Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Batiseto a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 22 octobre 2020 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge le versement d'une somme totale de 41 296 euros au titre de la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail et de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de prononcer la décharge de l'obligation de payer cette somme.
Par un jugement n° 2101512 du 17 novembre 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 janvier et 28 août 2024, la société Batiseto, représentée par Me Hourlier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et la décision du 22 octobre 2020 ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré du vice de procédure entachant la décision en raison de l'absence d'interprète lors de l'audition des deux personnes étrangères mises en cause ;
- ayant présenté des moyens de légalité externe devant le tribunal, les nouveaux moyens de légalité externe qu'elle a présentés en appel sont recevables ;
- la décision du 22 octobre 2020, qui ne comporte pas l'information nécessaire au calcul de la contribution forfaitaire fixée en application de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est insuffisamment motivée ;
- la procédure contradictoire n'a pas été respectée dans la mesure où elle n'a pas été informée de la possibilité de demander communication des procès-verbaux de police sur lesquels l'administration s'est fondée pour prendre la décision, à savoir le procès-verbal du 7 juillet 2020 et les deux procès-verbaux d'audition des étrangers en situation irrégulière ;
- les sanctions reposent sur des faits matériellement inexacts, la nullité des procès-verbaux d'audition des deux étrangers en situation irrégulière, en l'absence d'interprète, constatée par le tribunal correctionnel de Chambéry, dont le jugement n'a été remis en cause par un arrêt de la cour d'appel, frappé d'un pourvoi en cassation, que pour un motif de recevabilité remettant directement en cause la réalité des faits retenus par l'Office français de l'immigration et de l'intégration à son encontre.
Par un mémoire enregistré le 1er août 2024, l'Office de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me de Froment, conclut au rejet de la requête et qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Batiseto sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- à défaut pour la société Batiseto d'avoir présenté devant le tribunal dans le délai de recours contentieux des moyens de légalité externe, les moyens tirés du défaut de motivation et de la méconnaissance de la procédure contradictoire, qui reposent sur une cause juridique nouvelle, sont irrecevables ;
- la matérialité des faits est établie.
Par une ordonnance du 22 juillet 2024, l'instruction a été close au 27 septembre 2024.
Par un courrier date du 10 janvier 2025, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de fonder l'arrêt sur le moyen relevé d'office tiré de l'autorité absolue de chose jugée qui s'attache aux constations de fait qui sont le soutien nécessaire de l'arrêt du 26 octobre 2023 de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Chambéry.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- l'arrêté du 5 décembre 2006 relatif au montant de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement des étrangers dans leur pays d'origine ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Hourlier, pour la société Batiseto ;
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'un contrôle d'un chantier par les services de police, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a appliqué à la société Batiseto la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour un montant total de 41 296 euros, au motif que celle-ci avait employé irrégulièrement deux ressortissants étrangers dépourvus de titres de séjour. La société Batiseto relève appel du jugement du 17 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 22 octobre 2020 et de décharge de son obligation de payer la somme en cause.
Sur la régularité du jugement :
2. Le tribunal, qui y a répondu au point 4 du jugement, n'a pas omis de statuer sur le moyen tiré du vice entachant la décision en raison de l'absence d'interprète lors de l'audition des deux personnes étrangères mises en cause.
Sur le fond :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France ". Aux termes de l'article L. 8253-1 de ce code, dans sa version applicable au litige : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. (...) ". Aux termes de l'article L. 8271-17 du même code dans sa rédaction alors applicable : " Outre les agents de contrôle de l'inspection du travail mentionnés à l'article L. 8112-1, les agents et officiers de police judiciaire, les agents de la direction générale des douanes sont compétents pour rechercher et constater, au moyen de procès-verbaux transmis directement au procureur de la République, les infractions aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler et de l'article L. 8251-2 interdisant le recours aux services d'un employeur d'un étranger non autorisé à travailler. / Afin de permettre la liquidation de la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du présent code et de la contribution forfaitaire mentionnée à l'article L. 626 1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration reçoit des agents mentionnés au premier alinéa du présent article une copie des procès-verbaux relatifs à ces infractions ".
4. En premier lieu, la décision prise le 22 octobre 2020 pour le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration mentionne d'une part, les articles L. 8251-1, L. 8253-1 et R. 8253-2 du code du travail, qui définissent le manquement constitutif de la contribution spéciale et déterminent son mode de calcul, et indique que la sanction, dont le montant, en l'absence de minoration ou de majoration, se déduit en l'espèce directement des dispositions du I de l'article R. 8253-2, est infligée en raison de l'emploi de deux travailleurs. Elle mentionne, d'autre part, les dispositions des articles L. 626-1 et R. 626-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et se réfère aux barèmes fixés par l'arrêté du 5 décembre 2006, qui définissent la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement et son montant en fonction des zones géographiques du pays dont est originaire l'étranger. Par ailleurs, elle fait état du procès-verbal d'infraction établi par les services de police de l'Isère et en annexe est jointe la liste des travailleurs concernés. Si la décision ne mentionne pas la nationalité des deux travailleurs étrangers, une telle mention n'était pas nécessaire, le montant de la sanction prononcée au regard du barème fixé par l'arrêté du 5 décembre 2006 permettant de déduire que le préfet a fait application du montant dû pour les ressortissants de la zone " Caucase/Europe centrale ". Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la sanction litigieuse doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les mesures mentionnées à l'article L. 121-1 à caractère de sanction ne peuvent intervenir qu'après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant ". Aux termes de l'article R. 8253-3 du code du travail : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours ".
6. D'une part, si ni les articles L. 8253-1 et suivants du code du travail, ni l'article L. 8271-17 du même code ne prévoient expressément que le procès-verbal constatant l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler en France, et fondant le versement de la contribution spéciale, soit communiqué au contrevenant, le respect du principe général des droits de la défense suppose, s'agissant des mesures à caractère de sanction, ainsi d'ailleurs que le précise désormais l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA), entré en vigueur le 1er janvier 2016, que la personne en cause soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et mise à même de demander la communication des pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus. Par suite, l'Office français de l'immigration et de l'intégration est tenu d'informer l'intéressé de son droit de demander la communication du procès-verbal d'infraction sur la base duquel ont été établis les manquements qui lui sont reprochés.
7. D'autre part, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
8. Il résulte de l'instruction que, par un courrier recommandé du 9 septembre 2020, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a informé la société Batiseto que lors d'un contrôle effectué le 7 juillet 2020 par les services de police de la Savoie, il avait été établi par procès-verbal qu'elle avait employé deux travailleurs étrangers démunis d'un titre autorisant l'exercice d'une activité salariée. Ce courrier l'informait qu'elle était susceptible de se voir appliquer la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail ainsi que la contribution forfaitaire prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'elle disposait d'un délai de quinze jours à compter de la réception de cette lettre pour faire valoir ses observations. Il ne ressort ni des termes de ce courrier ni ne résulte de l'instruction que la société Batiseto aurait été informée de son droit de demander la communication du procès-verbal d'infraction sur la base duquel les manquements reprochés avaient été établis, lequel numéroté PV n° 904/2020/000068 comprend tout à la fois le procès-verbal de flagrant-délit ainsi que les différentes auditions. Toutefois, dès lors qu'il résulte de l'instruction que la société requérante n'a pas retiré cette lettre envoyée à son adresse par courrier recommandé avec accusé de réception, ce défaut d'information ne l'a pas, dans les circonstances de l'espèce, privée d'une garantie. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du 17 septembre 2019 aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.
9. En dernier lieu, l'autorité absolue de la chose jugée par les juridictions répressives s'attache aux constatations de fait qui sont le soutien nécessaire des jugements définitifs et statuent sur le fond de l'action publique. Une décision rendue en dernier ressort présente à cet égard un caractère définitif, même si elle peut encore faire l'objet d'un pourvoi en cassation ou est effectivement l'objet d'un tel pourvoi et si, par suite, elle n'est pas irrévocable. Une juridiction administrative ne commet donc pas d'erreur de droit en se fondant sur un arrêt d'une cour d'appel judiciaire qui a l'autorité de chose jugée alors même qu'il fait l'objet d'un pourvoi en cassation.
10. Il résulte de l'instruction que par un arrêt du 26 octobre 2023, qui, bien que faisant l'objet d'un pourvoi en cassation, présente un caractère définitif, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Chambéry, statuant sur l'action publique, a confirmé la condamnation prononcée par le tribunal correctionnel de Chambéry à l'encontre de la société Batiseto, à raison des faits commis, pour son compte, par son gérant M. A..., soit l'emploi de deux étrangers en situation irrégulière. Compte tenu de l'autorité absolue de chose jugée qui s'attache aux constations de fait qui sont le soutien nécessaire de cet arrêt, la société Batiseto n'est pas fondée à soutenir que, compte tenu de la nullité des procès-verbaux d'audition des deux étrangers en situation irrégulière, en l'absence d'interprète, les faits reprochés ne seraient pas suffisamment établis.
11. Il résulte de ce qui précède que la société Batiseto n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, le versement d'une somme à la société Batiseto au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Batiseto le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'Office français de l'immigration et de l'intégration et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Batiseto est rejetée.
Article 2 : La société Batiseto versera à l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Batiseto et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 13 février 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 février 2025.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre du travail de la santé, des solidarités et des familles et au ministre d'État, ministre de l'intérieur chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY00130
kc