Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... B... et M. A... B... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 1 022,50 euros et 10 000 euros, en réparation, respectivement, du préjudice matériel et des troubles dans les conditions d'existence subis à la suite du tir par les services de police de deux balles de défense le 15 juillet 2018, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par le ministre de l'intérieur de leur demande préalable et de la capitalisation de ces intérêts.
Par jugement n° 2107296 du 30 décembre 2022, le tribunal a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 janvier 2023 et le 20 avril 2023, MM. B..., représentés par Me Lantheaume, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 1 022,50 euros et 10 000 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la date de réception de leur demande préalable et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice matériel et des troubles dans les conditions d'existence que leur a causé le tir par les services de police de deux balles de défense le 15 juillet 2018, à titre subsidiaire, un euro symbolique ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité sans faute de l'Etat pour risques exceptionnels est engagée à raison de l'envoi de deux tirs de lanceur de balle de défense de 40 mm, ces engins constituant des armes dangereuses et M. C... B... ayant la qualité de tiers à l'opération ;
- la responsabilité de l'Etat est également engagée pour faute simple à l'égard de M. A... B... pour risques exceptionnels ;
- à titre subsidiaire, ils peuvent se prévaloir du régime de responsabilité sans faute sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure ;
- ils ont subi un préjudice matériel à hauteur de 1 022,50 euros, ou, à tout le moins, un euro symbolique ;
- ils sont fondés à demander la réparation des troubles dans les conditions d'existence à hauteur de 10 000 euros.
Par mémoire enregistré le 16 mars 2023, la préfète du Rhône demande à la cour de rejeter la requête.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué n'est entaché d'aucune irrégularité ;
- les requérants ne démontrent pas la réalité du préjudice matériel et des troubles dans les conditions de l'existence qu'ils invoquent ;
- la responsabilité sans faute de l'Etat ne saurait être engagée, les lanceurs de balles de défense ne présentant pas des risques exceptionnels pour les personnes et les biens et dès lors que MM. B... n'ont pas la qualité de tiers par rapport aux opérations de police ;
- le régime de responsabilité applicable en l'espèce, est un régime de faute lourde ;
- aucune faute n'a été commise dans les opérations de maintien de l'ordre ;
- en tout état de cause, le comportement de la victime est de nature à exonérer l'Etat de toute responsabilité.
Par mémoire enregistré le 18 avril 2023, le ministre de l'intérieur demande à la cour de rejeter la requête.
Il s'en remet aux écritures et pièces produites par la préfète du Rhône.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code pénal ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Evrard,
- et les conclusions de Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... B... a pris à bail un appartement situé 29 rue Gasperin à Lyon. En son absence, son fils, M. A... B..., ainsi que plusieurs personnes réunies dans cet appartement à l'invitation de ce dernier, ont, lors de la retransmission du match de finale de la Coupe du monde de football le 15 juillet 2018, engagé une altercation avec les services de police intervenant dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre à la suite de heurts se produisant place Bellecour et stationnés en contrebas de l'appartement, et ont subi deux tirs de lanceurs de balles de défense de 40 mm par les services de police. Ils relèvent appel du jugement du 30 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser les sommes de 1 022,50 euros et 10 000 euros, en réparation, respectivement, du préjudice matériel et des troubles dans les conditions d'existence qu'ils estiment avoir subis.
Sur l'engagement de la responsabilité de l'Etat :
En ce qui concerne le régime de responsabilité du fait des risques exceptionnels pour les personnes et les biens qui découlent de l'usage d'armes ou engins dangereux :
2. D'une part, aux termes des premier, sixième et septième alinéas de l'article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure, un attroupement, au sens de l'article 431-3 du code pénal, c'est-à-dire tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public, " (...) peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet (...) / Toutefois les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement peuvent faire directement usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure : " Les (...) armes à feu (...) qui sont classé[e]s en catégorie A2, sont les suivant[e]s : (...) 4° (...) lance-projectiles et systèmes de projection spécifiquement destinés (...) au maintien de l'ordre, 5° Munitions et éléments de munitions pour les armes énumérées au 4° (...) " Aux termes de l'article R. 211-18 du même code : " Sans préjudice des articles 122-5 et 122-7 du code pénal, peuvent être utilisées dans les deux cas prévus au sixième alinéa de l'article L. 211-9 du présent code, outre les armes mentionnées à l'article R. 211-16, les armes à feu des catégories A, B et C adaptées au maintien de l'ordre correspondant aux conditions de ce sixième alinéa, entrant dans le champ d'application de l'article R. 311-2 et autorisées par décret ". Aux termes de l'article D. 211-19 de ce code : " Les armes à feu susceptibles d'être utilisées par les représentants de la force publique pour le maintien de l'ordre public en application de l'article R. 211-18 sont ( ...) celles énumérées ci-après : Appellation : Lanceurs de grenades et de balles de défense de 40 × 46 mm et leurs munitions / Classification : Article R. 311-24°, 5° et 6° de la catégorie A2 et les munitions de la catégorie B ".
3. D'autre part, l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure définit les conditions dans lesquelles les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie peuvent " outre les cas mentionnés à l'article L. 211-9, faire usage de leurs armes en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée ". L'article R. 434-18 de ce code dispose que : " Le policier ou le gendarme emploie la force dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c'est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas. Il ne fait usage des armes qu'en cas d'absolue nécessité et dans le cadre des dispositions législatives applicables à son propre statut ". L'article R. 211-13 du même code, applicable au maintien de l'ordre en cas d'attroupement, précise que : " L'emploi de la force par les représentants de la force publique n'est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l'ordre public dans les conditions définies par l'article L. 211-9. La force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser et son emploi doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé ".
4. Si le lanceur de balle de défense de diamètre 40 mm, utilisé par les services de police à l'encontre des occupants du balcon de l'appartement de MM. B..., est au nombre des armes à feu classées en catégorie A2 destinées au maintien de l'ordre, il constitue une arme non létale, spécifiquement conçue pour mettre hors de combat ou repousser les personnes dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre et qui, dans les conditions normales prévues pour son emploi, lesquelles sont strictement encadrées par les dispositions précitées, s'agissant notamment des exigences d'absolue nécessité et de stricte proportionnalité, présente une probabilité, certes non nulle mais demeurant très faible, de provoquer une issue fatale, des blessures graves ou des lésions permanentes.
5. L'emploi de cette arme n'étant pas, par principe, susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat en raison de risques exceptionnels, il y a lieu d'examiner si, en l'espèce, le lanceur de balles de défense a été utilisé dans les conditions rappelées au point précédent. A cet égard, il résulte de l'instruction que cet engin a été utilisé pour mettre fin au lancer de divers projectiles, notamment, de bouteilles d'eau congelée et de champagne, opéré par des occupants de l'appartement, situé au troisième étage de l'immeuble, sur les services de police qui étaient stationnés en contrebas dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre sur la place Bellecour et les rues adjacentes, que ces tirs ont été précédés de deux sommations, qu'ils ont été effectués alors qu'une jeune femme présente dans l'appartement s'apprêtait à lancer un nouveau projectile sur les services de police et que les policiers se situaient à une distance suffisante des cibles.
6. Il en résulte que les services de police n'ont pas fait usage d'une arme dans des conditions telles qu'elle présentait un danger exceptionnel de nature à engager la responsabilité de l'Etat pour faute simple s'agissant des dommages invoqués par M. A... B..., visé par l'opération de maintien de l'ordre, et sans faute s'agissant des dommages invoqués par M. C... B..., tiers à l'égard de cette opération. Par suite, MM. B... ne sont pas fondés à demander la condamnation de l'Etat, sans faute ou pour faute simple, à les indemniser du préjudice résultant de l'emploi de ce lanceur de balle de défense à leur encontre.
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat en réparation des dommages résultant des attroupements et rassemblements :
7. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) ". Cette responsabilité s'étend à la réparation des dégâts et dommages provoqués par l'intervention des forces de l'ordre contre les membres d'attroupements ou rassemblements.
S'agissant des préjudices invoqués par M. A... B... :
8. Il résulte de l'instruction, et, notamment, des procès-verbaux d'audition des policiers, voisins et personnes présentes dans l'appartement, qu'alors qu'ils étaient positionnés dans la rue Gasparin, laquelle aboutit dans la place Bellecour où des violences urbaines étaient en cours, des policiers ont subi des lancers de projectiles, et notamment, de bouteilles, provenant du balcon de l'appartement de MM. B..., ainsi que des insultes, et que, après avoir demandé à M. B... de cesser ces troubles, un policier a fait usage de son lanceur de balle de défense pour empêcher un nouveau lancer de projectile. Dans ces conditions, alors qu'il résulte de l'instruction qu'il a été au préalable destinataire des sommations réglementaires, M. A... B... n'est pas fondé à rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat, eu égard à son imprudence qui est de nature, dans les circonstances de l'espèce, à exonérer totalement l'Etat de sa responsabilité.
S'agissant des préjudices invoqués par M. C... B... :
9. Pour démontrer l'existence du préjudice matériel subi par M. C... B..., MM. B... produisent un devis, établi le 9 janvier 2019, après qu'il eurent quitté l'appartement, par la société MS Travaux et Maintenance pour la " remise en état d'un logement suite départ ", et faisant état de travaux de nettoyage des murs, de réfection des boiseries des fenêtres et du plafond de la chambre, chiffrés à 1 022,50 euros. Toutefois, les requérants ne produisent aucun élément permettant d'établir qu'ils auraient versé une quelconque somme en réparation de la détérioration du plafond causée par le projectile tiré par le lanceur de balle de défense, alors au surplus que le devis était adressé à la Regie Cifi et non à eux-mêmes. En outre, ils n'établissent pas, ni même n'allèguent, qu'en leur qualité de locataires de cet appartement, ils auraient subi un préjudice du fait de l'existence de cette détérioration. Dans ces conditions, ils ne peuvent se prévaloir d'un préjudice matériel à la suite de l'intervention des forces de l'ordre.
10. En outre, si MM. B... soutiennent que M. C... B... aurait subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, ils ne l'établissent pas en se bornant à produire des dépôts de plainte et divers courriers faisant état de l'inquiétude qu'il a ressentie à la suite de l'opération de police, alors qu'il résulte de l'instruction qu'il a été immédiatement informé que son fils n'avait été ni atteint ni blessé, et qu'aucune suite n'a résulté de l'intervention des forces de l'ordre. Il s'ensuit que les requérants, qui ne démontrent pas la réalité du préjudice invoqué par M. C... B..., ne sont pas fondés à demander, à supposer qu'ils aient entendu le faire, la condamnation de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.
11. Il résulte de ce qui précède que MM. B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel n'est entaché d'aucune irrégularité pour s'être fondé sur l'absence de préjudice sans avoir expressément examiné l'existence d'une faute de l'Etat, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par MM. B....
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de MM. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à M. A... B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 20 février 2025 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
M. Savouré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mars 2025.
La rapporteure,
A. Evrard
Le président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY00235