Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Grenay à leur verser la somme de 105 008 euros, en réparation de préjudices nés du ruissellement d'eaux pluviales sur leur propriété et à leur payer les frais d'expertise et ont demandé au tribunal d'enjoindre à cette collectivité de prescrire les études préalables à des travaux de drainage et de collecte des eaux pluviales et de faire réaliser ces travaux.
Par un jugement n° 2006894 du 5 juillet 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande et mis à leur charge le quart des dépens constitués par les frais d'expertise qui se sont élevés à 23 008 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires enregistrés, respectivement, le 1er septembre 2023, le 30 avril 2024 et le 11 juin 2024, M. D... B... et Mme C... A..., représentés par la SELARL CDMF-avocats affaires publiques, agissant par Me Poncin, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2006894 du 5 juillet 2023 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de condamner la commune de Grenay, le cas échéant, solidairement avec le département de l'Isère, à leur verser la somme de 105 008 euros en réparation de leurs préjudices, portant intérêts au taux légal à compter du 28 août 2020, outre capitalisation de ces intérêts ;
3°) d'enjoindre au maire de Grenay, après avoir réuni pour ce faire le conseil municipal, de prescrire les études préalables à des travaux de drainage et de collecte des eaux pluviales et de faire réaliser ces travaux, dans un délai de deux mois suivant l'arrêt à venir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de condamner la commune de Grenay à leur verser la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
5°) de condamner le département de l'Isère à leur verser la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B... et Mme A... soutiennent que :
- leur demande, en tant qu'elle est dirigée contre le département de l'Isère, est recevable ;
- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de ce que la responsabilité pour faute de la commune était engagée, en raison du défaut d'entretien normal de l'ouvrage public ;
- les premiers juges ont omis de statuer sur les conclusions de la commune tendant à l'appel en cause du département de l'Isère ;
- la responsabilité sans faute de la commune de Grenay est engagée en raison des déversements d'eaux pluviales sur leur terrain, en provenance de la route départementale RN 53D, lesquels ont causé un affaissement de terrain à l'origine de leurs préjudices, les troubles qu'ils subissent présentant un caractère anormal et spécial ;
- la responsabilité pour faute de la commune de Grenay est également engagée, sur le fondement des articles L. 115-1 et R. 142-1 du code de la voirie routière et de l'article L. 2226-1 du code général des collectivités territoriales, en raison de l'absence de dispositif de recueil des eaux pluviales, la gestion de ces eaux relevant de la commune d'une manière générale ;
- leurs préjudices s'élèvent à 60 000 euros au titre des réparations du talus et de leur mur, à 22 000 euros, hypothèse haute, pour ce qui concerne la rampe d'accès à leur habitation et son dispositif de recueil et d'évacuation des eaux pluviales ; les frais d'expertise ont été taxés à la somme de 23 008 euros ; aucune faute ne pouvant leur être imputée, il n'y a pas lieu de procéder à un partage de tels coûts entre commune et propriétaires riverains ;
- l'appel en garantie du département par la commune n'exonère pas cette dernière de sa responsabilité, ni ne l'atténue, la commune ne pouvant pas se prévaloir utilement du fait du tiers ;
- subsidiairement, si la responsabilité du département est engagée, celui-ci doit les indemniser à hauteur de 105 008 euros ;
- les travaux sont nécessités par l'aggravation des désordres qui accroît le risque d'effondrement sur leur propriété et la déstabilisation de la voie publique.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 avril 2024, le département de l'Isère, représenté par la SELURL Phelip, agissant par Me Phelip, conclut au rejet de la requête ainsi qu'au rejet de l'appel en garantie formé par la commune de Grenay et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le département fait valoir que :
- les conclusions tendant à sa condamnation solidaire avec la commune au versement de l'indemnité demandée, de même que celles tendant à ce qu'il verse des frais de procès, nouvelles en appel, sont irrecevables ;
- les dommages ne sont pas imputables à la présence et au fonctionnement de la route départementale, l'évacuation des eaux pluviales de la chaussée étant, d'un côté, assuré par un rejet diffus selon le cheminement naturel de ces eaux, et, de l'autre côté, par un caniveau ; il n'existe aucune obligation de collecte des eaux pluviales et il appartenait aux requérants riverains de tenir compte de ces ruissellements lors de l'édification de leur habitation ; la rampe d'accès au lotissement et à l'habitation des requérants n'est pas équipée d'un ouvrage spécifique empêchant les eaux pluviales de s'y engouffrer, hormis un caniveau en travers qui n'est pas entretenu ; les requérants ont affaibli un talus intrinsèquement instable en y réalisant un décaissement et ont édifié un mur de soutènement inadapté ;
- seule la responsabilité de la commune, gestionnaire des eaux de ruissellement de la voie en agglomération, est susceptible d'être engagée et l'appel en garantie doit ainsi être rejeté ;
- le confortement du talus et le mur de soutènement devaient être réalisés dès l'origine par les requérants de telle sorte que la demande correspondante de versement d'une indemnité de 60 000 euros ne peut qu'être rejetée ;
- les requérants ne peuvent prétendre, au titre de la remise en état du réseau de recueil des eaux pluviales de la rampe d'accès, qu'au versement d'une indemnité d'un montant n'excédant pas 2 000 euros ;
- à tout le moins, sa part ne pourrait se situer que bien en-deçà de 50 % de ces montants indemnitaires.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 mai 2024, la commune de Grenay, représentée par la SELARL Plantavin-Reina et associés, agissant par Me Reina, conclut au rejet de la requête, à la condamnation du département de l'Isère à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre et à ce que soit mise à la charge des requérants et du département de l'Isère la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune fait valoir que :
- aucune omission à statuer ne peut être retenue car le tribunal a statué sur la responsabilité de la commune en raison des dommages causés aux tiers par les ouvrages publics, c'est-à-dire sur le fonctionnement anormal et le défaut d'entretien normal de l'ouvrage invoqués par les requérants et, la responsabilité de la commune n'étant pas retenue, l'appel en garantie qu'elle avait formé à l'encontre du département devenait sans objet ;
- il n'existe pas de lien direct et certain entre l'ouvrage public constitué par la route départementale et le dommage résidant dans l'affaissement de terrain ; sa responsabilité ne peut pas être engagée en raison du ruissellement naturel d'eaux pluviales sur la propriété des requérants ; elle n'est pas tenue de collecter et d'évacuer ces eaux ; les requérants n'ont pas procédé à l'entretien de leurs propres ouvrages de collecte de ces eaux qui équipent la rampe d'accès à leur habitation ; ils ont procédé à des décaissements et retraits de végétaux qui ont rendu le talus instable et le mur de soutènement qu'ils ont créé n'est pas conforme ;
- subsidiairement, le département, en application de l'article L. 131-2 du code de la voirie routière et de l'article L. 3321-1 du code général des collectivités territoriales, a en charge l'entretien de la route départementale RD 53 et de ses accessoires, il a d'ailleurs posé des bourrelets d'enrobé destinés à rediriger les eaux pluviale, la commune n'est chargée que du bon ordre, de la sûreté, de la sécurité et de la salubrité publique, comme le prévoit l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ainsi que de la police de la circulation, conformément à l'article L. 2213-1 du même code ;
- les désordres ayant pour origine le décaissement du talus, la demande de versement d'une indemnité de 60 000 euros pour réparer le talus et le mur de soutènement doit être rejetée ;
- la demande indemnitaire relative au dispositif de recueil des eaux pluviales de la rampe d'accès, dont le montant, prévisionnel, est indéterminé, doit être également rejetée ; subsidiairement le versement de l'indemnité correspondante doit être partagé ;
- elle n'a pas compétence pour intervenir sur l'ouvrage du département de l'Isère et il y a lieu d'apprécier si les travaux demandés n'entraînent pas d'atteinte excessive à l'intérêt général.
La clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 30 octobre 2024 par une ordonnance du 25 octobre 2024.
Par lettre du 25 octobre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires dirigées contre le département de l'Isère, qui n'ont pas été précédées d'une réclamation préalable.
Par lettre du 25 octobre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la responsabilité pour faute de la commune de Grenay ne peut pas être invoquée pour la première fois en appel.
Les parties n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la voirie routière ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 18 novembre 2024 :
- le rapport de M. Gros, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Martin, représentant M. B... et Mme A..., et de Me Dech, représentant la commune de Grenay.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B... et Mme C... A... ont acquis, en septembre 2007, une maison d'habitation qui avait été implantée en 2001 sur un terrain d'une contenance totale de 1 236 m², sur le territoire de la commune iséroise de Grenay. Ce terrain est situé en contrebas de la route départementale 53D, l'habitation de M. B... et Mme A... étant proche du talus ainsi formé. Postérieurement à un épisode pluvieux de mai 2013, ont été constatés, affectant ce talus, des affaissements, crevasses, niches d'arrachement et une fissure en partie sommitale, près de la route départementale. Après qu'un expert, désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, a rendu son rapport, M. B... et Mme A... ont sollicité auprès du maire de Grenay le versement d'une indemnité d'un montant de 105 008 euros et lui ont demandé de réaliser des travaux de collecte et d'évacuation des eaux pluviales de la route départementale qui ruissellent vers leur propriété. Ils relèvent appel du jugement du 5 juillet 2023 du tribunal administratif de Grenoble qui a rejeté leur demande tendant au versement de cette indemnité et tendant au prononcé d'une injonction, adressée à la commune, de réalisation de ces travaux.
Sur la recevabilité des conclusions d'appel :
2. En premier lieu, si les requérants demandent la condamnation du département de l'Isère, " le cas échéant ", et solidairement avec la commune de Grenay, à leur verser une somme de 105 008 euros, ces conclusions indemnitaires n'ont pas été précédées d'une réclamation préalable sur laquelle le département aurait statué à la date où la cour statue. Ces conclusions ne peuvent ainsi qu'être rejetées comme irrecevables.
3. En second lieu, il résulte de leurs écritures de première instance que les requérants ont sollicité l'indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de la seule responsabilité sans faute de la commune de Grenay. Invoquant la responsabilité pour faute de cette commune dans leur requête d'appel, ils font reposer leur demande sur une cause juridique nouvelle qui, dans cette mesure, est nouvelle en appel, et ne peut, par suite, qu'être rejetée comme irrecevable.
Sur la régularité du jugement :
4. En premier lieu, n'ayant pas recherché devant les premiers juges la responsabilité pour faute de la commune de Grenay, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal aurait omis de statuer sur ce fondement de responsabilité.
5. En second lieu, il ressort des écritures présentées devant le tribunal par la commune de Grenay, que cette dernière avait conclu, à titre principal, au rejet de la requête indemnitaire de M. B... et Mme A..., et, à titre subsidiaire, à la condamnation du département de l'Isère à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre. Le tribunal ayant rejeté cette requête et ainsi fait droit aux conclusions principales de la commune, n'avait pas à se prononcer sur les conclusions d'appel en garantie présentées subsidiairement par la commune.
Sur la détermination de la personne publique responsable :
6. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement.
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 131-1 du code de la voirie routière : " Les voies qui font partie du domaine public routier départemental sont dénommées routes départementales ". Aux termes du second alinéa de son article L. 131-2 : " Les dépenses relatives à la construction, à l'aménagement et à l'entretien des routes départementales sont à la charge du département ". Le règlement de voirie du département de l'Isère, adopté par délibération de cette collectivité du 15 octobre 2009, précise qu'en agglomération, le département " assure l'entretien des fossés jusqu'au premier aménagement et ne s'arrête pas au panneau d'entrée d'agglomération ".
8. La route départementale n° 53D, qui dessert, au lieudit Chatanay sud, à Grenay, la propriété de M. B... et Mme A..., appartient au domaine public routier du département de l'Isère. Les dommages au talus se trouvant sur cette propriété et dont la partie sommitale borde la route départementale, ont été générés par d'importants ruissellements d'eaux pluviales en provenance de la chaussée de cette route, laquelle n'est munie d'une cunette ou fossé de recueil et d'évacuation des eaux pluviales, que le long de l'accotement opposé. Le département, qui a d'ailleurs procédé à la pose d'enrobés de bitume pour tenter de contenir les ruissellements en cause, est ainsi le gardien de l'ouvrage public qu'est la route départementale, même si cette voie, au lieu du dommage, traverse l'agglomération de Grenay. Il suit de là que les conclusions indemnitaires dirigées contre la commune de Grenay sur le fondement de la responsabilité sans faute de cette collectivité pour dommages de travaux publics, sont mal dirigées et doivent être rejetées.
Sur l'appel en garantie présenté par la commune de Grenay contre le département de l'Isère :
9. Aucune condamnation n'étant prononcée par le présent arrêt à l'encontre de la commune de Grenay, ses conclusions d'appel en garantie sont sans objet.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l'exécution de travaux publics ou dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures.
11. Le présent arrêt ne prononçant aucune condamnation à l'encontre de la commune de Grenay, les conclusions aux fins d'injonction présentées par les requérants ne peuvent qu'être rejetées.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
Sur les frais d'instance :
13. En premier lieu, il y a lieu de maintenir les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 23 008 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Grenoble du 13 décembre 2017, à la charge définitive de la commune de Grenay, pour les trois quarts, et de M. B... et Mme A..., pour le quart restant.
14. En second lieu, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la commune de Grenay et du département de l'Isère, tenus aux dépens pour l'essentiel, les sommes que demandent M. B... et Mme A... au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, en l'espèce, de mettre à la charge des requérants et du département de l'Isère la somme que la commune de Grenay demande à ce même titre. Enfin, il n'y a pas davantage lieu de mettre à la charge des requérants la somme que le département de l'Isère demande également sur le même fondement.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... et Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 23 008 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Grenoble du 13 décembre 2017, sont maintenus à la charge définitive de la commune de Grenay, pour les trois quarts, et de M. B... et Mme A..., pour le quart restant.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et Mme C... A..., à la commune de Grenay et au département de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 18 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Stillmunkes, président de la formation de jugement,
M. Gros, premier conseiller,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.
Le rapporteur,
B. Gros
Le président,
H. Stillmunkes
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au préfet de l'Isère, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 23LY02805