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05/12/2024 | FRANCE | N°23LY03714

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 05 décembre 2024, 23LY03714


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. B... D... et M. A... D... ont demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser une somme de 100 000 euros, en réparation de leurs préjudices consécutifs au décès de leur père qui avait été pris en charge par ce CHU.



Par un jugement n° 2000817 du 6 octobre 2023, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejet...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... et M. A... D... ont demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser une somme de 100 000 euros, en réparation de leurs préjudices consécutifs au décès de leur père qui avait été pris en charge par ce CHU.

Par un jugement n° 2000817 du 6 octobre 2023, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 décembre 2023, M. B... D... et M. A... D..., représentés par Me Khanifar, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000817 du 6 octobre 2023 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;

2°) de condamner solidairement le CHU de Clermont-Ferrand et l'ONIAM à leur verser une somme de 100 000 euros, en réparation de leurs préjudices consécutifs au décès de leur père ;

3°) de mettre à la charge solidaire du CHU de Clermont-Ferrand et de l'ONIAM, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 2 500 euros au titre de la première instance et une somme de 2 500 euros au titre de l'instance d'appel.

4°) subsidiairement, d'ordonner une expertise médicale avant-dire droit afin de déterminer les causes du décès de leur père et de mettre les dépens à la charge solidaire du CHU de Clermont-Ferrand et de l'ONIAM.

Les consorts D... soutiennent que :

- le CHU de Clermont-Ferrand a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en s'abstenant de prendre en charge leur père, dès la découverte de l'affection cancéreuse dont il souffrait, révélée par un angioscanner réalisé le 15 septembre 2018 au sein de cet établissement ;

- ce défaut de prise en charge a conduit au décès de leur père survenu le 29 juillet 2019 ;

- ce décès leur a causé des préjudices.

Par un mémoire enregistré le 10 avril 2024, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par l'AARPI Jasper avocats, agissant par Me Saumon, conclut à la confirmation du jugement attaqué, à sa mise hors de cause, au rejet de la demande d'expertise et des demandes de condamnation formulées à son encontre.

L'ONIAM fait valoir que :

- il ne peut pas être déclaré responsable de dommages et condamné à les réparer ;

- le décès du père des requérants trouve sa cause dans l'évolution de la pathologie de ce dernier ou dans une faute commise par le CHU de Clermont-Ferrand, non dans un accident médical non fautif, une infection nosocomiale ou une affection iatrogène ouvrant droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale ;

- une expertise ne présente pas de caractère utile.

Par un mémoire en défense enregistré les 1er août 2024, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand, représenté par le cabinet Le Prado-Gilbert, conclut au rejet de la requête.

Le CHU fait valoir que :

- la requête est irrecevable, les requérants se bornant à reprendre à l'identique leurs conclusions de première instance, sans davantage préciser leurs préjudices ;

- en l'absence de telles précisions, les conclusions indemnitaires sont vouées au rejet ;

- aucune faute, pour retard de diagnostic de l'affection cancéreuse, ne peut lui être imputée, le père des requérants s'étant présenté au service des urgences en raison de douleurs au membre inférieur droit et l'angioscanner de ce membre réalisé le 15 septembre 2018 n'ayant pas relevé d'anomalie significative sur les coupes thoraciques ;

- les requérants n'établissent pas que la faute qu'ils invoquent aurait généré une perte de chance d'éviter le décès de leur père.

La clôture d'instruction a été fixée au 16 août 2024, par une ordonnance du 11 juillet précédent.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 18 novembre 2024 :

- le rapport de M. Gros, premier conseiller ,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... D... a été hospitalisé au centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand du 15 au 19 septembre 2018, en raison d'une ischémie subaigüe du membre inférieur droit qui a nécessité une thrombectomie de l'artère poplitée. Des examens médicaux entrepris à partir de mars 2019 ont ultérieurement décelé chez M. C... D... une affection cancéreuse évoluant vers un adénocarcinome pulmonaire avec épanchement péricardique abondant et compressif et syndrome cave supérieure. M. C... D... est décédé le 29 juillet 2019. Imputant au CHU une prise en charge tardive de leur père, fautive car, selon eux, cet établissement avait connaissance dès le 15 septembre 2018 de la pathologie cancéreuse dont il souffrait, M. B... D... et M. A... D..., ses fils, ont réclamé au CHU de Clermont-Ferrand le versement d'une somme de 100 000 euros à valoir sur l'indemnisation de leurs préjudices. Ils relèvent appel du jugement du 6 octobre 2023 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand qui a rejeté leur demande tendant à la condamnation solidaire du CHU de Clermont-Ferrand et de l'ONIAM à leur verser cette somme de 100 000 euros.

Sur la recevabilité de la requête :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. (...) Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".

3. La requête d'appel des consorts D..., qui comporte des conclusions et des moyens argumentés, ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement leurs écritures de première instance mais comporte une critique du jugement attaqué. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir opposée par le CHU de Clermont-Ferrand et tirée du défaut de motivation de cette requête doit être écartée.

Sur la responsabilité du CHU de Clermont-Ferrand :

4. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".

5. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant-dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision (...) ".

6. Il résulte de l'instruction que lors de son admission au service des urgences du CHU de Clermont-Ferrand et de l'hospitalisation qui s'en est suivie, M. C... D..., qui se plaignait de douleurs au membre inférieur droit, a bénéficié d'examens médicaux approfondis. Ainsi, un angioscanner des membres inférieurs réalisé le 15 septembre 2018, qui a révélé une occlusion de l'artère poplitée droite, à l'origine d'une ischémie subaigüe de ce membre, n'a en revanche pas relevé d' " d'anomalie significative sur les quelques coupes thoraciques ", ni " d'anomalie hépato-biliaire, dans la limite d'artéfacts de mouvements, splénique, rénale, surrénalienne ou pancréatique ", ni " d'anomalie des anses digestives ", ni " d'épanchement intrapéritonéal ", ni " d'adénomégalie cœlio-mésentérique ou rétropéritonéale ", ni " en fenêtre osseuse " " d'anomalie de densité focale suspecte ", soit aucun élément en faveur de l'adénocarcinome pulmonaire dont a souffert M. C... D..., diagnostiqué six mois plus tard. Toutefois, selon le compte-rendu d'un scanner thoracique du 6 mars 2019, rédigé par un assistant hospitalier du service de radiologie du CHU, M. C... D... présentait une " adénomégalie de grande taille, hilaire bilatérale ", c'est-à-dire une augmentation de volume des ganglions lymphatiques situés au niveau des grosses bronches de chaque poumon, laquelle peut être en lien avec un cancer des poumons, adénomégalies " déjà visualisées sur l'examen du 15/09/2018 ". Dans un compte-rendu de consultation du 12 avril 2019, une praticienne hospitalière du service de pneumologie du CHU énonce par ailleurs que " Dans l'informatique, je retrouve un angioscanner du mois de septembre où il était déjà décrit les anomalies thoraciques, mais visiblement devant l'urgence vasculaire, il n'avait pas été prévu de contrôle entre-temps ". Cette même praticienne ajoute, dans un compte-rendu de consultation du 25 avril 2019 : " Je ne reviendrai pas sur l'histoire de ce patient qui est malheureuse, puisque les images radiologiques étaient présentes sur le scanner du mois de septembre ". Ces pièces médicales contradictoires ne permettent pas au juge de statuer en connaissance de cause sur les conclusions indemnitaires de la requête.

7. Il y a lieu, dans ces conditions, d'ordonner avant-dire droit une expertise aux fins d'éclairer les conditions de prise en charge en urgence de M. D... et en particulier les données médicales qui ont pu être relevées à cette occasion sur une pathologie cancéreuse et la possibilité d'un diagnostic plus précoce, ainsi que sur une éventuelle chance d'éviter le décès en cas de diagnostic plus précoce, et de réserver jusqu'en fin d'instance les droits et moyens sur lesquels il n'est pas expressément statué.

DECIDE :

Article 1er : Il sera procédé, avant-dire droit, à une expertise médicale contradictoire entre les parties.

Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il aura pour mission de :

1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de M. C... D..., procéder à l'étude de son entier dossier médical ; convoquer et entendre les parties ainsi que tout sachant ;

2°) décrire l'état de santé de M. C... D... antérieur au 15 septembre 2018, date de son admission aux urgences du CHU de Clermont-Ferrand, et à partir de cette date, ainsi que l'évolution de ses pathologies jusqu'à son décès, le 29 juillet 2019, en précisant les causes de ce décès ;

3°) décrire les conditions de sa prise en charge par le service des urgences et identifier précisément les données médicales qui ont pu être relevées à cette occasion sur la pathologie cancéreuse du patient ;

4°) dire si les documents médicaux en possession du CHU, les examens réalisés du 15 au 19 septembre 2018 et l'observation du patient auraient alors permis de poser le diagnostic d'une affection cancéreuse ; préciser, compte tenu du contexte d'urgence, quelles conséquences aurait le cas échéant dû tirer le centre hospitalier de l'identification d'une pathologie cancéreuse ;

5°) dans l'affirmative, dire quelles ont été les conséquences du diagnostic tardif de cette affection et en particulier s'il existait, au stade de la prise en charge en urgence, une chance d'éviter le décès du patient ; L'expert chiffrera le taux de cette perte de chance, en étayant son analyse de tous éléments bibliographiques utiles ;

6°) évaluer, dans l'hypothèse où il retiendrait l'existence d'une perte de chance d'éviter le décès, les différents préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, temporaires et permanents, subis par M. C... D... en lien avec un éventuel retard fautif de diagnostic et de prise en charge de la pathologie cancéreuse.

Article 3 : L'expert accomplira la mission définie à l'article 2 dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il pourra, en tant que de besoin, demander à être assisté par un sapiteur, qui devra être préalablement désigné par le président de la cour.

Article 4 : L'expert appréciera l'utilité de soumettre au contradictoire des parties un pré-rapport.

Article 5 : L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires, accompagné de l'état de ses vacations, frais et débours. Il en notifiera copie aux personnes intéressées, notification qui pourra s'opérer sous forme électronique avec leur accord.

Article 6 : Les frais et honoraires dus à l'expert seront taxés ultérieurement par le président de la cour conformément aux dispositions de l'article R. 621 13 du code de justice administrative.

Article 7 : Tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., désigné représentant unique des requérants, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) et à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme.

Délibéré après l'audience du 18 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Stillmunkes, président de la formation de jugement,

M. Gros, premier conseiller,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.

Le rapporteur,

B. Gros

Le président,

H. Stillmunkes

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 23LY03714


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY03714
Date de la décision : 05/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : M. STILLMUNKES
Rapporteur ?: M. Bernard GROS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : KHANIFAR

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-05;23ly03714 ?
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