Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 14 août 2019 par laquelle le directeur du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse a ordonné la rétention des correspondances qu'il adresserait à M. C... E... et Mme B... D... en tant que cette décision porte sur ses courriers adressés à cette dernière.
Par un jugement n° 1908100 du 8 décembre 2020, le tribunal a fait droit à sa demande.
Par un arrêt n° 21LY00412 du 22 décembre 2022, la cour administrative de Lyon a rejeté la requête du garde des sceaux, ministre de la justice.
Par une décision n° 471643 du 30 mai 2024, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire à la cour.
Procédure devant la cour après cassation :
Les parties ont été informées le 3 juin 2024 de la reprise d'instance après cassation sous le n° 24LY01558 et de la possibilité de produire de nouveaux mémoires ou d'éventuelles observations dans un délai d'un mois.
Par un mémoire enregistré le 8 novembre 2024, M. A..., représenté par Me Renaud Akni, persiste dans ses précédentes conclusions, demandant en outre qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en violation de l'article R. 57-8-19 du code de procédure pénale, la décision de retenue ne lui a pas été notifiée dans un délai de trois jours ;
- le magistrat en charge du dossier et la commission d'application des peines de l'établissement n'ont jamais été informées ;
- les envois épistolaires adressés à Mme B... D... n'ont pas mis en péril la sécurité et le bon ordre au sens de l'article 40 de la loi du 24 novembre 2000 ; la peine privative de liberté prononcée à son encontre et l'interdiction de paraître dans le département de l'Ain sont des mesures suffisamment lourdes et contraignantes permettant d'assurer pleinement la sécurité et le bon ordre ;
- la mesure contestée est disproportionnée ; elle pose une interdiction générale et absolue.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 septembre 2024.
Par une ordonnance du 8 novembre 2024, la date de clôture de l'instruction, initialement fixée à cette dernière date, a été reportée au 20 novembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Picard, président de chambre ;
- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 14 août 2019, le directeur du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse a ordonné la rétention des correspondances que M. A..., alors détenu dans cet établissement, adresserait à M. C... E... et Mme B... D.... M. A... a contesté devant le tribunal administratif de Lyon cette décision en tant qu'elle porte sur les correspondances adressées à cette dernière, qui est sa belle-sœur. Par un arrêt du 22 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par le garde des sceaux, ministre de la justice, contre ce jugement. Le Conseil d'État, saisi d'un pourvoi en cassation du garde des sceaux, ministre de la justice contre cet arrêt, l'a annulé et a renvoyé l'affaire devant la cour.
Sur le motif d'annulation :
2. Aux termes de l'article 40 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, alors en vigueur : " Les personnes condamnées et, sous réserve de l'article 145-4-2 du code de procédure pénale, les personnes prévenues peuvent correspondre par écrit avec toute personne de leur choix. / Le courrier adressé ou reçu par les personnes détenues peut être contrôlé et retenu par l'administration pénitentiaire lorsque cette correspondance paraît compromettre gravement leur réinsertion ou le maintien du bon ordre et la sécurité. En outre, le courrier adressé ou reçu par les prévenus est communiqué à l'autorité judiciaire selon les modalités qu'elle détermine. (...) ". Aux termes de l'article R. 57-8-16 du code de procédure pénale : " Les personnes détenues peuvent correspondre par écrit tous les jours et sans limitation avec toute personne de leur choix. (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 57-8-19 du même code : " La décision de retenir une correspondance écrite, tant reçue qu'expédiée, est notifiée à la personne détenue par le chef d'établissement au plus tard dans les trois jours. (...) ".
3. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué, le juge peut procéder à la substitution demandée.
4. Pour décider de retenir systématiquement toutes les correspondances adressées par M. A... à M. E... et à Mme D..., le directeur du centre pénitentiaire s'est fondé sur le fait qu'il existait une instruction du parquet en ce sens visant à protéger ces personnes. Le tribunal a annulé cette décision au motif qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que les courriers adressés par M. A... à Mme D..., et ayant justifié la décision litigieuse, relèveraient de l'une ou de l'autre des deux hypothèses prévues à l'article 40 de la loi pénitentiaire et permettant à l'administration de retenir une correspondance. Devant la cour, le ministre demande que soit substitué au motif initialement opposé par l'administration, les motifs tirés de la nécessité de faire obstacle à une correspondance de nature à compromettre gravement la réinsertion de M. A... et le maintien de la sécurité des personnes.
5. Cette demande de substitution de motifs ne privant M. A... d'aucune garantie, il y a lieu d'y faire droit.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été condamné le 28 février 2019 par le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse à quatre ans d'emprisonnement et une peine d'interdiction de séjourner dans l'Ain de cinq ans, où séjournent M. E... et son épouse, Mme D.... Il a été reconnu coupable d'avoir, le 1er janvier 2019, exercé volontairement des violences sur M. E... ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à huit jours et avec les circonstances aggravantes d'usage ou menace de plusieurs armes et préméditation, l'état de récidive légal étant par ailleurs constitué. Par un arrêt du 13 juin 2019, la cour d'appel de Lyon, qui a réduit son interdiction de séjourner dans l'Ain à deux ans, a confirmé la culpabilité de M. A... et sa peine de quatre années d'emprisonnement. Il ressort des termes de cet arrêt que l'interdiction de séjourner dans l'Ain est justifié par le ressenti que M. A... nourrit encore à l'égard de M. E..., dont la compagne, Mme D..., est la sœur de son épouse. Cette dernière a quitté en 2014 le domicile conjugal avec ses deux enfants et a alors trouvé refuge chez sa sœur et son beau-frère. Depuis, M. A... s'en est physiquement pris à plusieurs reprises à M. E.... Si M. A... n'a jamais été condamné ni même convoqué pour des faits d'agression ou de violences sur la personne de Mme D... en particulier, il ressort des pièces du dossier que c'est l'ensemble de la famille qui subit des menaces. Mme D... a déclaré en janvier 2019 être harcelée par des courriers émanant de M. A... depuis 2014. Il apparaît que l'administration pénitentiaire a été avertie par M. E... le 19 juin 2019 de ce que M. A... lui adressait ainsi qu'à son épouse des courriers menaçants. L'administration a produit l'un des courriers, adressé à Mme D... en août 2018 qui démontre le ressenti de M. A... à l'égard de M. E... et de son épouse. Dans ces circonstances, la correspondance de M. A... avec Mme D... pouvait être regardée comme susceptible de compromettre gravement le bon ordre et la sécurité au sens de l'article 40 précité. Par suite, et même si l'intéressé faisait l'objet d'une peine privative de liberté et d'une interdiction de paraître dans le département de l'Ain et alors que Mme D... n'a pas déposé plainte contre lui, c'est à tort que, pour annuler la décision litigieuse, le tribunal s'est fondé sur le motif rappelé plus haut.
7. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal et devant la cour.
Sur les autres moyens :
8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été informé par écrit, le 3 juillet 2019, par l'administration pénitentiaire, de ce qu'elle envisageait de procéder à une rétention de sa correspondance avec Mme D... et M. E... et qu'il pouvait consulter son dossier et présenter des observations écrites ou orales. Par suite, et alors que cette procédure n'avait pas à être mise en œuvre avant que l'administration pénitentiaire ne saisisse le procureur de la République afin de solliciter son avis sur cette mesure, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le principe du contradictoire, ni en tout état de cause, celui de l'équité des débats, auraient été méconnus.
9. En deuxième lieu, si M. A... soutient que la décision contestée de retenue de son courrier du 14 août 2019 ne lui a pas été notifiée dans le délai de trois jours prévu par l'article R. 57-8-19 du code de procédure pénale, il apparaît que, de toutes les façons, comme il vient d'être dit, l'administration pénitentiaire l'a informé par écrit le 3 juillet 2019 qu'elle envisageait de retenir sa correspondance avec Mme D... et M. E.... Ce moyen ne peut, dans ces circonstances, qu'être écarté.
10. En troisième, lieu l'absence d'information du magistrat saisi de la procédure ou de la commission de l'application des peines en application de l'article R. 57-8-19 du code de procédure pénale est sans effet utile sur la régularité même de la décision contestée.
11. En quatrième lieu, la décision litigieuse, qui comportait l'énoncé des considérations de droit et des circonstances de fait la justifiant, est suffisamment motivée.
12. En cinquième lieu, le moyen tiré de ce que son droit à correspondre librement avec Mme D... est constitutionnellement et conventionnellement protégé, n'est pas assorti de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
13. En dernier lieu, et compte tenu de ce qui a été dit plus haut, les moyens tirés de ce que la décision contestée serait erronée en fait et de ce qu'elle ne serait ni nécessaire, ni proportionnée au but poursuivi, alors que le maintien du bon ordre et de la sécurité au sens de l'article 40 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 justifiait la retenue du courrier adressé par M. A..., ne peuvent qu'être écartés.
14. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé la décision du 14 août 2019 par laquelle le directeur du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse a ordonné la rétention des correspondances que M. A... adresserait à M. E... et Mme D... en tant que cette décision porte sur les courriers adressés à cette dernière.
15. Les conclusions présentées par M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1908100 du tribunal administratif de Lyon du 8 décembre 2020 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lyon et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. F... A....
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
M. Chassagne, premier conseiller ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.
Le président, rapporteur,
V-M. Picard
L'assesseur le plus ancien,
J. Chassagne La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N° 24LY01558 2
al