La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/12/2024 | FRANCE | N°23LY02498

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 19 décembre 2024, 23LY02498


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. et Mme G... E... ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 23 septembre 2021 par laquelle la directrice de l'école primaire " Les grains de blé " à Sathonay-Village a refusé l'accès aux locaux de l'établissement à leurs deux enfants.



Par un jugement n° 2107717 du 22 mai 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.





Procédure devant la cour :



Par

une requête enregistrée le 22 juillet 2023, M. et Mme G... E..., représentés par Me Guillon, demandent à la cour :



1°) d'an...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme G... E... ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 23 septembre 2021 par laquelle la directrice de l'école primaire " Les grains de blé " à Sathonay-Village a refusé l'accès aux locaux de l'établissement à leurs deux enfants.

Par un jugement n° 2107717 du 22 mai 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 juillet 2023, M. et Mme G... E..., représentés par Me Guillon, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2107717 du 22 mai 2023 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) à titre principal, d'annuler, pour un motif de légalité interne, la décision du 23 septembre 2021 par laquelle la directrice de l'école primaire " Les grains de blé " à Sathonay-Village a refusé l'accès aux locaux de l'établissement à leurs deux enfants ;

3°) à titre subsidiaire de prononcer l'annulation de cette décision ;

4°) d'enjoindre à l'établissement scolaire de réintégrer leurs enfants sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5 ) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement du 22 mai 2023 est insuffisamment motivé s'agissant des moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation dont est entachée la décision contestée ainsi que de son caractère disproportionné ;

- la décision attaquée est entachée d'incompétence négative dès lors que la directrice de l'école s'est, à tort, estimée en situation de compétence liée ;

- cette décision constitue une sanction ; elle a été prise irrégulièrement sans procédure contradictoire préalable et en méconnaissance de l'article R. 511-13 du code de l'éducation qui ne vise pas les écoles primaires ; par suite, elle est entachée d'un vice de procédure de nature à les avoir privés d'une garantie ;

- cette décision n'est pas suffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que la directrice de l'école, qui ne pouvait pas porter une appréciation sur les certificats médicaux fournis, a excédé sa compétence et méconnu le secret médical garanti par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique ;

- elle porte atteinte au droit de leurs enfants au respect de leur vie privée et familiale ;

- elle méconnaît le droit à l'instruction et l'intérêt supérieur de l'enfant ;

- elle constitue une mesure de police qui est entachée d'erreur d'appréciation faute d'être justifiée, nécessaire et proportionnée.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 novembre 2023, le recteur de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le jugement du 22 mai 2023 est suffisamment motivé ;

- la directrice de l'école a exercé sa compétence en matière de protection de la santé et était tenue d'appliquer les dispositions législatives et réglementaires, et en particulier les obligations résultant du décret du 1er juin 2021 ;

- la décision contestée est suffisamment motivée ;

- la mesure attaquée ne constitue pas une sanction mais une mesure de police ; compte tenu de l'urgence et des circonstances exceptionnelles, la directrice n'était pas tenue d'organiser une procédure contradictoire préalable ;

- la directrice n'a pas porté d'appréciation sur les certificats médicaux produits et s'est bornée, ainsi que le médecin de l'éducation nationale, à rechercher s'ils mentionnaient l'existence d'une situation de handicap ou d'une pathologie contre-indiquant le port du masque ;

- la décision attaquée n'est pas entachée d'erreur d'appréciation dès lors que les requérants n'ont justifié d'aucune situation dérogatoire au port du masque par leurs enfants au regard des dispositions du décret du 1erjuin 2021 ;

- les moyens tirés de l'atteinte au droit de leurs enfants au respect de leur vie privée et familiale, à leur droit à l'instruction et leur intérêt supérieur devront être écartés ;

- l'obligation de port du masque constitue une mesure raisonnable compte tenu de la situation de pandémie et la décision contestée n'est ni disproportionnée, ni entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par une ordonnance du 30 septembre 2024, la clôture immédiate de l'instruction a été prononcée en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'éducation ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- le décret n° 89-122 du 24 février 1989 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 23 septembre 2021, la directrice de l'école primaire " Les grains de blé " à Sathonay-Village a, par une décision verbale, refusé l'accès aux locaux de l'établissement aux deux enfants A... et Mme G... E... en application du protocole sanitaire concernant le port du masque par les élèves, en dépit des certificats médicaux produits. Par un jugement du 22 mai 2023, dont M. et Mme G... E... interjettent appel, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement :

2. Le point 5 du jugement du 22 mai 2023 du tribunal administratif de Lyon mentionne que M. et Mme G... E... ont produit, pour justifier leur opposition au port du masque par leurs enfants, qui ne sont pas en situation de handicap, des certificats médicaux d'un médecin généraliste se bornant à faire état de ce que le port du masque a un retentissement sur la santé physique et mentale des enfants. Le point 7 du jugement, après avoir rappelé le contexte ayant conduit le gouvernement à prendre le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, précise que, compte tenu des objectifs de santé publique poursuivis et de scolarisation des enfants, le port du masque par les enfants de plus de six ans constituait une mesure nécessaire et proportionnée et qu'il n'existait pas de vraie contre-indication générale au port du masque chez l'enfant de plus de trois ans selon le Haut conseil pour la santé publique. Ce jugement indique, au point 8, que M. et Mme G... E... ayant été autorisés à instruire leurs enfants en famille jusqu'à leur retour, munis de masques, dans l'établissement le 7 octobre 2021, les moyens tirés de ce que la directrice de l'école a porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a pris sa décision, de l'atteinte portée au droit à l'instruction et à l'intérêt supérieur de l'enfant et de ce que le refus d'accès à l'établissement serait disproportionné devaient être écartés. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé s'agissant des moyens tirés de l'erreur d'appréciation et du caractère disproportionné du refus d'accès qui leur a été opposé. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement au regard des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative doit donc être écarté.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

3. Aux termes de l'article premier du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire liée à l'épidémie de COVID-19, dans sa rédaction applicable au 23 septembre 2021 : " I. - Afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d'hygiène définies en annexe 1 au présent décret et de distanciation sociale (...) dites barrières, définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance. (...). ". L'article 2 du même décret dispose que : " Les obligations de port du masque prévues au présent décret ne s'appliquent pas aux personnes en situation de handicap munies d'un certificat médical justifiant de cette dérogation (...). ". Aux termes de l'article 33 du même décret : " L'accueil des usagers dans les établissements d'enseignement relevant du livre IV de la deuxième partie du code de l'éducation (...) est assuré dans les conditions fixées par l'article 36 du présent décret. ". Aux termes du II de l'article 36 du même décret : " Portent un masque de protection dans les espaces clos de ces établissements : (...) 3° Les élèves des écoles élémentaires ; (...). ".

4. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'éducation : " Un directeur veille à la bonne marche de chaque école maternelle ou élémentaire (...). ". Aux termes de l'article 2 du décret du 24 février 1989 relatif aux directeurs d'école : " Le directeur d'école veille à la bonne marche de l'école et au respect de la réglementation qui lui est applicable. / (...) Il prend toute disposition utile pour que l'école assure sa fonction de service public. A cette fin, il organise l'accueil et la surveillance des élèves et le dialogue avec leurs familles (...). ".

5. En premier lieu, M. et Mme G... E... font valoir que le port du masque a un retentissement sur la santé physique et mentale de leurs enfants B..., né le 31 août 2011, et C..., né le 24 février 2014, et ont produit, pour en justifier, des certificats établis par un médecin généraliste le 13 septembre 2021, qui ne sont pas circonstanciés et ne mentionnent aucun handicap justifiant une dérogation à l'obligation de port du masque. Dans ces circonstances, la directrice de l'école élémentaire, qui, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 411-1 du code de l'éducation et de l'article 2 du décret du 24 février 1989, était l'autorité compétente pour faire respecter les dispositions des articles 33 et 36 du décret du 1er juin 2021, n'a pas méconnu sa compétence ou violé le secret médical en se bornant à constater, le jour de la décision contestée, que les enfants A... et Mme G... E... ne remplissaient pas les conditions fixées à l'article 2 du décret du 1er juin 2021 et en leur refusant, en conséquence, l'accès à l'établissement scolaire.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ".

7. Une décision de refus d'accès à l'établissement scolaire pour défaut de port du masque, prise en application des dispositions des articles 33 et 36 du décret du 1er juin 2021 citées au point 3, ne constitue pas une sanction mais une mesure de police administrative. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à invoquer les dispositions de l'article R. 511-13 du code de l'éducation relatif aux sanctions susceptibles d'être prononcées à l'encontre des élèves. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que la directrice de l'école élémentaire a informé l'inspectrice de l'éducation nationale de l'académie de Lyon, en charge de la circonscription de Rillieux-la-Pape, du refus A... et Mme G... E... d'équiper leurs enfants d'un masque dans l'enceinte de l'établissement scolaire, et que l'inspectrice de l'éducation nationale a adressé aux requérants un courrier, daté du 13 septembre 2021, les informant des raisons de l'obligation de port du masque et des dispositions applicables. Dans ces conditions, les requérants, qui ont été informés, avant qu'elle ne soit adoptée, des circonstances de fait et de droit justifiant la décision verbale en litige, ne sont pas fondés à soutenir que cette décision n'était pas motivée, ni qu'ils auraient été privés d'une garantie faute d'avoir préalablement été avertis de l'impossibilité d'accès à l'établissement scolaire sans respecter l'obligation du port du masque ou privés de la possibilité de faire valoir leurs observations préalablement à cette décision.

8. En troisième lieu, l'obligation de port du masque prévue par les dispositions de l'article 36 du décret du 1er juin 2021 est justifiée au regard des impératifs sanitaires majeurs, tenant à la limitation de la propagation de l'épidémie de Covid-19 à l'origine de nombreux décès et de graves complications, et au regard des objectifs poursuivis par le maintien de la scolarisation des enfants, tant dans l'intérêt des enfants eux-mêmes que dans celui de l'ensemble de la population. Dans son avis du 29 octobre 2020 relatif aux masques dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus SARS-CoV-2, le Haut conseil de la santé publique a indiqué qu'en " cette période et/ou zone de circulation très active du virus SARS-CoV-2 et par précaution, le port d'un masque grand public adapté par les enfants dès l'âge de 6 ans à l'école élémentaire (du CP au CM2) est recommandé, en respectant les difficultés spécifiques, notamment comportementales. ". Dans ces conditions, compte tenu des objectifs poursuivis par l'obligation du port de masque en milieu scolaire, M. et Mme G... E..., qui se bornent à invoquer, de manière générale et non circonstanciée, les effets négatifs du port du masque sur les enfants y compris au-delà de six ans et à produire une attestation de consultation d'un psychologue, établie en août 2023, concernant leur fils C..., ne sont pas fondés à soutenir que la décision de refus d'accès litigieuse aurait porté une atteinte excessive à leur droit au respect de leur vie privée et familiale, au droit à l'instruction et à l'intérêt supérieur de leurs enfants alors, au demeurant, qu'ils ne contestent pas que leurs enfants ont pu réintégrer l'établissement, munis de masques, le 7 octobre 2021.

9. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 8, dès lors que les requérants n'ont produit aucun élément de nature à démontrer que leurs enfants auraient été atteints d'un handicap justifiant une incompatibilité avec le port du masque, les moyens tirés de ce que le refus d'accès à l'établissement scolaire qui leur a été opposé revêt un caractère disproportionné ou est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation doivent également être écartés.

10. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme G... E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête A... et Mme G... E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... G... E..., à Mme D... H... et à la ministre de l'éducation nationale.

Délibéré après l'audience du 2 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Evrard, présidente de la formation de jugement,

M. Gros, premier conseiller,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.

La rapporteure,

E. Vergnaud

La présidente,

A. Evrard

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 23LY02498


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02498
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

30-01-03 Enseignement et recherche. - Questions générales. - Questions générales concernant les élèves.


Composition du Tribunal
Président : Mme EVRARD
Rapporteur ?: Mme Edwige VERGNAUD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : GUYON

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-19;23ly02498 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award