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12/03/2025 | FRANCE | N°23LY00343

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 12 mars 2025, 23LY00343


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



La société anonyme (SA) Les petits-fils de Veuve A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 21 avril 2021 par laquelle le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Bourgogne-Franche-Comté lui a enjoint de supprimer la mention " blanc de noirs " des étiquetages des vins issus d'assemblages de raisins blancs à jus blanc et de raisins noirs à jus blanc, dans un délai de trois mois à compter de la notificati

on de cette décision, ensemble la décision du 28 juin 2021 ayant rejeté son recours gracieux....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société anonyme (SA) Les petits-fils de Veuve A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 21 avril 2021 par laquelle le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Bourgogne-Franche-Comté lui a enjoint de supprimer la mention " blanc de noirs " des étiquetages des vins issus d'assemblages de raisins blancs à jus blanc et de raisins noirs à jus blanc, dans un délai de trois mois à compter de la notification de cette décision, ensemble la décision du 28 juin 2021 ayant rejeté son recours gracieux.

Par un jugement n° 2102080 du 29 novembre 2022, le tribunal administratif de Dijon a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 30 janvier 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que :

- la mention " blanc de noirs " revêt le caractère d'une mention d'étiquetage facultative non réglementée au sens du règlement européen n° 1308/2013 et de son règlement délégué n° 2019/33 ; l'article 36 du règlement n° 1169/2011 sur l'information du consommateur prévoit que les informations sur les denrées alimentaires fournies à titre volontaire ne doivent pas induire les consommateurs en erreur ; le fait d'apposer la mention " blanc de noirs " sur des vins qui ne sont pas issus exclusivement de raisins noirs à jus blanc, y compris en ce qui concerne la liqueur de tirage et la liqueur d'expédition, est de nature à induire en erreur le consommateur final tant sur les qualités substantielles, que sur la composition et le mode de fabrication de ces vins au sens de l'article L. 121-2 du code de la consommation ;

- les autres moyens soulevés par l'intimée devant le tribunal ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 avril 2023, la SA Les petits-fils de Veuve A..., représentée par Me Robbe, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'injonction en litige constitue une sanction administrative et les garanties attachées à l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en particulier le principe d'impartialité, ont en l'espèce été méconnues dès lors que l'agent qui a prononcé cette injonction et rejeté son recours gracieux est le même que celui qui a procédé aux constatations sur place et à la rédaction du procès-verbal d'infraction ;

- la procédure suivie est entachée d'irrégularité dès lors qu'elle n'a pas été informée de son droit d'accéder à son dossier ;

- l'injonction n'est pas légalement justifiée dès lors qu'il n'existe pas de réglementation encadrant l'utilisation de la mention " blanc de noirs " ; en outre, l'indication des cépages est facultative sur l'étiquetage des vins et, à ce titre, il résulte de l'article 50 du règlement délégué (UE) n° 2019/33 de la Commission du 17 octobre 2018 que les quantités résiduelles de raisins utilisés pour constituer les liqueurs de base n'ont pas à être prises en compte pour l'appréciation du respect des règles d'étiquetage ;

- l'injonction prononcée est disproportionnée dès lors qu'elle ne lui accorde qu'un délai de mise en conformité de trois mois.

Un mémoire en intervention a été enregistré le 12 mars 2024 pour le syndicat professionnel Union des producteurs élaborateurs de Crémant de Bourgogne, représenté par Me Robbe, et a été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le règlement délégué (UE) n° 2019/33 de la Commission du 17 octobre 2018 ;

- le code de la consommation ;

- le décret n° 2011-1718 du 30 novembre 2011 ;

- le décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 ;

- l'arrêté du 20 novembre 2018 modifiant le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Crémant de Bourgogne ", homologué par le décret n° 2011-1718 du 30 novembre 2011 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère,

- les conclusions de Mme Bénédicte Lordonné, rapporteure publique,

- et les observations de Me Cheramy pour la SA Les petits-fils de Veuve A... et le syndicat professionnel Union des producteurs élaborateurs de Crémant de Bourgogne.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme (SA) Les petits-fils de Veuve A... exerce une activité de fabrication et de vente de vins d'appellation d'origine contrôlée " Crémant de Bourgogne ". A la suite d'un contrôle, intervenu les 20 octobre et 16 novembre 2020, en matière de traçabilité de la production du vin de cette appellation, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne-Franche-Comté a informé la société de son intention de prononcer, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de la consommation, une injonction de supprimer la mention " blanc de noirs " des étiquetages de vins issus d'assemblage de raisins blancs à jus blanc et de raisins noirs à jus blanc. A l'issue d'une procédure contradictoire, ce directeur a, par décision du 21 avril 2021, enjoint à la SA Les petits-fils de Veuve A... de procéder à la régularisation de sa situation par la suppression de la mention " blanc de noirs " des étiquetages de vins issus d'assemblage de raisins blancs à jus blanc et de raisins noirs à jus blanc, dans un délai de trois mois à compter de la notification de cette décision. Par une décision explicite du 28 juin 2021, ce directeur a rejeté le recours gracieux de la société. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Dijon a annulé ces décisions.

Sur l'intervention de l'Union des producteurs élaborateurs de crémant de Bourgogne :

2. Le syndicat professionnel Union des producteurs élaborateurs de Crémant de Bourgogne justifie d'un intérêt suffisant au maintien du jugement attaqué. Par suite, son intervention à l'appui du mémoire en défense présenté par la SA Les petits-fils de Veuve A... est recevable.

Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 121-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable : " Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. / Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service. / (...) Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 (...) ". Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes : / (...) 2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants : (...) / b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, (...), son mode et sa date de fabrication, (...) ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 11 du décret du 4 mai 2012 relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles et à certaines pratiques œnologiques : " (...) La mention : " blanc de blanc " ou " blanc de blancs " est réservée aux produits vitivinicoles mentionnés aux 1 à 11, 13, 15 et 16 de l'annexe XI ter du règlement du 22 octobre 2007 susvisé, produits en France et issus de la fermentation exclusive de jus de raisins blancs. (...) ".

5. L'injonction en litige prononcée le 21 avril 2021 à l'encontre de la société Les petits-fils de Veuve A... repose sur le motif tiré de ce que la mention " blanc de noirs " figurant sur l'étiquetage de vins effervescents vinifiés pour partie avec des raisins à peau blanche, issus de cépages chardonnay et aligoté, est de nature à induire en erreur les consommateurs sur les qualités substantielles des vins concernés et sur leur mode de fabrication et constitue ainsi une pratique commerciale trompeuse au sens des dispositions de l'article L. 121-2 du code de la consommation.

6. En premier lieu, si, dans sa requête d'appel, le ministre se réfère aux articles 7 et 36 du règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011, relatif à l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires, il est constant que la décision en litige n'est pas fondée sur ces dispositions mais uniquement sur les dispositions de l'article L. 121-2 du code de la consommation.

7. En deuxième lieu, l'administration se borne à motiver sa décision par le fait que la mention " blanc de noirs " induirait en erreur le consommateur sur la composition du produit en comparaison de la mention " blanc de blancs ", réglementée, et " valorisante " pour le produit, laissant penser que le consommateur assimilerait la mention litigieuse à des produits intégralement réalisés à partir de raisins noirs. Or, d'une part, il est constant que ni la mention " blanc de noirs " ni la méthode d'élaboration d'un vin portant cette mention ne sont réglementées, à l'inverse de la mention " blanc de blanc " ou " blanc de blancs " faisant l'objet des dispositions citées au point 4. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que l'intimée appose la mention " blanc de noirs " sur des bouteilles contenant des vins dont la méthode de production consiste à utiliser, s'agissant du volume de vin de base avant fermentation, exclusivement du jus issu de raisins à peau noire, de cépages pinot et gamay, et, dans le cadre des pratiques et traitements œnologiques en vigueur, des raisins à peau blanche, de cépages chardonnay et aligoté exclusivement pour fabriquer les produits destinés à la fermentation contenant les levures, la liqueur de tirage et la liqueur de dosage ou d'expédition, dans une proportion comprise entre 2 % et 5 % du produit final. Dans ces conditions, il n'est pas démontré qu'un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé pourrait être induit en erreur par la mention apposée. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 21 avril 2021 par laquelle le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Bourgogne-Franche-Comté lui a enjoint de supprimer la mention " blanc de noirs " des étiquetages des vins issus d'assemblages de raisins blancs à jus blanc et de raisins noirs à jus blanc, dans un délai de trois mois à compter de la notification de cette décision, ensemble la décision du 28 juin 2021 de rejet de son recours gracieux.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros à verser à la SA Les petits-fils de Veuve A... au titre des frais exposés dans la présente instance. Ces mêmes dispositions font en tout état de cause obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions que présente sur le même fondement l'Union des producteurs élaborateurs de crémant de Bourgogne, intervenant en défense, qui n'a pas la qualité de partie à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de l'Union des producteurs élaborateurs de Crémant de Bourgogne est admise.

Article 2 : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejetée.

Article 3 : L'État versera à la SA Les petits-fils de Veuve A... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'Union des producteurs élaborateurs de Crémant de Bourgogne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la SA Les petits-fils de Veuve A....

Copie en sera adressée au préfet de la région Bourgogne-Franche-Comté, au directeur régional des entreprises, de l'économie, du travail et des solidarités de Bourgogne-Franche-Comté, à l'Institut national de l'origine et de la qualité et au syndicat professionnel Union des producteurs élaborateurs de Crémant de Bourgogne.

Délibéré après l'audience du 18 février 2025 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, président assesseure,

Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2025.

La rapporteure,

Vanessa Rémy-NérisLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Péroline Lanoy

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière

2

N° 23LY00343


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00343
Date de la décision : 12/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

AGRICULTURE ET FORÊTS - PRODUITS AGRICOLES - VINS - AGRICULTURE ET FORÊTS - PRODUITS AGRICOLES - VINS.

03-05-06 La mention « blanc de noirs » figurant sur l'étiquetage de vins effervescents « Crémant de Bourgogne » ne fait l'objet d'aucune réglementation particulière, contrairement à la mention « blanc de blanc » ou « blanc de blancs ». La mention « blanc de noirs » apposée sur des bouteilles de vins issus partiellement de raisins à peau blanche, de cépages chardonnay et aligoté, utilisés exclusivement pour la fabrication des produits destinés à la fermentation contenant les levures, la liqueur de tirage et la liqueur de dosage ou d'expédition, dans une proportion représentant entre 2 % et 5 % du produit final, alors que le vin de base avant fermentation est issu exclusivement de jus de raisins à peau noire, de cépages pinot et gamay, n'est pas de nature à induire en erreur un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, et ne traduit en conséquence aucune pratique commerciale « trompeuse » au sens des dispositions du code de la consommation . Illégalité de la décision du service ayant enjoint à la société fabriquant et vendant ces vins de supprimer la mention « blanc de noirs » des étiquetages des vins ainsi produits.

COMMERCE - INDUSTRIE - INTERVENTION ÉCONOMIQUE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RÉGLEMENTATION DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES - ACTIVITÉS SOUMISES À RÉGLEMENTATION - RÉGLEMENTATION DE LA PROTECTION ET DE L'INFORMATION DES CONSOMMATEURS - COMMERCE - INDUSTRIE - INTERVENTION ÉCONOMIQUE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RÉGLEMENTATION DE LA PROTECTION ET DE L'INFORMATION DES CONSOMMATEURS.

14-02-01-03 La mention « blanc de noirs » figurant sur l'étiquetage de vins effervescents « Crémant de Bourgogne » ne fait l'objet d'aucune réglementation particulière, contrairement à la mention « blanc de blanc » ou « blanc de blancs ». La mention « blanc de noirs » apposée sur des bouteilles de vins issus partiellement de raisins à peau blanche, de cépages chardonnay et aligoté, utilisés exclusivement pour la fabrication des produits destinés à la fermentation contenant les levures, la liqueur de tirage et la liqueur de dosage ou d'expédition, dans une proportion représentant entre 2 % et 5 % du produit final, alors que le vin de base avant fermentation est issu exclusivement de jus de raisins à peau noire, de cépages pinot et gamay, n'est pas de nature à induire en erreur un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, et ne traduit en conséquence aucune pratique commerciale « trompeuse » au sens des dispositions du code de la consommation . Illégalité de la décision du service ayant enjoint à la société fabriquant et vendant ces vins de supprimer la mention « blanc de noirs » des étiquetages des vins ainsi produits.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Vanessa REMY-NERIS
Rapporteur public ?: Mme LORDONNE
Avocat(s) : SCP AXIOJURIS -MES DESILETS - ROBBE - ROQUEL

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-12;23ly00343 ?
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