Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler les décisions du 17 novembre 2023 par lesquelles le préfet de la Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer le titre de séjour sollicité.
Par un jugement n° 2307415 du 29 décembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 janvier 2024, M. D... C..., représenté par Me Aldeguer, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2307415 du 29 décembre 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler les décisions 17 novembre 2023 par lesquelles le préfet de la Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Savoie de procéder au réexamen de sa situation et, dans l'attente, de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble est entaché d'une omission à statuer dés lors qu'il n'a pas été répondu au moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision de refus d'enregistrement de sa nouvelle demande de titre de séjour ; ce jugement est entaché d'une erreur d'appréciation de sa situation au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et d'une erreur d'appréciation s'agissant des moyens soulevés à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est entachée d'illégalité, par la voie de l'exception, à raison de l'illégalité de la décision de refus d'enregistrement de sa nouvelle demande de titre de séjour ;
- elle est dépourvue de base légale dés lors que le préfet ne pouvait se fonder sur les dispositions de l'article L. 611-1 3° du code de l'entrée et du séjour des étranger et du droit d'asile dés lors qu'il avait déposé une nouvelle demande de titre de séjour sur laquelle le préfet ne s'est pas prononcé ;
- elle méconnait les stipulations des 2° et 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- cette décision est dépourvue de base légale à raison de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Le préfet de la Savoie, régulièrement mis en cause, n'a pas produit.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, complété par un protocole, deux échanges de lettres et une annexe, modifié, signé à Alger le 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère ;
- et les observations de Me Aldeguer, représentant M. B... C....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C..., ressortissant algérien né le 2 juillet 1988, est entré en France en novembre 2017 selon ses déclarations. Le 1er juin 2021, il a sollicité son admission au séjour sur le fondement des stipulations du 2) de l'article 6 de l'accord franco-algérien suite à son mariage avec une ressortissante française. Par arrêté du 21 avril 2022, dont la légalité a été confirmée par jugement du tribunal administratif de Grenoble du 24 août 2022 puis par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 27 décembre 2022, le préfet de la Savoie lui a opposé un refus, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un arrêté du 17 novembre 2023 le préfet de la Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par un jugement du 29 décembre 2023, dont M. B... C... interjette appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces dernières décisions.
Sur la régularité du jugement :
2. D'une part, contrairement à ce que soutient le requérant, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a répondu, aux points 2 à 4 de son jugement, au moyen tiré de l'exception d'illégalité du refus d'enregistrement de la demande de titre de séjour de M B... C.... Dès lors le moyen tiré de l'omission à statuer doit être écarté.
3. D'autre part, si M. B... C... soutient que le premier juge ne pouvait écarter, sans commettre d'erreur d'appréciation au regard de sa situation personnelle et familiale, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soulevés à l'appui des conclusions aux fins d'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur ce territoire, de tels moyens se rattachent au bien-fondé de la décision juridictionnelle et ne constituent pas des moyens d'irrégularité du jugement.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ".
5. Il résulte des termes de la décision contestée que pour obliger M. B... C... à quitter le territoire français, le préfet de la Savoie s'est fondé sur les dispositions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il est par ailleurs constant que M. B... C... ne peut justifier de la régularité de son entrée en France et ne justifie d'aucun titre de séjour et relève dès lors des dispositions précitées. En tout état de cause, les circonstances que M. B... C... se soit vu refuser la délivrance d'un titre de séjour ou qu'il ait déposé une nouvelle demande de titre de séjour ne saurait faire obstacle à ce que l'autorité administrative décide de son 'éloignement dans le cas mentionné à l'article L. 611-1 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, d'une part, le moyen tiré de l'illégalité par la voie de l'exception du refus d'enregistrement qui lui a été opposé le 16 octobre 2023 doit être écarté comme inopérant et, d'autre part, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit être écarté.
6. En deuxième lieu, indépendamment de l'énumération donnée par l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable à la date de la décision attaquée, des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une telle mesure à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Lorsque la loi prescrit, ou qu'une convention internationale stipule, que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.
7. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / (...) / 2) au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; (...) ".
8. M. B... C... ne conteste pas être entré irrégulièrement en France. Dans ces conditions, la circonstance qu'il soit marié depuis le 27 mars 2021 avec une ressortissante française ne lui permet pas de prétendre à la délivrance de plein droit d'un certificat de résidence sur le fondement des stipulations précitées. Le moyen tiré de la violation de ces stipulations doit par suite être écarté.
9. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / (...) / 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ".
10. M. B... C..., qui déclare être entré en France en novembre 2017, se prévaut de sa communauté de vie avec une ressortissante française avec laquelle il s'est marié le 27 mars 2021, cependant, les documents produits ne sont pas, à eux seuls de nature à démontrer sa communauté de vie avec son épouse antérieurement à septembre 2020. En outre, il ne conteste pas avoir fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement prise par le préfet de la Savoie le 21 avril 2022, dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 24 août 2022 puis par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 27 décembre 2022, qui n'a pas été exécutée. Les circonstances que le requérant ait exercé des missions d'intérim et soit déclaré à l'Urssaf en qualité d'autoentrepreneur depuis le 1er décembre 2022 ne sont pas de nature à démontrer une insertion professionnelle en France. Eu égard aux conditions de séjour en France de l'intéressé, qui n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales en Algérie où il a résidé au moins jusqu'à l'âge de 29 ans, la décision en litige ne porte pas au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré de la violation des stipulations du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien doit être écarté.
11. Pour les mêmes motifs le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit également être écarté.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :
12. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
13. Il ressort des pièces du dossier que M. B... C... est marié avec une ressortissante française depuis le 27 mars 2021 et qu'il établit l'existence d'une communauté de vie avec son épouse depuis septembre 2020. Dans ces circonstances, en édictant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, le préfet de la Savoie a commis une erreur dans l'appréciation de la situation de l'intéressé, justifiant l'annulation de ladite décision.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
14. L'annulation de la seule décision portant interdiction de retour sur le territoire français n'implique pas qu'il soit procédé à un nouvel examen de la situation de M. B... C.... Dans ces conditions, les conclusions aux fins d'injonction présentées par le requérant doivent être rejetées.
Sur les frais d'instance :
15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. B... C... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La décision du préfet de la Savoie faisant à M. B... C... interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an est annulée.
Article 2 : Le jugement du 29 décembre 2023 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.
Article3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 2 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024 ;
La rapporteure,
E. Vergnaud
Le président,
F. Pourny
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 24LY00229