impositions de l'année 2024 que la commission des valeurs locatives des locaux professionnels du Rhône et de la métropole de Lyon (CDVL) n'a pas modifié les coefficients de localisation. Dans ces conditions, en l'absence de modification de ces coefficients, la CDVL n'était pas tenue, en application des dispositions précitées, de saisir pour avis les commissions communales et intercommunales des impôts directs. Ainsi, la SAS Rodamco France ne peut utilement soutenir que la décision contestée de la CDVL est irrégulière au motif que celle-ci n'a pas saisi la commission communale ou intercommunale des impôts directs, ni que cette commission était irrégulièrement composée.
9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier du procès-verbal produit par le ministre en défense, que lors de sa séance du 13 novembre 2023, la CDVL était composée des personnes dont l'arrêté du 20 janvier 2022 du préfet du Rhône prévoit qu'elles siègent dans cette commission. Par suite, le moyen tiré de ce que cette commission était irrégulièrement composée doit être écarté. Par ailleurs, le moyen tiré de ce que les règles de fonctionnement de cette commission n'ont pas été respectées lors de sa réunion du 13 novembre 2023 est dépourvu des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
10. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le centre commercial de la Part-Dieu, implanté sur les parcelles cadastrées section AR 5 et 106 de la commune de Lyon, constitue l'un des plus grands centres commerciaux d'Europe et, d'après les données librement accessibles notamment sur internet, est le centre commercial le plus important du département du Rhône en nombre de commerces. Situé à Lyon même, en face de la gare SNCF Lyon Part-Dieu, il est desservi par une ligne de métro, trois lignes de tramway et plusieurs lignes de bus. Trois parkings situés à proximité ont une capacité comprise entre 495 et 687 places de stationnement. Un hypermarché est implanté au sein du centre commercial, ce qui favorise son activité commerciale. Si la SAS Rodamco France expose que d'importants travaux de rénovation ont débuté en 2017 et ont généré des difficultés d'accès, la fin de ces travaux était programmée dans le courant de l'année 2024. Ces travaux de rénovation ont permis, d'une part, d'étendre la surface commerciale dévolue aux commerces, aux loisirs et aux espaces de restauration et, d'autre part, de rendre ce centre commercial plus attractif. Si la société requérante affirme que le centre-commercial Part-Dieu subit la concurrence d'autres centres commerciaux qui auraient pris de l'ampleur, elle ne justifie pas d'une baisse de sa fréquentation résultant de cette concurrence accrue. En se bornant à produire un tableau de calcul du loyer par mètre carré de ses locaux, la requérante ne justifie pas que la moyenne des loyers pratiqués est largement inférieure au tarif applicable au secteur d'évaluation n° 6. Eu égard à la situation privilégiée des parcelles cadastrées section AR 5 et 106, la SAS Rodamco France n'est pas fondée à soutenir que la décision de maintenir un coefficient de localisation de 1 sur ces parcelles est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de la SAS Rodamco France doivent être rejetées. Il en est de même, par voie de conséquence, de ses conclusions à fin d'injonction.
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la SAS Rodamco France une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS Rodamco France relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du II de l'article 1518 ter du code général des impôts.
Article 2 : La requête de la SAS Rodamco France est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Rodamco France et à la ministre chargée des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 10 mars 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Vinet, présidente de la formation de jugement,
M. Moya, premier conseiller,
Mme Soubié, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 avril 2025.
Le rapporteur,
P. Moya
La présidente,
C. Vinet
La greffière,
F. Bossoutrot
La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY01411
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