Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. et Mme B... et A... C... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 3 août 2022 par laquelle le préfet de la Drôme a refusé de leur délivrer l'attestation préfectorale prévue au 5° de l'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale.
Par un jugement n° 2206109 du 23 janvier 2024, le tribunal a fait droit à leur demande et a enjoint au préfet de la Drôme, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, de leur délivrer cette attestation, en tenant compte de la délivrance aux intéressés de cartes de séjour temporaires à compter du 15 janvier 2020.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 21 mars et 18 juillet 2024, le préfet de la Drôme demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. et Mme C....
Il soutient que :
- il a qualité pour agir ;
- en application de l'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale, seuls les enfants de parents admis au séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile peuvent bénéficier des prestations sociales ; en l'espèce M. et Mme C... ont été admis au séjour à titre exceptionnel sur le fondement de l'article L. 435-1 de ce même code et ne pouvaient par suite bénéficier de telles prestations ;
- le signataire de la décision était compétent.
Par des mémoires enregistrés les 10 juin et 24 juillet 2024, ce dernier non communiqué, M. et Mme C..., représentés par Me Lantheaume, concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête est irrecevable dès lors que le préfet n'avait pas qualité pour agir, s'agissant d'un litige qui n'entre pas dans les matières prévues à l'article R. 811-10-1 du code de justice administrative ;
- le mémoire du ministre de l'intérieur et des outre-mer est irrecevable comme tardif ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire enregistré le 23 juillet 2024, le ministre de l'intérieur soutient que le préfet de la Drôme a qualité pour agir et, à titre subsidiaire, reprend les conclusions et moyens de la requête à son compte.
Par un courrier du 2 décembre 2024, la cour a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, qu'elle était susceptible de se fonder d'office sur le moyen tiré de ce que le préfet se trouvait en situation de compétence liée pour refuser de délivrer à M. et Mme C... l'attestation prévue à l'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale, dès lors que ces derniers, à la date de ce refus, n'avaient pas été admis au séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Boffy, première conseillère ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Lantheaume, pour M. et Mme C... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B... et A... C..., de nationalité arménienne, sont entrés en France en 2013 avec leurs deux enfants mineurs nés en Arménie. Le couple a formulé une demande d'asile qui a été rejetée définitivement par la Cour nationale du droit d'asile en 2013. En 2019, ils ont obtenu, à titre exceptionnel, la régularisation de leur séjour en France. Souhaitant bénéficier des prestations familiales pour leurs deux enfants nés en Arménie, ils ont demandé aux services du préfet de la Drôme l'attestation prévue à l'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale. Un refus leur a été opposé par une décision du 3 août 2022, suspendue par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble par une ordonnance du 17 octobre 2022. Par un jugement du 23 janvier 2024 dont le préfet de la Drôme relève appel, le tribunal de Grenoble a fait droit à leur demande d'annulation de la décision préfectorale du 3 août 2022.
2. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de la sécurité sociale : " Toute personne française ou étrangère résidant en France, au sens de l'article L. 111-2-3, ayant à sa charge un ou plusieurs enfants résidant en France, bénéficie pour ces enfants des prestations familiales dans les conditions prévues par le présent livre (...) ". Il résulte de l'article L. 512-2 de ce code que les étrangers non ressortissants d'un État membre de la Communauté européenne bénéficient de plein droit des prestations familiales s'ils sont titulaires d'un titre de séjour, " sous réserve qu'il soit justifié, pour les enfants qui sont à leur charge et au titre desquels les prestations familiales sont demandées, de l'une des situations suivantes : (...) / -leur qualité d'enfant d'étranger titulaire de la carte de séjour mentionnée à l'article L. 423-23 du même code (...) ". Aux termes de l'article D. 512-1 du même code : " L'étranger qui demande à bénéficier de prestations familiales justifie la régularité de son séjour par la production d'un des titres de séjour ou documents suivants en cours de validité :/ (...) 2° Carte de séjour temporaire ; (...) ". Aux termes de l'article D. 512-2 de ce code : " La régularité de l'entrée et du séjour des enfants étrangers que le bénéficiaire a à charge et au titre desquels il demande des prestations familiales est justifiée par la production de l'un des documents suivants : (...) 5° Attestation délivrée par l'autorité préfectorale, précisant que l'enfant est entré en France au plus tard en même temps que l'un de ses parents admis au séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (...) ", cet alinéa visant, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le 7° de l'article L. 313-11 du même code.
3. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, anciennement du 7° de l'article L. 313-11 de ce code : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Aux termes de l'article L. 435-1 de ce code, qui s'est substitué à son article L. 313-14 : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".
Sur les fins de non-recevoir :
4. Aux termes de l'article R. 811-10-1 du code de justice administrative : " I. -Par dérogation aux dispositions de l'article R. 811-10, le préfet présente devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'État lorsque le litige est né de l'activité des services de la préfecture dans les matières suivantes : /1° Entrée et séjour des étrangers en France ; (...) ".
5. Lorsqu'il est saisi d'une demande de l'attestation au titre du 5° de l'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale, le préfet ne fait pas application de la législation relative à la sécurité sociale, mais se borne à indiquer si un titre de séjour a été délivré au demandeur notamment sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les litiges relatifs au refus de délivrance d'une telle attestation doivent donc être regardés comme nés de l'activité des services préfectoraux en matière d'entrée et de séjour des étrangers en France. Par suite, le préfet avait qualité pour relever appel, au nom de l'État, du jugement attaqué. Dès lors, et quand bien même le ministre a lui-même présenté son mémoire après expiration du délai d'appel, l'exception d'irrecevabilité opposée par M. et Mme C... ne peut qu'être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. Il résulte de la combinaison des dispositions rappelées aux points 2 et 3 qu'il appartient au préfet, lorsqu'il est saisi d'une demande d'attestation permettant d'ouvrir le droit aux prestations familiales d'un étranger parent d'enfants à charge, de vérifier, en particulier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que cet étranger est titulaire de la carte de séjour temporaire " vie privée et familiale " prévue à l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Pour censurer la décision préfectorale du 3 août 2022, le tribunal a estimé que la carte de séjour temporaire prévue à l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'était pas distincte de celle mise en place par l'article L. 423-23 du même code, sa délivrance pouvant également donner lieu à l'octroi de l'attestation visée au 5° de l'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale.
8. Il résulte toutefois des dispositions précitées que, pour bénéficier des prestations familiales, le parent étranger d'un enfant mineur ne peut se borner à justifier d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", mais doit en outre produire l'attestation visée au 5° de l'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale, attestant qu'un tel titre de séjour a été délivré sur le seul fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si M. et Mme C... sont entrés en France avec deux premiers enfants mineurs en 2013, et ont bénéficié, à la suite d'autorisations provisoires de séjour accordées à partir d'avril 2019, de cartes de séjour temporaires portant la mention " vie privée et familiale " attribuées à partir du 15 janvier 2020, il ressort des pièces du dossier que ces titres leur ont été accordés à la suite de demandes de " délivrance (...) d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au titre de l'admission exceptionnelle au séjour ". Il n'apparaît pas qu'à la date de la décision contestée, ils auraient été titulaires d'une carte de séjour délivrée sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le titre qu'ils détenaient correspondant à celui prévu en cas d'admission exceptionnelle au séjour par l'article L. 313-14 du même code alors en vigueur, dont les conditions de délivrance sont différentes. Dans ces conditions, et faute d'admission au séjour au titre de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Drôme était tenu, pour ce seul motif, de refuser de délivrer à M. et Mme C... l'attestation prévue au 5° de l'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale.
9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Drôme est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le motif évoqué plus haut, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à la demande de M. et Mme C... et annulé la décision contestée.
10. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par la voie de l'effet dévolutif, d'examiner l'autre moyen de la demande présentée par M. et Mme C... devant le tribunal administratif.
11. Compte tenu de la situation de compétence liée dans laquelle se trouvait l'administration pour rejeter la demande de M. et Mme C..., ce moyen, tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée, ne peut qu'être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C... sont infondés à demander l'annulation de la décision du 3 août 2022 leur refusant la délivrance de l'attestation prévue à l'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à M. et Mme C... la somme qu'ils réclament au titre des frais du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 23 janvier 2024 est annulé.
Article 2 : La demande de M. et Mme C... devant le tribunal est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. et Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... et A... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.
La rapporteure,
I. BoffyLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY00826
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