Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Jean-Marc Brocard a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 10 décembre 2018, valant titre exécutoire, par laquelle l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer FranceAgriMer a mis à sa charge le reversement d'une avance d'un montant de 292 727,27 euros, perçue au titre d'une aide à l'investissement matériel, assortie d'une majoration de 10 % ainsi que la décision du 17 mai 2019 rejetant son recours gracieux et d'enjoindre à FranceAgriMer de procéder à une nouvelle instruction de sa demande de paiement, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1901255, 1901744 du 22 janvier 2020, le tribunal administratif de Dijon a annulé les décisions des 10 décembre 2018 et 17 mai 2019, a mis à la charge de FranceAgriMer le versement à la société Jean-Marc Brocard d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des requêtes.
Procédure devant la cour avant cassation :
Par une requête enregistrée le 20 mars 2020, FranceAgriMer, représenté par la SCP Seban et associés demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 22 janvier 2020, en tant qu'il a partiellement fait droit aux demandes de première instance ;
2°) de rejeter les demandes présentées par la société Jean-Marc Brocard devant ce tribunal ;
3°) de mettre une somme de 3 000 euros à la charge de la société Jean-Marc Brocard au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a assimilé à tort la décision imposant le reversement d'une avance à celle imposant le reversement d'une aide ;
- le versement d'une avance ne peut être regardé comme une décision créatrice de droits au profit du bénéficiaire, de sorte que la décision attaquée ne peut pas être regardée comme une décision défavorable retirant une décision créatrice de droits, non plus que comme une décision imposant une sujétion ;
- le tribunal a donc retenu à tort une irrégularité de procédure au motif qu'il n'a pas été fait droit à la demande de rendez-vous de la société Jean-Marc Brocard avant d'adopter la décision du 10 décembre 2018.
Par un mémoire enregistré le 4 juin 2020, la société Jean-Marc Brocard, représentée par Me Robbe, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de FranceAgriMer en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le motif d'annulation retenu par le jugement devra être confirmé ;
- Mme B... A... n'était pas compétente pour signer la décision de récupération de l'aide préalablement versée ;
- la décision du 10 décembre 2018 est insuffisamment motivée ;
- la décision du 10 décembre 2018 est entachée d'erreur de fait, dès lors qu'elle a présenté sa demande de versement dans les délais ;
- la décision du 10 décembre 2018 est entachée d'erreur de droit, dès lors que l'article 8 de la décision FILITL/SEM/D 2013-08 du 19 février 2013 du directeur général de FranceAgriMer ne permet pas de regarder l'absence de certains documents dans la demande de paiement du solde comme une absence de demande ;
- la décision du 10 décembre 2018 est également entachée d'erreur de droit en ce que l'article 8.2 de la décision FILITL/SEM/D 2013-08 du 19 février 2013 ne prévoit qu'une minoration des montants des aides, en cas de retard dans le dépôt de la demande de solde, et non la restitution de l'avance perçue, majorée de 10 %.
Une note en délibéré présentée par FranceAgriMer a été enregistrée le 13 avril 2022.
Par un arrêt n° 20LY01127 du 4 mai 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par FranceAgriMer contre le jugement du 22 janvier 2020.
Par une décision n° 465450 du 11 juin 2024, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire à la cour, qui porte désormais le n° 24LY01667.
Procédure devant la cour après cassation
Par des mémoires enregistrés les 10 juillet, 20 août et 12 novembre 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, à la suite de la reprise d'instance après cassation de l'arrêt de la cour, la société Jean-Marc Brocard, représentée par Me Robbe, persiste dans ses précédentes conclusions et conclut également à ce que la somme demandée en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soit portée à 5 000 euros.
Elle soutient que :
- si le Conseil d'État a jugé que la décision de FranceAgriMer portant refus de versement de l'aide aux investissements vinicoles n'avait pas en principe à être précédée d'une procédure contradictoire préalable en application des articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, il en va différemment en l'espèce dans la mesure où l'administration s'est soumise spontanément, en dehors de toute obligation légale, à ces dispositions, en invitant la société Jean-Marc Brocard à présenter ses observations à l'occasion du courrier du 13 juin 2018 par lequel FranceAgriMer annonçait à l'intéressée son intention de lui demander le remboursement de l'avance versée ; en ne répondant pas aux demandes de présentation d'observations orales formulées par la société Jean-Marc Brocard, FranceAgriMer n'a pas respecté la procédure contradictoire préalable à laquelle elle s'était spontanément soumise, ce qui a privé l'intéressée d'une garantie procédurale et entache la décision d'irrégularité ;
- la décision du 10 décembre 2018 a été prise par une autorité incompétente, la délégation de signature établie au profit de la personne signataire de l'acte ne précisant pas que celle-ci serait compétente pour la reprise d'aide accompagnée de sanction, et ne permettant pas de déterminer quelles sont les décisions que cette personne est habilitée à signer ;
- la décision du 10 décembre 2018 est insuffisamment motivée, dans la mesure où elle ne mentionne pas le fondement textuel de la majoration de 10 % du montant de l'avance versée qu'elle prévoit à l'encontre de la société Jean-Marc Brocard ;
- l'article 8.2 de la décision n° 2013-08 du directeur général de FranceAgriMer du 19 février 2013 ne prévoit la restitution de l'avance versée qu'en cas de retard dans la transmission de la demande de versement de la subvention ; FranceAgriMer a donc commis une erreur de droit en considérant que cette disposition permettait à l'établissement de réclamer la restitution de l'avance versée en cas de retard dans la transmission de certains documents justificatifs ;
- la décision du 10 décembre 2018 est également entachée d'erreur de droit en ce que l'article 8.2 de la décision du 19 février 2013 du directeur général de FranceAgriMer ne prévoit qu'une minoration des montants des aides, en cas de retard dans le dépôt de la demande de paiement, et non la restitution de l'avance perçue, majorée de 10 % ;
- la décision du 10 décembre 2018 a été prise en méconnaissance des principes communautaires de confiance légitime et de bonne administration, en ce que FranceAgriMer n'a pas adressé à la société Jean-Marc Brocard de demande de compléments avant de rejeter la demande de paiement de cette dernière comme étant incomplète ;
- l'article 8.2 de la décision du directeur général de FranceAgriMer FILITL/SEMD 2013-08 du 19 février 2013 est illégal en ce qu'il empêche l'établissement de prendre en compte les réponses tardives à ses demandes de précision, en méconnaissance du principe de bonne administration ;
- la société Jean-Marc Brocard a déposé une demande de paiement complète dans les délais impartis ; FranceAgriMer a donc commis une erreur de fait en considérant le contraire ;
- la majoration de 10 % du montant de l'avance versée constitue une sanction qui méconnaît le principe de proportionnalité en ce qu'elle ne tient pas compte des circonstances de l'espèce.
Par un mémoire enregistré le 31 octobre 2024, FranceAgriMer, représenté par la SCP Seban et associés, persiste dans ses précédentes conclusions qu'elle maintient.
Il soutient que :
- la décision litigieuse n'avait pas à être précédée d'une procédure contradictoire ;
- les autres moyens sont infondés.
Par une ordonnance du 12 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 novembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 ;
- le règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le décret n° 2009-178 du 16 février 2009 ;
- l'arrêté du 17 avril 2009 définissant les conditions de mise en œuvre de la mesure de soutien aux investissements éligibles au financement par les enveloppes nationales en application du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Picard, président de chambre ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Lebel, pour FranceAgriMer, ainsi que celles de Me Robbe, pour la société Jean-Marc Brocard ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Jean-Marc Brocard, dont l'activité est la culture de la vigne, a déposé le 1er mars 2013 un dossier de demande d'aide aux investissements vitivinicoles auprès de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), au titre du programme adopté par la France en application de l'article 7 du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole. Après lui avoir, par une décision d'éligibilité du 4 octobre 2013, accordé une aide d'un montant de 644 000 euros, l'établissement a versé à la société une somme de 292 727,27 euros à titre d'avance. Par une décision du 10 décembre 2018 valant titre exécutoire, FranceAgriMer, au motif que la demande de paiement de l'aide déposée par la société Jean-Marc Brocard ne comportait pas l'ensemble des justificatifs requis, a demandé à cette société le reversement d'une somme de 322 000 euros, correspondant à l'avance mentionnée ci-dessus, assortie d'une majoration de 10 %. Par un jugement du 22 janvier 2020, le tribunal administratif de Dijon a fait droit à la demande de la société Jean-Marc Brocard tendant à l'annulation de cette décision ainsi que de la décision rejetant son recours gracieux. Par un arrêt en date du 4 mai 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par FranceAgriMer contre ce jugement. Par un arrêt en date du 11 juin 2024, le Conseil d'État a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour.
2. La procédure d'instruction des demandes d'aides aux investissements vitivinicoles, telle qu'elle était applicable aux faits de l'espèce, est précisée par la décision du directeur général de FranceAgriMer FILITL/SEMD 2013-08 du 19 février 2013, prise en application de l'article 2 du décret du 16 février 2009 et définissant, conformément au règlement n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008, les modalités de mise en œuvre des mesures retenues au titre du plan national d'aide au secteur vitivinicole financé par les enveloppes nationales définies par le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil de l'Union européenne du 29 avril 2008. Aux termes de cette décision, la demande d'aide donne lieu, tout d'abord, à un accusé de réception, sans engagement financier, valant autorisation de commencer les travaux à compter de la date de la demande, ensuite, après que le dossier a été complété et instruit par FranceAgriMer, à une décision d'octroi de l'aide, précisant les dépenses éligibles, le montant de l'aide et les obligations du bénéficiaire, et enfin, sur demande de paiement présentée par ce dernier, assortie des éléments permettant de vérifier la réalisation des actions prévues conformément aux conditions posées, et après contrôle de cette réalisation par FranceAgriMer, à une décision de versement de l'aide. Dans le cas des dossiers de demande dits " simplifiés ", le versement intervient en une seule fois après cette dernière décision, tandis que dans le cas des dossiers de demande dits " approfondis ", une avance correspondant à une fraction de l'aide est versée dès la décision d'octroi. S'il apparaît, lors de la décision finale statuant sur le versement de l'aide, qu'un montant d'avance a été indûment perçu, il doit être remboursé au taux de 110 %.
3. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 122-1 de ce code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. / L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ". Enfin, aux termes de l'article L. 211-2 du même code : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 3° Subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; / 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; (...) 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; (...) ".
4. La décision du 4 octobre 2013 par laquelle FranceAgriMer a accordé à la société Jean-Marc Brocard une aide d'un montant de 644 000 euros constituait une décision créatrice de droits, quand bien même ces droits étaient subordonnés au respect de diverses conditions et à la présentation d'une demande de paiement assortie des justificatifs permettant de vérifier ce respect. Celle que FranceAgriMer a prise le 10 décembre 2018 pour réclamer à cette société la restitution de l'avance dont elle avait bénéficié, majorée dans les conditions mentionnées au point 2, et refuser, compte tenu de l'insuffisance des justificatifs produits, le versement l'aide, s'est borné à exécuter la décision d'octroi en tirant les conséquences du non-respect des conditions posées par cette dernière, sans en constituer le retrait. Si, compte tenu des droits créés par la décision d'octroi de l'aide, la décision refusant son versement s'analyse comme refusant un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir et, en tant qu'elle ordonne la restitution de l'avance, doit être regardée comme imposant une sujétion, devant donc, à ce titre, en application des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, être motivée, cette décision, qui faisait suite à une demande de la société tendant au versement de l'aide octroyée, n'était pas au nombre des décisions soumises par les dispositions précitées des articles L. 121-1 et L. 122-1 du même code à la procédure contradictoire qu'elles instituent.
5. Toutefois, lorsque l'autorité administrative décide, sans y être légalement tenue, de recourir à une procédure définie par les textes, il lui revient de la respecter. Ainsi qu'il résulte d'un courrier du 13 juin 2018, reçu le 19 juin suivant, les services régionaux de FranceAgriMer, conformément à l'article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, aujourd'hui abrogé, mais dont les dispositions ont notamment été reprises à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, ont invité la société Jean-Marc Brocard à leur faire parvenir, dans un délai de quinze jours, ses observations sur la décision alors envisagée de refus de versement de l'aide et de demande de restitution de l'avance. Par un courrier en recommandé du 26 juin 2018, et comme le prévoit l'article L. 211-2 ci-dessus, la société Jean-Marc Brocard a demandé à FranceAgriMer un rendez-vous afin d'expliquer et préciser la nature des travaux et investissements réalisés. Cette demande d'audition, dont le caractère abusif n'est ni allégué ni établi, est demeurée vaine. Ce faisant, FranceAgriMer a commis une irrégularité qui, en l'espèce, en empêchant la société Jean-Marc Brocard d'examiner avec cette administration les pièces déjà transmises et de lui fournir oralement toutes informations ou explications utiles à l'instruction de son dossier, l'a privée d'une garantie.
6. FranceAgriMer n'est donc pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 10 décembre 2018 par laquelle le directeur général de FranceAgriMer a demandé le reversement de l'avance octroyée, majorée de 10 %, ainsi que la décision du 17 mai 2019 portant rejet du recours gracieux.
7. Il y a lieu, ici, de mettre à la charge de FranceAgriMer le paiement à la société Jean-Marc Brocard d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées sur ce même fondement par FranceAgriMer ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de FranceAgriMer est rejetée.
Article 2 : FranceAgriMer versera à la société Jean-Marc Brocard la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Jean-Marc Brocard et à FranceAgriMer.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2025.
Le président, rapporteur,
V-M Picard
La présidente assesseure,
A. Duguit-Larcher
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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