Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société COFEL Industries a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du 21 mars 2019 par laquelle le préfet de la Haute-Loire l'a assujettie à l'obligation de revitalisation des territoires prévue par l'article L. 1233-84 du code du travail.
Par un jugement n° 1901035 du 7 décembre 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 7 février 2024, la société COFEL Industries, représentée par Me Hamon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et la décision du 21 mars 2019 du préfet de la Haute-Loire ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en la soumettant à cette obligation alors que le licenciement collectif qu'elle a mis en œuvre n'entre pas dans le champ d'application des articles L. 1233-84 et suivants et de l'article D. 1233-38 du code du travail, tel que précisé par la circulaire DGEFP/DGCIS/DATAR n° 2012-14 du 12 juillet 2012 relative à la mise en œuvre de l'obligation de revitalisation instituée par l'article L. 1233-84 du code du travail, dès lors qu'il n'a pas pour effet de déséquilibrer de manière significative le bassin d'emploi.
Par un mémoire enregistré le 26 juin 2024, la ministre du travail, de l'emploi et des solidarités conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société COFEL Industries ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 2 décembre 2024, l'instruction a été close au 20 décembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Grandsaigne, substituant Me Hamon, pour la société COFEL Industrie, ainsi que celles de M. A..., pour la ministre de l'emploi, de la santé, des solidarités et des familles ;
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de la fermeture de son site de production de Langeac, par réorganisation de sa production sur ses autres sites situés en France, et de l'homologation le 22 février 2019 par la DIRECCTE de l'accord collectif du 31 janvier 2019 portant sur le plan de sauvegarde de l'emploi, la société COPIREL, désormais dénommée COFEL Industries, qui fabrique des matelas et sommiers, a fait l'objet, le 21 mars 2019 d'une décision du préfet de la Haute-Loire d'assujettissement à l'obligation de revitalisation prévue par les articles L. 1233-84 et suivants du code du travail. La société COFEL Industries relève appel du jugement du 7 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
2. En premier lieu, la société COFEL Industries reprend en appel le moyen tiré du défaut de motivation de la décision. Il y a lieu, par adoption des motifs du tribunal, d'écarter ce moyen.
3. En second lieu, aux termes de l'article L. 1233-84 du code du travail : " Lorsqu'elles procèdent à un licenciement collectif affectant, par son ampleur, l'équilibre du ou des bassins d'emploi dans lesquels elles sont implantées, les entreprises mentionnées à l'article L. 1233-71 sont tenues de contribuer à la création d'activités et au développement des emplois et d'atténuer les effets du licenciement envisagé sur les autres entreprises dans le ou les bassins d'emploi. (...) ". Aux termes l'article D. 1233-38 du même code : " Lorsqu'une entreprise mentionnée à l'article L. 1233-71 procède à un licenciement collectif (...), le ou les préfets dans le ou les départements du ou des bassins d'emploi concernés lui indiquent (...) si elle est soumise à l'obligation de revitalisation des bassins d'emploi instituée aux articles L. 1233-84 et L. 1237-19-9. / A cet effet, ils apprécient si le licenciement ou la rupture conventionnelle collective affectent, par leur ampleur, l'équilibre du ou des bassins d'emploi concernés en tenant notamment compte du nombre et des caractéristiques des emplois susceptibles d'être supprimés, du taux de chômage et des caractéristiques socio-économiques du ou des bassins d'emploi et des effets du licenciement ou de la rupture conventionnelle collective sur les autres entreprises de ce ou ces bassins d'emploi. (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'étude d'impact territorial du 22 janvier 2019 réalisée à la demande de la société COFEL Industries, que l'usine de Langeac se situe, ainsi que l'a retenu le préfet dans la décision en litige, dans le bassin d'emploi de Brioude qui est, avec le bassin du Puy-en-Velay et celui de Monistrol Yssingeaux, l'un des trois principaux bassins d'emploi du département de la Haute-Loire. Si le nombre d'emplois susceptibles d'être supprimés, qui s'élevait à quatre-vingt-deux, n'apparaît pas, au regard du nombre d'emplois existants à l'échelle du département, ou au regard du nombre d'emplois du bassin du Puy-en-Velay, voisin, ni même au regard du nombre d'emplois du bassin de Brioude lui-même, de quatorze mille cinq cents salariés, important, il n'en demeure pas moins que le préfet devait apprécier l'ampleur de ces licenciements sur l'équilibre du bassin d'emploi de Brioude, au regard de ses caractéristiques et des emplois concernés.
5. Ainsi que cela ressort de l'étude produite par la société, dont le préfet a repris les données, 40 % des salariés dont l'emploi va être supprimé ont une ancienneté supérieure à vingt ans, à 89 % ils résident à moins de trente kilomètres de leur lieu de travail, 57 % d'entre eux ont au moins un enfant, ils sont en moyenne peu qualifiés et les personnes de plus de cinquante ans sont majoritairement concernées. Le plan de sauvegarde de l'emploi touche en conséquence majoritairement des travailleurs assez âgés, peu mobiles, et peu qualifiés. Or, il apparaît, ainsi que l'a indiqué le préfet, que l'usine de Langeac était le plus gros établissement dans la zone d'emploi et dans tout le département de la Haute-Loire du secteur d'activité " autres industries manufacturières ". Le plan de sauvegarde, qui est le plus gros plan de la Haute-Loire, va entrainer la perte de plus de 30 % de l'effectif total du secteur de la zone d'emploi, et 10 % à l'échelle du département. Si la société fait valoir que le taux d'emploi dans l'industrie avancé par l'administration dans le bassin d'emploi, de 10,3 %, remonte au 31 décembre 2015 alors qu'en 2018 la proportion d'emplois industriels était de 27,5 % sur la zone d'emploi de Brioude, toutefois, la société ne précise pas la part de l'activité " autres Industries manufacturières " dans ces données. Si elle soutient également que les emplois supprimés relèvent de l'industrie de la plasturgie et qu'il résulte de l'étude d'impact sociale et territoriale, que le département de la Haute-Loire occupe le huitième rang des départements français les plus industrialisés, que près de 20 % de l'emploi du département se situe dans l'industrie et que l'industrie dans le département s'appuie sur quatre secteurs d'activités, à savoir la fabrication de produits en caoutchouc et plastique, l'agroalimentaire, la métallurgie et le textile et les industries de l'habillement, du cuir et de la chaussure, toutefois, outre que la fabrication des produits d'ameublement ne figure pas dans les quatre secteurs d'activité majeurs, il apparaît, selon la même étude, que les principaux secteurs d'activité du bassin de Brioude sont la sous-traitance automobile, l'agroalimentaire et les entreprises du bois, secteurs dans lesquels il n'est pas manifeste que ses anciens employés pourraient retrouver un emploi.
6. Par ailleurs, ainsi que l'a indiqué le préfet, l'établissement est situé en zone de revitalisation rurale, zone touchée par le déclin démographique et économique, ce qui ne favorise pas son attractivité et rendra plus difficile le réemploi des salariés licenciés. En outre, que cela soit au deuxième trimestre 2018, semestre sur lequel se fonde l'étude de la société, ou au troisième trimestre 2018, semestre sur lequel s'est fondé le préfet, le taux de chômage de la zone d'emploi de Brioude, s'il demeure inférieur au taux national, est plus élevé que celui du département et de la région. Il apparaît en outre, ainsi que l'a précisé l'administration dans ses écritures, qu'il y a mille huit cent dix-huit demandeurs d'emploi, tenus de rechercher un emploi et sans activité sur la zone d'emploi de Brioude, que les employés non qualifiés, comme la plupart des salariés qui vont perdre leur emploi, constituent 24,4 % des demandeurs d'emploi dans la zone d'emploi et que la situation des demandeurs d'emploi de la tranche d'âge des plus de cinquante ans est fragile dans le bassin d'emploi et dans le département comparativement à la région.
7. Dans ces conditions, quand bien même le plan de sauvegarde de l'emploi n'aurait, compte tenu des mesures prises par la société, qu'un impact faible sur les autres entreprises du bassin d'emploi, le préfet a pu, eu égard au nombre d'emplois concernés, de leurs caractéristiques, du taux de chômage et des caractéristiques socio-économiques du bassin d'emploi de Brioude, estimer, sans entacher sa décision ni d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation, que les licenciements en cause affecteraient, par leur ampleur, l'équilibre de ce bassin d'emploi et assujettir pour ce motif la société à l'obligation de revitalisation. Par suite le moyen tiré de ce que le préfet aurait méconnu les articles L. 1233-84 et suivants et l'article D. 1233-38 du code du travail, ainsi que, en tout état de cause, la circulaire n° 2012-14 du 12 juillet 2012 relative à la mise en œuvre de l'obligation de revitalisation, doit être écarté.
8. Il résulte de ce qui précède que la société COFEL Industries n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société COFEL Industries est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société COFEL Industries et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Loire.
Délibéré après l'audience du 20 mars 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 avril 2025.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
M. B...
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY00306
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