Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... A... veuve B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 17 février 2023 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de destination en cas d'exécution d'office.
Par jugement n° 2306722 du 29 décembre 2023, le tribunal administratif a fait droit à sa demande et a enjoint au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 23 janvier 2024, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de Mme A....
Il soutient que :
- la décision contestée ne méconnaît pas l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les autres moyens soulevés par Mme A... en première instance ne sont pas fondés.
Par des mémoires enregistrés les 11 juin 2024 et 13 novembre 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Mme A..., représentée par Me Mathis, conclut :
1°) à titre principal, de rejeter la requête ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté du 17 février 2023 et d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard, et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de la notification de cet arrêt ou, à défaut, d'enjoindre au préfet de l'Isère de réexaminer sa situation dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de la munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le refus de titre de séjour est entaché d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation particulière ;
- il est entaché d'un vice de procédure en l'absence de saisine du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire enregistré le 3 octobre 2024, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a produit des observations.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau de l'aide juridictionnelle du 6 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Moya.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 29 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble, d'une part, a annulé les décisions du 17 février 2023 par lesquelles le préfet a rejeté la demande de titre de séjour de Mme A..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination en cas d'exécution d'office de cette mesure d'éloignement et, d'autre part, a enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...). / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...). ".
3. Dans son avis du 29 septembre 2022, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a indiqué que l'état de santé de Mme A..., qui présente un diabète de type 2 compliqué d'insuffisance rénale, nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé en Côte d'Ivoire, elle peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié
4. Si Mme A... se prévaut d'un certificat médical d'un néphrologue indiquant que les soins nécessités par son état de santé ne sont pas disponibles en Côte d'Ivoire, il ressort des observations non contredites du directeur général de l'OFII que l'état de santé de la requérante nécessite soit une hémodialyse, soit une transplantation rénale. Le directeur général de l'OFII produit une fiche de la base de données " MedCOI " du 7 mars 2024, dont il ressort qu'un traitement par hémodialyse, un suivi par un endocrinologue et un néphrologue peuvent être assurés en Côte d'Ivoire. Si Mme A... se prévaut d'un article d'un journal en ligne, selon lequel les places pour des séances de dialyse subventionnées sont rares, cet article n'est pas suffisant pour justifier qu'elle ne pourrait pas avoir un accès effectif aux soins nécessités pas son état de santé en Côte d'Ivoire, alors que ce pays a mis en place le 1er octobre 2019 une couverture maladie universelle, qui couvre l'ensemble de la population. Par ailleurs, Mme A... ne fournit aucun élément sur sa situation patrimoniale et financière, ni sur celle de ses enfants. Les éléments produits, et notamment les considérations d'ordre général sur le système de santé ivoirien, ne sont pas suffisants pour remettre en cause l'appréciation portée par le préfet de l'Isère, au vu de l'avis du collège des médecins de l'OFII, sur la possibilité d'avoir un accès effectif à un traitement approprié. Le moyen tiré de ce que le refus de titre de séjour contesté aurait été pris en méconnaissance de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit, dès lors, être écarté.
5. Il suit de là que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté du 17 février 2023, le tribunal administratif de Grenoble a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Grenoble et devant la cour.
Sur les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal et la cour :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
6. En premier lieu, le refus de titre de séjour contesté mentionne les textes applicables et rappelle le parcours de Mme A.... Le préfet de l'Isère, qui n'était pas tenu de reprendre l'ensemble des éléments qui caractérisaient la situation personnelle de l'intéressée, à énoncé les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de sa décision. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée n'est pas suffisamment motivée.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier et en particulier des motifs de la décision contestée que le préfet de l'Isère a procédé à un examen particulier et circonstancié de la situation familiale et personnelle de Mme A... au vu des éléments dont il avait connaissance.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'un rapport médical a été établi le 4 août 2022 par un médecin, lequel n'a pas siégé au sein du collège des médecins de l'OFII qui a rendu, le 29 septembre 2022, un avis sur l'état de santé de Mme A.... Ce collège était régulièrement composé de trois médecins, désignés par une décision du 1er août 2022 du directeur général de l'OFII régulièrement publiée sur le site internet de cet établissement, conformément aux dispositions des articles R. 425-12 et R. 425-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La requérante n'est donc pas fondée à invoquer l'irrégularité de la procédure ayant précédé le refus de titre de séjour en raison de son état de santé.
9. En quatrième lieu, pour soutenir que son droit au respect de sa vie privée et familiale a été méconnu, Mme A... fait valoir qu'elle réside en France depuis le mois de janvier 2020, qu'elle manifeste une volonté d'intégration en s'investissant notamment dans des activités bénévoles. Toutefois, elle ne justifie d'aucune attache privée ou familiale en France, alors qu'elle a vécu jusqu'à l'âge de soixante-six ans dans son pays d'origine, où résident notamment ses trois enfants. Ainsi que cela a été dit précédemment, la requérante ne démontre pas qu'elle n'aurait pas accès à un traitement adapté à son état de santé en Côte d'Ivoire. Compte tenu des circonstances de l'espèce, la décision contestée n'a pas porté au droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a, par suite, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, elle n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme A....
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'illégalité du refus de titre de séjour qui lui a été opposé entache d'illégalité la décision prescrivant son éloignement.
11. En deuxième lieu, la mesure d'éloignement étant prise en conséquence d'un refus de titre de séjour suffisamment motivé était dispensée d'une motivation distincte en vertu de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le moyen tiré de ce que cette décision serait insuffisamment motivée doit être écarté.
12. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés ci-dessus au point 9, Mme A..., qui n'a pas développé d'autres arguments, n'est pas fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
13. En quatrième lieu, comme indiqué précédemment, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... ne pourrait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de ce que le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile fait obstacle à ce qu'une obligation de quitter le territoire français soit prononcée à son encontre doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
14. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français entache d'illégalité la décision fixant le pays de destination.
15. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 4, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... ne pourrait être prise en charge médicalement en cas de retour en Côte d'Ivoire. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à demander, outre l'annulation du jugement qu'il attaque, le rejet de la demande de Mme A... devant le tribunal administratif de Grenoble.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
17. Le présent arrêt, qui annule le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 29 décembre 2023 et rejette les conclusions de Mme A... dirigées contre la décision du 17 février 2023, n'appelle aucune mesure d'exécution.
Sur les frais du litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il en soit fait application à l'encontre de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2306722 du tribunal administratif de Grenoble du 29 décembre 2023 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et Mme C... A... veuve B....
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Vinet, présidente de la formation de jugement,
M. Moya, premier conseiller,
Mme Soubié, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2024.
Le rapporteur,
P. MoyaLa présidente,
C. Vinet
La greffière,
F. Bossoutrot
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 24LY00207
kc