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13/02/2025 | FRANCE | N°24LY00147

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 13 février 2025, 24LY00147


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand, à titre principal, d'ordonner une expertise avant-dire droit ou, à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand à lui verser une somme de 10 000 euros en raison des préjudices résultant du manquement de cet établissement à son obligation d'information.

Par un jugement n° 2002077 du 8 décembre 2023, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand

a rejeté cette demande.





Procédure devant la cour :



Par une requête, enreg...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand, à titre principal, d'ordonner une expertise avant-dire droit ou, à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand à lui verser une somme de 10 000 euros en raison des préjudices résultant du manquement de cet établissement à son obligation d'information.

Par un jugement n° 2002077 du 8 décembre 2023, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2024, M. B... A..., représenté par Me Meral, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2002077 du 8 décembre 2023 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand

2°) à titre principal, d'ordonner une expertise avant-dire droit ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand à lui verser une somme de 10 000 euros en raison des préjudices résultant du manquement de cet établissement à son obligation d'information ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'expertise médicale ordonnée par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales n'est pas complète et circonstanciée ; l'expert n'apporte aucune réponse claire s'agissant du défaut d'information sur les risques de l'intervention et la réponse de l'expert à la question de savoir si les soins ont été dispensés selon les règles de l'art ou si des fautes ont été commises est insuffisante ;

- le centre hospitalier n'apporte pas la preuve qu'il a respecté son obligation d'information ; il conteste pour sa part avoir reçu le document produit par le centre hospitalier, qui au demeurant n'est pas signé ;

- les préjudices résultant de ce manquement pourront être réparés par le versement d'une somme de 10 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2024, le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand, représenté par le cabinet Le Prado-Gilbert, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- au regard de l'expertise contradictoire ordonnée par la commission de conciliation et d'indemnisation et en l'absence d'éléments nouveaux, l'utilité d'une nouvelle expertise n'est pas démontrée en l'espèce ;

- contrairement à ce qu'il soutient, M. A... a bien été informé des risques d'incontinence et de dysérection qui sont des complications fréquentes de la prostatectomie radicale et il s'est vu remettre les documents d'information de l'association française d'urologie ; en outre, il a lui-même admis, lors des opérations d'expertise, avoir été informé des risques et notamment de celui lié à l'incontinence ;

- en tout état de cause, compte tenu de la nature de la tumeur cancéreuse dont il était atteint et de l'urgence de l'intervention, M. A... n'est pas fondé à invoquer une perte de chance de se soustraire à l'intervention ;

- dès lors qu'aucun défaut d'information ne peut être retenu, M. A... n'est pas fondé à solliciter l'indemnisation d'un préjudice d'impréparation ;

- au demeurant, le quantum de l'indemnisation sollicitée n'est pas justifié.

La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme qui n'a pas produit.

Par une ordonnance du 11 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 octobre 2024 à 16h30.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 25 mars 1955, a subi une prostatectomie radicale au centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand le 19 juin 2019 pour un cancer de la prostate agressif. Dans les suites post-opératoires, il a présenté une incontinence urinaire sévère et une dysérection. La persistance de l'incontinence sévère a justifié une intervention pour la pose d'un sphincter artificiel le 19 février 2020. Parallèlement, le 12 décembre 2019, M. A... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de la région Auvergne (CCI) qui a ordonné une expertise confiée à un chirurgien urologue. Le rapport d'expertise a été remis le 22 juin 2020. Au regard de ce rapport d'expertise, la CCI s'est déclarée incompétente pour connaitre de la demande d'indemnisation de M. A... par un avis du 20 juillet 2020. La réclamation préalable adressée par M. A... au CHU de Clermont-Ferrand a été rejetée par une décision du 22 septembre 2020. Par un jugement du 8 décembre 2023, dont M. A... interjette appel, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant, à titre principal, à ce qu'une expertise soit ordonnée avant dire droit et, à titre subsidiaire, à la condamnation du CHU de Clermont-Ferrand à lui verser la somme de 10 000 euros.

Sur les conclusions relatives à la demande d'expertise :

2. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision (...) ". La prescription d'une mesure d'expertise en application des dispositions précitées du code de justice administrative est subordonnée au caractère utile de cette mesure. Il appartient au juge, saisi d'une demande d'expertise dans le cadre d'une action en réparation du fait des conséquences dommageables d'un acte médical ou de sa propre initiative, d'apprécier son utilité au vu des pièces du dossier, notamment du rapport de l'expertise prescrite par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales s'il existe, et au regard des motifs de droit et de fait qui justifient, selon la demande, la mesure sollicitée.

3. En l'espèce, il est constant qu'une expertise contradictoire a été ordonnée par la CCI et qu'un rapport d'expertise a été déposé le 22 juin 2020 par le chirurgien urologue auquel cette expertise a été confiée. Il ressort des termes de ce rapport que l'expert a eu accès au dossier médical de M. A... et notamment au compte-rendu opératoire de l'intervention du 19 juin 2020. L'expert a indiqué, qu'au regard de l'adénocarcinome évolutif de score de Gleason 7 dont M. A... était atteint, l'indication de prostatectomie était licite et conforme aux règles de l'art. L'expert note par ailleurs que l'intéressé a déclaré que le chirurgien l'avait informé des risques d'incontinence et de dysérection liés à une telle intervention et lui avait remis la fiche d'information du patient élaborée par l'association française d'urologie. L'expert a également relevé que l'intervention était compliquée par des antécédents de cure de hernie bilatérale, que le compte-rendu opératoire faisait état d'une intervention d'une durée de six heures à raison d'une dissection difficile des vésicules séminales, du dôme séminal et des parties latérales et d'une anastomose uréto-vésicale particulièrement complexe à réaliser. Il indique que l'examen anatomopathologique a révélé un andécarcinome prostatique invasif de type acineux de Gleason 8 avec envahissement du lobe droit sur toute sa hauteur, de la vésicule séminale droite, du col vésical et du tissu extra prostatique et de nombreux engainements péri-nerveux intra et extra prostatiques. L'expert précise que l'incontinence urinaire et la dysérection sont des complications fréquentes des prostatectomies difficiles dont la réalisation survient dans 10 à 20 % des cas. Il indique qu'aucun manquement aux règles de l'art ni aucune maladresse fautive n'est imputable au chirurgien. Il procède enfin à l'évaluation des préjudices de M. A.... Dans ces conditions, en se bornant à faire valoir que cette expertise n'est pas complète et circonstanciée, sans apporter aucun élément de nature à remettre en cause l'analyse et les conclusions de l'expert, M. A... ne justifie pas de l'utilité d'une nouvelle expertise.

4. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par son jugement du 22 septembre 2023, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté ses conclusions tendant à ce qu'une expertise avant dire droit soit ordonnée.

Sur le défaut d'information :

5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I- Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " I. - Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) ".

6. D'une part, lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation. Il appartient à l'hôpital d'établir que l'intéressé a été informé des risques de l'acte médical. En application des dispositions précitées, doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. La faute commise par les praticiens d'un hôpital au regard de leur devoir d'information du patient n'entraîne pour ce dernier que la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé. La réparation du dommage résultant de cette perte doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice qui tient compte du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'acte médical et, d'autre part, les risques encourus en cas de renoncement à cet acte. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

7. D'autre part, indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus lors d'une intervention ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a pu subir du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles. L'existence d'un tel préjudice ne se déduit pas de la seule circonstance que le droit du patient d'être informé des risques de l'intervention a été méconnu et il appartient à la victime d'en établir la réalité et l'ampleur. Cependant, la souffrance morale endurée lorsque le patient découvre, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.

8. M. A... soutient ne pas avoir été informé des risques liés à la réalisation d'une prostatectomie radicale et fait valoir que le CHU de Clermont-Ferrand n'a pas produit la fiche de consentement éclairé signée par le patient. Il résulte cependant de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que l'intéressé a déclaré lors des opérations d'expertise avoir été informé par le chirurgien des risques d'incontinence et de dysérection et avoir reçu la fiche d'information de l'association française d'urologie relatif au type d'intervention qu'il devait subir. Par ailleurs, il ressort des document produit par le CHU de Clermont-Ferrand que cette fiche d'information mentionne que les complications directement en lien avec l'intervention peuvent consister en une incontinence permanente définitive et des troubles de l'érection. En outre le compte-rendu de consultation du 21 mai 2019, rédigé par le chirurgien qui a opéré M. A... qui est produit par le CHU, mentionne que lors de cette consultation le patient a été informé " des différentes complications et notamment de l'impuissance ".

9. Il résulte de ce qui précède que le manquement à l'obligation d'information n'est pas établi. Par suite, M. A... n'est pas fondé à rechercher la responsabilité du CHU de Clermont-Ferrand.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur les frais liés au litige :

11. Dans les circonstances de l'espèce, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU de Clermont-Ferrand, qui n'est pas partie perdante, la somme demandée sur ce fondement par M. A....

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme et au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand.

Délibéré après l'audience du 27 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2025.

La rapporteure,

E. Vergnaud

Le président,

F. Pourny

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY00147


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY00147
Date de la décision : 13/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. - Absence de faute.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Edwige VERGNAUD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : CABINET MERAL-PORTAL-YERMIA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-13;24ly00147 ?
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