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18/12/2024 | FRANCE | N°22LY00996

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 1ère chambre, 18 décembre 2024, 22LY00996


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



La SARL La Mie d'Estrablin a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune d'Estrablin à lui verser une indemnité d'un montant total de 210 766,04 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 6 août 2019 avec capitalisation.



Par un jugement n° 1905338 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune d'Estrablin à indemniser la SARL La Mie d'Estrablin à hauteur de 12 889 euros avec intérêts au taux lé

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SARL La Mie d'Estrablin a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune d'Estrablin à lui verser une indemnité d'un montant total de 210 766,04 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 6 août 2019 avec capitalisation.

Par un jugement n° 1905338 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune d'Estrablin à indemniser la SARL La Mie d'Estrablin à hauteur de 12 889 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 août 2019 et capitalisation des intérêts, au titre des troubles dans les conditions d'exercice de son activité et des frais d'assurance du local.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 mars 2022 et 22 mars 2023, la SARL La Mie d'Estrablin, représentée par Me Eard-Aminthas, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 25 janvier 2022 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) de condamner la commune d'Estrablin à lui verser la somme de 195 042,12 euros ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Estrablin le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- compte tenu de l'importance des troubles subis, le tribunal n'a pas fait une juste évaluation des troubles dans les conditions d'exercice en lui allouant la somme de 10 000 euros ni des frais d'assurance du local en lui allouant la somme de 2 889 euros ;

- la responsabilité de la commune d'Estrablin est engagée pour illégalité fautive ;

- cette faute, qui l'a empêchée de conduire à bien son projet pendant près de quatre ans, est à l'origine directe des préjudices dont elle demande réparation ;

- elle a subi des préjudices résultant de ses troubles dans les conditions d'exercice de son activité à hauteur de 20 000 euros, de l'impossibilité d'utiliser le matériel à hauteur de 32 400 euros, de la réalisation de travaux d'électricité et de téléphonie à hauteur de 5 847,27 euros, des sommes investies et immobilisées à hauteur de 40 000 euros, du règlement des loyers du bail commercial à hauteur de 41 600 euros, du paiement de diverses " taxes " à hauteur de 5 570 euros, des frais d'assurance du local commercial à hauteur de 3 021,85 euros, du manque à gagner évalué à 37 403 euros, du paiement de frais d'architecte à hauteur de 1 200 euros, des honoraires d'avocat à hauteur de 8 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 22 février 2023 et un mémoire enregistré le 21 avril 2023 et non communiqué, la commune d'Estrablin, représentée par Me Fiat, conclut, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du 25 janvier 2022 du tribunal administratif de Grenoble, au rejet de de la requête et à ce que soit mis à la charge de la SARL " La Mie d'Estrablin " le versement de la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le refus de permis de construire aurait pu légalement être fondé sur deux autres motifs tirés de ce que le projet ne respecte pas l'emplacement réservé n° 13 et qu'il méconnait les dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme en ce qu'une canalisation de transport d'hydrocarbures est implantée à proximité des parcelles supportant le local commercial ;

- la société requérante a commis une imprudence de nature à exonérer la commune de toute responsabilité tirée de l'illégalité du refus de permis de construire du 8 février 2012, laquelle fait obstacle à l'indemnisation des préjudices tirés du versement des loyers, du paiement des " taxes " et des frais d'assurance du local commercial, des sommes investies et immobilisées ;

- les préjudices tirés des troubles dans les conditions d'exercice de l'activité de la société, de l'impossibilité d'utiliser le matériel, de la réalisation de travaux d'électricité et de téléphonie, du règlement des loyers du bail commercial, du paiement des " taxes " et des frais d'assurance du local commercial, des sommes investies et immobilisées, du manque à gagner, du paiement de frais d'architecte, des honoraires d'avocat ne sont pas justifiés.

Par ordonnance du 30 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 24 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mauclair, présidente assesseure ;

- les conclusions de Mme Djebiri, rapporteure publique ;

- les observations de Me Malle, représentant la SARL La Mie d'Estrablin et de Me Fiat, représentant la commune d'Estrablin.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de son projet relatif à l'exploitation d'un terminal de cuisson (" Point chaud ") en vue d'y exercer une activité de vente de pain et de viennoiseries ainsi que de salon de thé, la SARL La Mie d'Estrablin a conclu le 24 décembre 2008, avec la SCI du Cap, un bail commercial avec effet au 1er janvier 2009. Les biens donnés à bail, situés sur des parcelles cadastrées section ... sur le territoire de la commune d'Estrablin, comprennent une bande de parking de 250 m² et un bâtiment. Par arrêtés des 2 février, 8 octobre et 30 novembre 2010, le maire de la commune s'est opposé aux déclarations préalables déposées par la SARL La Mie d'Estrablin en vue de procéder à des travaux de ravalement et de modification de l'aspect extérieur du bâtiment. Par arrêté du 11 janvier 2010, le maire de la commune d'Estrablin a refusé la délivrance du permis de construire sollicité par la société au motif que les conditions de desserte et d'accès au terrain étaient " de nature à créer un danger pour la sécurité publique des personnes qui l'utiliseront ". Par arrêté du 8 février 2012, le maire d'Estrablin a opposé un nouveau refus à la demande de permis de construire de la SARL La Mie d'Estrablin sur le fondement des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme. Après le rejet de la requête de la société tendant à l'annulation de cet arrêté par un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 10 octobre 2013, la cour administrative d'appel de Lyon a, par un arrêt du 24 février 2015, retenu que le maire d'Estrablin avait commis une erreur d'appréciation dans l'application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et a annulé l'arrêté du 8 février 2012. Par arrêté du 24 avril 2015, le maire a délivré un permis de construire portant sur la " modification du commerce existant avec la création d'une ouverture sur la façade Est et la peinture des façades " à la SARL La Mie d'Estrablin. Par un courrier du 6 mai 2019, la SARL La Mie d'Estrablin, dont le projet n'a pas été concrétisé, a sollicité de la commune l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de l'illégalité du refus de permis de construire du 8 février 2012. Sa demande préalable indemnitaire ayant été implicitement rejetée, la SARL La Mie d'Estrablin a demandé au tribunal administratif de Grenoble la condamnation de la commune d'Estrablin à l'indemniser à hauteur de 210 766,04 euros. Par un jugement du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune d'Estrablin à l'indemniser à hauteur de 12 889 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 août 2019 et capitalisation des intérêts, au titre des troubles dans les conditions d'exercice de son activité et des frais d'assurance du local. La SARL La Mie d'Estrablin relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions. Par la voie de l'appel incident, la commune d'Estrablin conclut à l'annulation du jugement du 25 janvier 2022 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a retenu sa responsabilité et au rejet des conclusions indemnitaires présentées par la société.

Sur la responsabilité de la commune d'Estrablin :

En ce qui concerne le principe de responsabilité :

2. Par un arrêt du 24 février 2015, devenu définitif, la cour a annulé l'arrêté du 8 février 2012 par lequel le maire de la commune d'Estrablin a refusé de délivrer à la SARL La Mie d'Estrablin un permis de construire, au motif qu'il a commis une erreur d'appréciation dans l'application de l'article R. 111-2 du code d'urbanisme. La décision par laquelle l'autorité administrative refuse illégalement la délivrance d'un permis de construire constituant une faute, la responsabilité de la commune d'Estrablin est engagée pour la période comprise entre le 8 février 2012, date du refus de permis, et le 24 avril 2015, date à laquelle le maire de la commune d'Estrablin a délivré à la société appelante le permis de construire sollicité.

En ce qui concerne le lien de causalité :

3. Pour contester le lien de causalité entre la faute caractérisée au point 2 et les préjudices dont la SARL La Mie d'Estrablin demande réparation, la commune soutient qu'elle aurait pu légalement rejeter la demande d'autorisation en se fondant, d'une part, sur la circonstance suivant laquelle le projet ne respecte pas l'emplacement réservé n° 13 concernant l'aménagement du carrefour situé sur la route départementale (RD) 502 et, d'autre part, sur la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme eu égard à la présence, à proximité du projet, d'une canalisation de transport d'hydrocarbures.

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 151-41 du code de l'urbanisme : " Le règlement peut délimiter des terrains sur lesquels sont institués : / 1° Des emplacements réservés aux voies et ouvrages publics dont il précise la localisation et les caractéristiques ; / 2° Des emplacements réservés aux installations d'intérêt général à créer ou à modifier ; (...) ". Aux termes de l'article L. 152-2 du même code : " Le propriétaire d'un terrain bâti ou non bâti réservé par un plan local d'urbanisme en application de l'article L. 151-41 peut, dès que ce plan est opposable aux tiers, et même si une décision de sursis à statuer qui lui a été opposée est en cours de validité, exiger de la collectivité ou du service public au bénéfice duquel le terrain a été réservé qu'il soit procédé à son acquisition dans les conditions et délais mentionnés aux articles L. 230-1 et suivants (...) ". Ces dispositions ont pour objet de permettre aux auteurs d'un document d'urbanisme de réserver certains emplacements à des voies et ouvrages publics, à des installations d'intérêt général ou à des espaces verts, le propriétaire concerné bénéficiant en contrepartie de cette servitude d'un droit de délaissement lui permettant d'exiger de la collectivité publique au bénéfice de laquelle le terrain a été réservé qu'elle procède à son acquisition, faute de quoi les limitations au droit à construire et la réserve ne sont plus opposables. L'autorité administrative chargée de délivrer le permis de construire est tenue de refuser toute demande, même émanant de la personne bénéficiaire de la réserve, dont l'objet ne serait pas conforme à la destination de l'emplacement réservé, tant qu'aucune modification du plan local d'urbanisme emportant changement de la destination n'est intervenue. En revanche, un permis de construire portant à la fois sur l'opération en vue de laquelle l'emplacement a été réservé et sur un autre projet peut être légalement délivré, dès lors que ce dernier projet est compatible avec la destination assignée à l'emplacement réservé.

5. En l'espèce, il résulte de l'instruction que les parcelles assiettes du projet de la SARL La Mie d'Estrablin sont en partie concernées par l'ER n° 13 au profit du département en vue de l'aménagement du carrefour RD 502/VC n°16 (carrefour des barbiers). Contrairement à ce que soutient la société appelante, il ne peut pas être déduit du seul courrier du 5 août 2010 par lequel le conseil général de l'Isère indiquait ne pas vouloir se porter acquéreur des parcelles cadastrées section AO n° 83, 181, 443, 444, 445 et 446, que les limitations au droit de construire n'étaient plus opposables, dès lors que la procédure de délaissement t n'a pas été mise en œuvre. Cependant, il résulte de l'avis du 1er septembre 2011 rendu par le service gestionnaire de la voie RD 502, que le carrefour a fait l'objet d'une limitation de vitesse à 70 km/h et qu'une interdiction de dépassement a été édictée sur la RD 502. Il y est précisé que l'aménagement du carrefour n'est pas programmé par le département. Dans ce contexte et compte tenu de l'ampleur limitée du projet de la SARL La Mie d'Estrablin, il n'est pas établi que celui-ci ne serait pas conforme avec l'emplacement réservé n° 13 institué d'ailleurs sur une partie réduite des parcelles non concernée par les travaux d'aménagement projetés sur le bâtiment existant.

6. En second lieu, s'il résulte de l'instruction qu'une canalisation de transport d'hydrocarbures raffinés est implantée à proximité des parcelles cadastrées ..., la commune n'établit pas que le projet serait de nature à engendrer des risques pour la sécurité publique au sens des dispositions de l'article R. 111-2 du code d'urbanisme, en se bornant à se prévaloir de l'existence d'une distance de recul des constructions et installations de part et d'autre de l'axe de la canalisation, sans toutefois préciser ladite distance et alors que le projet consiste uniquement en des travaux sur une construction existante dans une zone urbanisée de la commune.

7. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'étendue de l'autorité absolue de chose jugée qui s'attache au dispositif de l'arrêt de la cour du 24 février 2015, les motifs que la commune invoque ne sont pas de nature à justifier légalement la décision de refus de permis de construire du 8 février 2012 et à dénier tout lien de causalité entre ce refus illégal et les préjudices invoqués.

Sur les préjudices :

8. La société La Mie d'Estrablin sollicite l'indemnisation des préjudices résultant des troubles dans les conditions d'exercice de son activité, de l'impossibilité d'utiliser le matériel, de travaux d'électricité et de téléphonie, de l'immobilisation des sommes investies, des loyers du bail commercial, de diverses taxes qu'elle aurait acquittées, de son manque à gagner, des frais d'architecte, d'avocat et d'assurances engagés. La responsabilité de la commune d'Estrablin ne peut être engagée, pour la période du 8 février 2012 au 24 avril 2015, que pour autant qu'il en soit résulté pour la société requérante un préjudice direct et certain.

9. En premier lieu, la société La Mie d'Estrablin soutient avoir subi des troubles dans ses conditions d'exercice qui résulteraient du retard dans le démarrage de son activité commerciale et des démarches contentieuses et administratives qu'elle a dû entreprendre dès 2010 pour être en mesure d'accomplir son projet. Cependant, la SARL La Mie d'Estrablin ne fait état ni de son souhait de concrétiser l'activité commerciale envisagée, après l'obtention du permis de construire le 24 avril 2015, ni des circonstances l'ayant finalement conduit à abandonner la réalisation de son projet malgré l'obtention du permis de construire sollicité. Par suite, le retard dans le démarrage de son activité commerciale et les démarches subséquentes ne peuvent pas être regardés comme ayant été causés de façon suffisamment directe et certaine par la décision de refus de permis de construire qui lui a été opposée le 8 février 2012.

10. En deuxième lieu, la SARL La Mie d'Estrablin sollicite également l'indemnisation des loyers afférents au bien pris à bail, pour un montant de 41 600 euros, pour la période du 8 février 2012 au 24 avril 2015. Il résulte de l'instruction que la société appelante a spontanément conclu, le 24 décembre 2018, un bail commercial avec la SCI du Cap avec effet au 1er janvier 2009 pour une durée de neuf ans. Elle ne peut pas utilement soutenir que n'étant pas un professionnel de l'immobilier, elle ne savait pas qu'elle devait solliciter les autorisations d'urbanisme nécessaires à la mise en œuvre de son projet de commerce alors qu'il résulte des termes du bail que, d'une part, le bien donné à bail, qu'elle a déclaré connaître parfaitement, était à usage de bureau et non à usage commercial et, d'autre part, " le preneur ne pourra opérer aucune transformation, démolition, construction ni aucun changement de distribution, percement de murs (...) sans l'autorisation expresse et par écrit du bailleur. / Outre l'accord du bailleur, le preneur devra justifier qu'il a reçu toutes les autorisations nécessaires ". Par ailleurs, malgré les différentes oppositions à ses déclarations préalables, dont l'illégalité n'est ni invoquée ni établie, la SARL La Mie d'Estrablin a fait le choix de se maintenir dans les lieux et de ne pas procéder à la résiliation du bail à l'échéance triennale. Par suite, alors que l'échelonnement de paiement consenti ne résulte que d'un accord entre le bailleur et le preneur, la SARL La Mie d'Estrablin a commis une imprudence en concluant ledit bail commercial sans disposer de l'autorisation d'urbanisme lui permettant d'exercer l'activité prévue audit bail ni prévoir de condition suspensive ou résolutoire de ce bail dans l'hypothèse où cette autorisation ne lui serait pas accordée, et en en poursuivant l'exécution pendant plus de trois ans. Dans ces conditions, elle ne justifie d'aucun préjudice indemnisable en lien avec la faute relevée au point 2 au titre des loyers dont elle a la charge. Pour les mêmes motifs, l'obligation d'assurer le local découlant de la conclusion du bail commercial, la demande d'indemnisation des frais d'assurance ne peut qu'être écartée.

11. En troisième lieu, la société appelante soutient avoir acquis divers matériels en s'acquittant dès l'année 2009 de loyers de crédit-bail pour un montant de 32 400 euros. Toutefois, elle n'établit pas ni même allègue que le retard fautif avec lequel le permis de construire lui a été accordé l'a contrainte à abandonner son projet. Par suite, la société qui a également imprudemment conclu ledit crédit-bail, ne peut pas être indemnisée du préjudice qu'elle invoque résultant de l'immobilisation du matériel, distinct de celui de la perte de bénéfice dont l'indemnisation est également demandée.

12. En quatrième lieu, la SARL La Mie d'Estrablin sollicite l'indemnisation, à hauteur de 40 000 euros, du préjudice qu'elle estime avoir subi à la suite de la mobilisation d'apport en capital et de la souscription d'un emprunt. Cependant, la société, qui ne justifie pas de la réalité de la mobilisation d'un apport en capital ni même de la souscription effective d'un prêt, n'établit pas davantage que ces investissements auraient été effectués, en tout état de cause, en pure perte du fait du refus de permis de construire opposé le 8 février 2012.

13. En cinquième lieu, la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation. Il en va toutefois autrement si le requérant justifie de circonstances particulières permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain. Il est fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu'il pouvait raisonnablement attendre de cette opération.

14. Il résulte de l'instruction qu'à la date du refus de permis de construire jugé ensuite illégal, outre l'enseigne Aldi, quatre boulangeries / points chauds étaient installés sur le territoire de la commune, deux boulangeries étant situées au centre du village, un dépôt de pain étant excentré dans un hameau au sud du territoire de la commune et un point chaud étant situé à l'ouest. Ce dernier, par ailleurs également situé à proximité immédiate de la RD 502, dans une zone industrielle attractive, et à cinq minutes en voiture du lieu d'implantation du projet, propose, depuis 2010, avec une amplitude horaire importante, les mêmes services et prestations que ceux envisagés par la SARL La Mie d'Estrablin. Ainsi, contrairement ce que soutient la SARL La Mie d'Estrablin, à la date du refus fautif, cet établissement était en mesure de la concurrencer directement sur le même segment de marché à une distance réduite compte tenu de l'utilisation fréquente des véhicules et de capter ainsi les flux significatifs de clients potentiels qu'elle visait en raison de son emplacement commercial. Par ailleurs, la société appelante se borne à produire un dossier prévisionnel, établi en 2012 par une société d'expertise comptable, lequel récapitule le chiffre d'affaires global que l'activité de la société pourrait générer au titre des exercices 2012 à 2016. Elle ne produit aucun élément, notamment sous forme d'étude de marché ou de prospection de personnes intéressées, de nature à justifier des perspectives de développement de son activité. Par suite, ces éléments ne suffisent pas à établir avec certitude la réalité et l'étendue des gains manqués.

15. En sixième lieu, si la société La Mie d'Estrablin sollicite l'indemnisation des travaux d'électricité et de téléphonie qu'elle a engagés en vue de démarrer son activité commerciale à hauteur de 5 847,27 euros, il résulte des factures afférentes produites que lesdits travaux n'ont été réalisés que postérieurement à la délivrance, le 24 avril 2015, du permis de construire. Par suite, de tels travaux n'ouvrent pas droit à réparation.

16. En septième lieu, la société requérante demande le remboursement des " taxes " dont elle a dû s'acquitter pour un montant de 5 570 euros pour la période allant de 2012 à 2015. Pour justifier de la réalité de ce préjudice, la société appelante produit les attestations adressées à M. A..., gérant de la SARL La Mie d'Estrablin, concernant les cotisations au régime social des indépendants pour les années 2013 à 2015. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction que la société La Mie d'Estrablin aurait pris en charge ces cotisations pour le compte de son gérant. Par suite, la présente demande ne peut qu'être écartée.

17. En huitième lieu, les honoraires d'architecte d'un montant de 1 200 euros que la société appelante a exposés en 2009, dans le cadre de sa demande permis de construire, lui ont été utiles pour obtenir le permis de construire qui lui a été délivré le 24 avril 2015. Dès lors, elle n'est pas fondée à demander le remboursement de ces dépenses qui n'ont pas été inutilement engagées.

18. En neuvième lieu, il résulte de l'instruction qu'en l'absence de toute pièce, la SARL La Mie d'Estrablin n'établit pas la réalité, ni dans leur principe ni dans leur montant, des frais d'avocats qu'elle évalue à 8 000 euros engagés pour que soit reconnue l'illégalité du refus de permis de construire qui lui a été opposé. En tout état de cause, la SARL La Mie d'Estrablin doit être regardée comme étant la partie gagnante dans le cadre de l'arrêt rendu le 24 février 2015 pour lequel elle a perçu des frais, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par suite, la demande d'indemnisation formée par l'appelante à ce titre ne peut qu'être écartée.

19. Il résulte de ce qui précède que le jugement du 25 janvier 2022 du tribunal administratif de Grenoble doit être annulé. Les conclusions présentées en première instance et en appel par la SARL La Mie d'Estrablin tendant à la condamnation de la commune d'Estrablin sont rejetées.

Sur les frais du litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d'Estrablin, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la SARL La Mie d'Estrablin, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SARL La Mie d'Estrablin la somme demandée par la commune d'Estrablin, au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 25 janvier 2022 est annulé.

Article 2 : Les demandes de la SARL La Mie d'Estrablin, en première instance et en appel, sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de la commune d'Estrablin tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL La Mie d'Estrablin et à la commune d'Estrablin.

Délibéré après l'audience du 4 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Anne-Gaëlle Mauclair, présidente de la formation de jugement,

M. Bernard Gros, premier conseiller,

Mme Gabrielle Maubon, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 décembre 2024.

La présidente-rapporteure,

A.-G. MauclairL'assesseur le plus ancien,

B. Gros

La greffière,

F. Prouteau

La République mande et ordonne à la préfète de l'Isère en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N° 22LY00996 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22LY00996
Date de la décision : 18/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

68-03-06 Urbanisme et aménagement du territoire. - Permis de construire. - Contentieux de la responsabilité (voir : Responsabilité de la puissance publique).


Composition du Tribunal
Président : Mme MAUCLAIR
Rapporteur ?: Mme Anne-Gaëlle MAUCLAIR
Rapporteur public ?: Mme DJEBIRI
Avocat(s) : VEDESI - SCP SCHMIDT VERGNON PELISSIER THIERRY EARD-AMINTHAS & TISSOT

Origine de la décision
Date de l'import : 29/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-18;22ly00996 ?
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