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19/12/2024 | FRANCE | N°23LY02988

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 19 décembre 2024, 23LY02988


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 19 août 2022 du ministre des armées, rejetant son recours administratif préalable obligatoire, dirigé contre la décision de non renouvellement de son contrat de réserviste aumônier et portant radiation des contrôles.



Par un jugement n° 2207816 du 12 juillet 2023, le tribunal a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour



Par une requête enre

gistrée le 12 septembre 2023, M. A..., représenté par Me Riou, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement ;



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 19 août 2022 du ministre des armées, rejetant son recours administratif préalable obligatoire, dirigé contre la décision de non renouvellement de son contrat de réserviste aumônier et portant radiation des contrôles.

Par un jugement n° 2207816 du 12 juillet 2023, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 12 septembre 2023, M. A..., représenté par Me Riou, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du ministre des armées du 19 août 2022 portant rejet de son recours administratif préalable obligatoire ;

3°) d'enjoindre au ministre des armées de statuer de nouveau sur sa demande de renouvellement de son contrat, dans un délai de quinze jours à compter de la date de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, assortis des intérêts légaux capitalisés à compter de l'expiration de ce délai, et, dans l'attente, de le réintégrer dans ses fonctions et de reconstituer sa carrière en tous ces éléments à compter du 1er août 2021 ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce que le tribunal ne pouvait procéder à une substitution de motif dès lors que le ministre, s'estimant en situation de compétence liée en s'appropriant l'avis de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense, n'a pas invoqué un autre motif ; le ministre des armées a seulement cité cet avis sans indiquer un autre moyen ; le jugement est entaché d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision est insuffisamment motivée ;

- le ministre ne pouvait sans erreur de droit ne se fonder que sur le résultat du contrôle élémentaire, alors que l'avis de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense ensuite de ce contrôle n'est pas un avis conforme ;

- la décision est entachée d'erreurs de fait et d'erreur manifeste d'appréciation.

Par une ordonnance du 11 octobre 2023, l'instruction a été close au 15 décembre 2023.

Un mémoire enregistré le 29 mars 2024, qui a été présenté après clôture par le ministre des armées, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la défense ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le décret n° 2008-1524 du 30 décembre 2008 ;

- le décret n° 2019-1271 du 2 décembre 2019 ;

- l'arrêté du 15 mars 2021 portant approbation de l'instruction ministérielle n° 900 sur la protection du secret et des informations diffusion restreinte et sensibles ;

- l'arrêté du 9 août 2021 portant approbation de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale ;

- l'instruction n° 12632/ARM/DCSCA/DGC/AUM du 14 juin 2019 relative à la réserve opérationnelle des aumôniers militaires ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Boffy, première conseillère ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant franco-marocain, est entré en service dans la réserve opérationnelle du service du commissariat des armées (SCA) le 1er août 2017, en qualité d'aumônier militaire du culte musulman, dans le cadre d'un contrat d'engagement à servir d'une durée d'un an, qui a été renouvelé pour une durée de trois ans à compter du 1er août 2018. Par un courrier du 11 juin 2021, l'intéressé, qui était affecté auprès du groupement de soutien de la base de défense (GSBdD) de Lyon - Valence - La Valbonne, au sein de la base aérienne 942 Lyon Mont-Verdun, a sollicité le renouvellement de son contrat. Toutefois, par une décision du 22 novembre 2021, la ministre des armées a prononcé sa radiation des contrôles de la réserve opérationnelle du SCA à compter du 1er août 2021. Par un courrier du 4 février 2022, M. A... a formé un recours administratif préalable obligatoire à l'encontre de cette décision devant la commission de recours des militaires. M. A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation la décision du 19 août 2022 par laquelle le ministre des armées a rejeté son recours.

2. Aux termes de l'article 2 du décret du 30 décembre 2008 relatif aux aumôniers militaires : " Les aumôniers militaires assurent, au sein des armées (...) le soutien religieux du personnel de la défense (...) qui le souhaitent. (...) ". Selon les termes de l'article 1er du même décret : " Les aumôniers militaires sont des militaires servant en vertu d'un contrat. (...) ", et l'article 5 de ce même décret prévoit qu'ils " souscrivent un engagement au titre du service du commissariat des armées. (...) ". Aux termes de l'article L. 4132-1 du code de la défense : " Nul ne peut être militaire : (...) 3° S'il ne présente les aptitudes exigées pour l'exercice de la fonction ; " ; aux termes de l'article L. 4221-2 de ce code dans sa version applicable au litige : " (...) Le réserviste doit posséder l'ensemble des aptitudes requises pour servir dans la réserve opérationnelle. ". Aux termes de l'article R. 114-1 du code de la sécurité intérieure : " La liste des décisions pouvant donner lieu, en application de l'article L. 114-1, à des enquêtes administratives est fixée aux articles R. 114-2 à R. 114-5. " ; aux termes de l'article R. 114-2 dans sa version applicable au litige : " Peuvent donner lieu aux enquêtes mentionnées à l'article R. 114-1 les décisions suivantes relatives aux emplois publics participant à l'exercice des missions de souveraineté de l'État ainsi qu'aux emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense : (...) 3° Recrutement ou nomination et affectation : (...) j) Des militaires ;(...) ". Aux termes de l'instruction générale ministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale : " Les avis restrictifs ou défavorables peuvent être classifiés selon l'appréciation du service enquêteur. / Les avis restrictifs et défavorables sont assortis d'une fiche confidentielle indiquant les motifs de l'avis. (...) ".

3. Par ailleurs, aux termes du préambule de l'instruction du 14 juin 2019 relative à la réserve opérationnelle des aumôniers militaires : " La présente instruction concerne les volontaires qui souscrivent un engagement à servir dans la réserve (ESR) opérationnelle en qualité d'aumônier militaire des cultes (...) musulman (...) ". Selon les termes du point 1.2.2. de cette instruction, relatif à l'une des conditions particulières de recrutement dans la réserve opérationnelle des aumôniers militaires et intitulé " Condition relative à l'habilitation " : " Le candidat au recrutement fait l'objet d'une demande d'habilitation au niveau " confidentiel défense " (CD) établie par la direction centrale du service du commissariat des armées (DCSCA). Le niveau d'habilitation est déterminé par la nature de l'emploi tenu. (...) ". Le point 6.2.1 de la même instruction, intitulé " Demande de renouvellement de contrat ", prévoit que : " La procédure de renouvellement de contrat est de la compétence de la direction de chaque culte. Elle est initiée au cours de la dernière année du contrat et la notification de la décision intervient au plus tard trois mois avant le terme du contrat en cours (...) ". Et aux termes du point 6.2.3 de cette même instruction, intitulé " Décision de non-renouvellement de contrat " : " La DCSCA/DGC/AUM avertit tous les services concernés de la décision de non-renouvellement de contrat. / Cette décision est notifiée à l'aumônier de réserve, mais n'a pas à être motivée. ". L'administration peut toujours, pour des motifs tirés de l'intérêt du service ou pris en considération de la personne, qu'ils aient ou non un caractère disciplinaire, ne pas renouveler le contrat d'un agent public recruté pour une durée déterminée et, par là même, mettre fin aux fonctions de l'intéressé.

4. Enfin, aux termes de l'article L. 2312-4 du code de la défense : " Une juridiction française dans le cadre d'une procédure engagée devant elle (...) peut demander la déclassification et la communication d'informations, protégées au titre du secret de la défense nationale, à l'autorité administrative en charge de la classification. / Cette demande est motivée. / L'autorité administrative saisit sans délai la Commission du secret de la défense nationale. ". Aux termes de l'article L. 2312-7 du même code : " La Commission du secret de la défense nationale émet un avis dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Cet avis prend en considération, d'une part, les missions du service public de la justice, le respect de la présomption d'innocence et les droits de la défense, ou l'exercice du pouvoir de contrôle du Parlement, d'autre part, le respect des engagements internationaux de la France ainsi que la nécessité de préserver les capacités de défense et la sécurité des personnels. / (...) ". Par ailleurs, l'article L. 2312-8 du même code prévoit que : " Dans le délai de quinze jours francs à compter de la réception de l'avis de la Commission du secret de la défense nationale, ou à l'expiration du délai de deux mois mentionné à l'article L. 2312-7, l'autorité administrative notifie sa décision, assortie du sens de l'avis, à la juridiction (...) ayant demandé la déclassification et la communication d'informations classifiées. / (...) ".

5. Il appartient au juge administratif, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur les points en litige. Lorsqu'il est fait valoir que certains de ces éléments sont protégés au titre du secret de la défense nationale, il résulte des dispositions citées au point précédent que la Commission du secret de la défense nationale ne peut alors être saisie qu'à la demande de la juridiction en vue du règlement du litige porté devant elle, si elle l'estime utile.

6. En l'espèce, la demande de renouvellement du contrat de M. A... en qualité d'aumônier militaire du culte musulman a donné lieu à une enquête de sécurité diligentée par la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Un avis défavorable au renouvellement de son contrat de réserviste et de son habilitation a été émis. L'avis a été classifié " secret de la défense nationale " en application de l'instruction générale ministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale. Une note blanche a été produite au dossier par le ministre des armées, indiquant que les attaches de nationalité étrangère de l'intéressé ainsi que ses séjours répétés à l'étranger peuvent le rendre vulnérable " dans le cas où celui-ci serait directement ou indirectement, via ses attaches, l'objet de pression de la part de services étatiques ou de réseaux criminels ". Elle évoque en outre des " liens forts " qu'il entretiendrait avec " certaines organisations politico-religieuses du Sud-Est de la France. La note blanche mentionne enfin que " de nouveaux renseignements de services partenaires " auraient conduit à " faire évoluer la nature du précédant avis de sécurité ", mais qu'"ils ne peuvent faire l'objet d'une transmission plus détaillée ". Le contenu de cette note est contesté par l'intéressé, en particulier s'agissant de ses supposés liens avec des organisations politico-religieuses, qu'il nie.

7. Il apparaît que l'avis classifié " secret de la défense nationale " pourrait être utile au règlement du litige, et permettre en particulier de s'assurer de la compatibilité de la situation de M. A... avec les conditions de confiance et d'aptitude pour l'exercice de fonctions d'aumônier réserviste. Il y a donc lieu de demander au ministre des armées, sur le fondement de l'article L. 2312-4 du code de la défense, de déclassifier et de communiquer cet avis, après saisine de la Commission du secret de la défense nationale, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans l'attente de la production de cet avis, il est sursis à statuer sur la requête présentée par M. A.... Dans l'hypothèse où le ministre estimerait que la classification de l'avis et le refus de communication de tout ou partie de celui-ci seraient justifiés par le secret de la défense nationale, il lui appartiendrait, dans le même délai, de verser au dossier de l'instruction écrite contradictoire tous les éléments relatifs à la nature des informations écartées et aux raisons pour lesquelles elles sont classifiées, notamment quant à la nature des " organisations politico-religieuses du Sud-Est de la France " avec lesquelles M. A... entretiendrait des liens et les " nouveaux renseignements de services partenaires " au regard desquels l'avis a évolué de favorable à défavorable, de telle sorte que la cour puisse se prononcer en connaissance de cause sur les prétentions du requérant sans porter directement ou indirectement atteinte à ce secret.

DÉCIDE:

Article 1er : Le ministre des armées et des anciens combattants est invité, dans les conditions rappelées ci-dessus, à produire l'avis évoqué plus haut ou, le cas échéant, tous autres éléments.

Article 2 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées et des anciens combattants.

Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

Mme Boffy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.

La rapporteure,

I. BoffyLe président,

V-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre des armées et des anciens combattants en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 23LY02988

lc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02988
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Armées et défense - Personnels militaires et civils de la défense - Questions particulières à certains personnels militaires - Réservistes.

Procédure - Pouvoirs et devoirs du juge - Questions générales - Substitution de motifs.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Irène BOFFY
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : RIOU

Origine de la décision
Date de l'import : 29/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-19;23ly02988 ?
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