Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 18 décembre 2023 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2311043 du 12 mars 2024, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a annulé cet arrêté.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 9 avril 2024, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lyon.
Il soutient que :
- le jugement attaqué doit être annulé dès lors qu'il n'était pas en possession du passeport de M. B... revêtu d'un visa Schengen lors de l'édiction de son arrêté portant obligation de quitter le territoire français ; à titre subsidiaire, il y a lieu de procéder à une substitution de base légale, afin de fonder l'obligation de quitter le territoire français sur le 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 17 septembre 2024, M. D... B..., représenté par Me Coffignal, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de fait sur une entrée irrégulière sur le territoire français ; il ne peut être procédé à la substitution de base légale sollicitée dès lors qu'il a déposé en 2019 une demande de titre de séjour, qui n'a pas fait l'objet de décision ;
- l'obligation de quitter le territoire français sans délai est entachée de défauts de motivation et d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'erreurs de fait sur une absence de volonté de régulariser sa situation administrative et sur l'absence d'un logement ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'insuffisance de motivation et de défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'erreur de droit ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par ordonnance du 18 septembre 2024, la clôture d'instruction, initialement fixée au 23 septembre 2024, a été reportée au 8 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Porée, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant arménien né le 12 décembre 1987, a été interpellé puis retenu pour vérification du droit au séjour le 17 décembre 2023 par les services de la gendarmerie nationale de Chanas (Isère), à la suite d'un contrôle routier. Par arrêté du 18 décembre 2023, le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 12 mars 2024 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a annulé cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré (...) s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour (...). ".
3. Pour annuler l'arrêté du 18 décembre 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a considéré que M. B... était entré régulièrement en France le 3 avril 2016 selon ses déclarations, et au plus tard le 3 mai 2016, date à laquelle il a présenté une demande d'asile. Il ressort des pièces du dossier que M. B... justifie de la délivrance d'un visa Schengen valable du 20 mars au 3 mai 2016 et d'un passeport en cours de validité à ces dates. Dans ces conditions, alors même que le préfet de l'Isère n'était pas en possession du passeport du requérant et du visa lors de l'édiction de son arrêté, il ne pouvait considérer, ainsi que l'a jugé à bon droit la magistrate désignée, que M. B... ne justifiait pas être entré régulièrement sur le territoire français et se fonder sur les dispositions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour obliger l'intéressé à quitter le territoire français.
4. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée.
5. En l'espèce, il est constant que M. B... s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa, sans être titulaire d'un titre de séjour. S'il ressort des pièces du dossier qu'il a déposé le 19 septembre 2019 une demande de titre de séjour, il n'en demeure pas moins qu'il ne lui a pas été délivré de carte de séjour temporaire. L'obligation de quitter le territoire français trouve ainsi son fondement légal dans les dispositions du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui peuvent être substituées à celles du 1° du même article. Cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie dès lors que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions. En conséquence, il y a lieu de procéder à cette substitution. Par suite, le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 18 décembre 2023 pour erreur de fait.
6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif et en appel.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français sans délai :
7. En premier lieu, l'obligation de quitter le territoire français sans délai comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de ces décisions doit être écarté.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'une demande de titre de séjour a été déposée le 19 septembre 2019 auprès de la préfecture du Rhône. A supposer que la maison se trouvant près de l'entreprise Kärcher identifiée par Google Maps soit le domicile de M. B..., une telle circonstance ne saurait suffire à caractériser un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle.
9. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
10. M. B... ne séjourne sur le territoire français que depuis un peu plus de sept années alors qu'il a vécu vingt-huit ans en Arménie où il ne peut être dépourvu de toute attache personnelle. Il ne justifie pas qu'à la date de l'arrêté attaqué, sa compagne séjournait régulièrement sur le territoire français. M. B... ne démontre pas que deux de ses filles, scolarisées en classes de 6ème et de CM1, ne pourraient pas poursuivre leur scolarité en Arménie, ni que celles-ci et sa troisième fille, née sur le territoire français, ne pourraient pas s'insérer dans ce pays. S'il ressort des pièces du dossier que leur troisième fille est atteinte d'un microremaniement chromosomique de type 22q11.2 entraînant une situation malformative et sensorielle, qu'elle a été opérée pour une fente vélopalatine, qu'elle bénéficie d'un traitement à base de parathormone 25OHD3, de suivis néphrologique en raison d'un rein droit multikystique, cardiologique, ophtalmologique, d'audition, M. B... n'apporte aucun justificatif tendant à démontrer que sa fille ne pourrait pas bénéficier de ces suivis et traitements dans son pays d'origine. M. B... ne justifie pas d'une insertion particulière dans la société française, en se limitant à invoquer des relations avec des personnes de nationalité française par des attestations datant de 2018, avoir suivi des cours de français et avoir eu une activité bénévole au sein de l'association Secours catholique, avoir été titulaire d'une promesse d'embauche par la boulangerie d'Erevan devant prendre effet au 30 mars 2019, être gérant de la SARL Fournil 3L sans, au demeurant démontrer d'activité effective pour cette société alors, au demeurant, qu'il a été signalé pour conduite d'un véhicule sans permis le 17 décembre 2023 et qu'il ressort du procès-verbal d'audition de la gendarmerie établi à cette date qu'il avait déjà été contrôlé en 2017 pour conduite d'un véhicule sans assurance. M. B... ne démontre pas être dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine. Dans ces conditions, compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, et quand bien même M. B... dispose d'un logement propre et qu'il a déposé une demande de titre de séjour le 19 septembre 2019, le préfet de l'Isère n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels l'obligation de quitter le territoire français sans délai a été prise. Dès lors, il n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, et de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences des décisions attaquées sur la situation personnelle du requérant, doivent être écartés.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
11. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
12. M. B... n'apporte aucune précision, ni justification sur ses craintes en cas de retour en Arménie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français durant un an :
13. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
14. En premier lieu, la décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit, par ailleurs, faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
15. La décision d'interdiction de retour sur le territoire français vise les articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne que la durée de présence en France de M. B... est faible par rapport au temps passé dans son pays d'origine, ainsi que la nature de ses liens avec la France. Elle indique qu'il a fait l'objet le 31 janvier 2018 d'une obligation de quitter le territoire français qu'il n'a pas mis à exécution ainsi que d'une assignation à résidence le 16 septembre 2018 dont il n'a pas respecté les conditions. M. B... ne peut utilement se prévaloir à l'appui de son moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée de ce que l'obligation de quitter le territoire français du 31 janvier 2018 aurait été irrégulière. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français doit être écarté.
16. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment de la décision en litige, que le préfet de l'Isère a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. B... avant d'édicter cette décision.
17. En troisième et dernier lieu, les moyens tirés de l'erreur de droit, de la méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 10 du présent arrêt.
18. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté du 18 décembre 2023.
Sur les frais liés au litige :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais liés au litige exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2311043 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon du 12 mars 2024 est annulé.
Article 2 : La demande de M. B..., présentée devant le tribunal administratif tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Isère du 18 décembre 2023 est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de M. B... tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 janvier 2025.
Le rapporteur,
A. Porée
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 24LY01002