Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'établissement public Voies navigables de France à lui verser la somme de 183 165,13 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 février 2021, en réparation des préjudices subis du fait du naufrage de la péniche " La Belle Hélène " dont il est propriétaire.
Par un jugement n° 2103776 du 14 février 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 juin 2023 et un mémoire non communiqué enregistré le 27 septembre 2024, M. A... B..., représenté par l'AARPI Inter-Barreaux Richemont Delviso, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2103776 du 14 février 2023 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) de condamner l'établissement public Voies navigables de France à lui verser la somme de 183 165,13 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 février 2021, en réparation des préjudices subis du fait du naufrage de la péniche dont il est propriétaire ;
3°) de mettre à la charge de l'établissement public Voies navigables de France la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la crue survenue dans le port de plaisance de Roanne le 23 novembre 2019 et les hausses du niveau d'eau au cours des mois de novembre et décembre, qui résultent d'un défaut d'entretien et de surveillance de l'écluse " 1 Roanne ", est bien imputable à Voies navigables de France ;
- la montée subite des eaux a entrainé une gite anormale des péniches amarrées à quai, dont la péniche " La Belle Hélène " dont il est propriétaire ;
- cette gite a provoqué la chute d'objets lourds sur une vanne, provoquant par suite, une entrée d'eau de faible débit, compensée dans un premier temps par la pompe de cale automatique jusqu'à l'épuisement des batteries ; la voie d'eau a provoqué le naufrage de la péniche dans la nuit du 14 au 15 décembre 2019 ;
- la cause du naufrage a été constaté par le responsable du port et la société de réparation PMCF lors de la remise à l'eau du bateau et ces constatations ont été ratifiées par l'expert qui a indiqué qu'aucune autre cause n'était susceptible d'expliquer ce naufrage ;
- aucun défaut de surveillance ne saurait lui être imputé ;
- le rapport d'expertise, établi au contradictoire du représentant de la société Suez Eau de France, gestionnaire du port et concessionnaire de Voies Navigables de France, est bien opposable à l'établissement public ;
- le lien de causalité entre le dysfonctionnement de l'écluse et le naufrage de la péniche est suffisamment établi ;
- le quantum du préjudice est justifié par la production de factures et de devis ;
Par un mémoire enregistré le 18 avril 2024 l'établissement public Voies navigables de France, représenté par la SELARL Leupe Verheoeven Dhorne, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Voies Navigables de France soutient que :
- le rapport d'expertise, qui n'a pas été établi contradictoirement, ne lui est pas opposable ;
- les conclusions du rapport d'expertise sont en contradiction avec les constatations opérées par l'expert ;
- aucun lien de causalité entre le naufrage et les crues survenues du fait d'un dysfonctionnement de l'écluse n'est démontré ;
- en tout état de cause, le défaut de surveillance du propriétaire de la péniche est de nature à l'exonérer de toute responsabilité ;
- au surplus, les demandes indemnitaires présentées sont sur évaluées.
Par une ordonnance du 11 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 30 septembre 2024 à 16h30.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code la navigation intérieure ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Gibon, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... est propriétaire de la péniche " La Belle Hélène ". Dans la nuit du 14 au 15 décembre 2019, cette péniche a fait naufrage dans le port de Roanne, où elle était stationnée pour la période d'hivernage. Par un courrier du 23 février 2021, M. B... a adressé, par l'intermédiaire de son conseil, une demande indemnitaire à l'établissement public Voies navigables de France (VNF), gestionnaire du domaine public fluvial. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de refus. Par un jugement du 14 février 2023, dont M. B... interjette appel, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à ce que Voies navigables de France soit condamné à l'indemniser de ses préjudices.
Sur l'expertise :
2. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.
3. En l'espèce, il résulte de l'instruction que l'expertise conduite à la demande de M. B... les 2 et 3 janvier 2020, si elle n'a pas été rendu au contradictoire de l'établissement public, a cependant été conduite en présence du représentant de la société Suez Eau France, responsable du port de plaisance de Roanne et concessionnaire de VNF. Cette expertise a en outre été soumise au contradictoire dans le cadre de l'instance devant le tribunal administratif de Lyon comme devant la cour. Par conséquent, rien ne s'oppose à ce que les éléments d'information qu'elle comporte soient régulièrement pris en compte.
Sur l'étendue et le principe de la responsabilité :
4. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.
5. Aux termes de l'article A4241-54-8 du code de la navigation intérieure : " (...) 3. Tous les autres bateaux doivent, en stationnement, être surveillés par une personne capable d'intervenir rapidement en cas de besoin, à moins que cette surveillance ne soit pas nécessaire eu égard aux circonstances locales ou que l'autorité chargée de la police de la navigation les en dispense. / L'autorité chargé de la police de la navigation peut également apprécier l'opportunité des circonstances locales. / 4. Lorsque le bateau n'a pas de conducteur, la responsabilité de la mise en place de cette garde ou surveillance incombe au propriétaire, armateur ou autre exploitant. ".
6. Il est constant que, le 23 novembre 2019, la porte de garde située en amont du port de Roanne, qui est destinée à prévenir les crues et à maintenir constant le niveau d'eau dans le port et dont l'entretien et la surveillance incombent à VNF, ne s'est pas fermée en raison, notamment, de la défaillance des capteurs d'eau. Il est également constant que ce dysfonctionnement a entraîné une élévation brutale et importante du niveau des eaux dans le port de Roanne, où était amarrée la péniche " La Belle Hélène " appartenant à M. B... et que d'autres montées des eaux dans le port sont survenues au cours des mois de novembre et décembre 2019.
7. Il résulte de l'instruction que dans la nuit du 14 au 15 décembre 2019, la péniche de M. B... a coulé dans le port de Roanne. M. B... fait valoir que le naufrage de sa péniche résulte du dysfonctionnement de la porte de garde de l'écluse dès lors que la gite provoquée par l'arrivée d'eau massive dans le port de Roanne a entrainé la survenance d'une voie d'eau qui elle-même a fait sombrer le bateau.
8. Il résulte du rapport de l'expertise effectuée par un expert maritime diligenté par M. B... que la péniche a été renflouée et mise à terre le 19 décembre 2019. L'inspection à terre, effectuée par l'expert les 2 et 3 janvier 2020, n'a pas révélé de perforation de coque ou d'autres anomalies susceptibles de causer le naufrage. La voie d'eau et son origine ont été découvertes lors de la remise à l'eau du bateau le 13 janvier 2020, en présence du responsable du port et du mécanicien naval de la société de réparation PMCF. Il résulte des rapports établis par ces derniers, respectivement les 13 et 29 janvier 2020, qui ont été annexés au rapport de l'expert, qu'une voie d'eau a été découverte dans la chambre arrière du bateau, arrivant par un tuyau de faible diamètre situé à fond de quille sous une pompe de cale automatique. Ce tuyau, passant par le compartiment moteur et aboutissant derrière le lave-linge, est équipé à cet endroit d'une vanne quart de tour utilisée pour la vidange du circuit d'eau de refroidissement des blocs de climatisation. Cette vanne était ouverte et sa fermeture a immédiatement stoppé l'entrée d'eau. Constatant la présence, derrière le lave-linge, de bidons, caisse à outils et boites de rangement au sol, ils en ont conclu que la chute de ces éléments lors de la gite provoquée par les entrées anormales d'eau dans le port avait ouvert la vanne ayant la particularité de s'ouvrir latéralement d'un quart de tour vers le bas. La survenance du naufrage vingt jours après la montée d'eau anormale dans le port s'explique, d'une part, par la mise en route de la pompe automatique de relevage située à fond de cale, qui a assuré l'évacuation de l'eau dans la chambre arrière du bateau jusqu'à épuisement de ses batteries et, d'autre part, en raison du faible débit de l'entrée d'eau. L'expert a repris à son compte cette version des faits en indiquant qu'elle est plausible et cohérente et qu'elle est en outre corroborée par l'absence de toute autre cause identifiée lors de l'inspection du bateau et les témoignages des propriétaires des bateaux voisins attestant de l'importance de la gite dans le port le 23 novembre 2019.
9. Si le lien de causalité entre le dysfonctionnement de la porte de garde située en amont du port de Roanne et l'entrée d'eau dans la péniche ayant provoqué son naufrage peut ainsi être regardé comme établi, il résulte toutefois de l'instruction que M. B... a été averti dès le 26 novembre 2019 des incidents survenus dans le port de Roanne par un courriel du responsable de ce port. Or il est constant qu'il n'a fait procéder à aucune inspection de son bateau, alors qu'en sa qualité de propriétaire, il était tenu d'en assurer la surveillance en toute période, y compris en stationnement hivernal et notamment en cas d'incident anormal, en application des dispositions de l'article A4241-54-8 du code de la navigation intérieure citées au point 5 du présent arrêt. Dès lors, qu'il n'est pas démontré qu'une inspection poussée de la péniche, rendue nécessaire par la survenance de l'élévation brutale du niveau des eaux dans le port de Roanne et l'importance de ses effets sur les bateaux qui y étaient stationnés, n'aurait pas permis de détecter la voie d'eau et d'éviter le naufrage, et ce naufrage n'étant lui-même intervenu qu'après un laps de temps significatif qui aurait permis, si M. B... avait respecté son obligation de surveillance, de prendre toute mesure utile, le manquement de M. B... à ses obligations est en l'espèce de nature à exonérer totalement VNF de sa responsabilité.
10. Il résulte de ce qui précède, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 14 février 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les frais d'instance :
11. La demande de frais d'instance présentée, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par M. B..., partie perdante, doit être rejetée. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter également les conclusions présentées sur le même fondement par VNF.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par Voies navigables de France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à l'établissement public Voies navigables de France.
Délibéré après l'audience du 18 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Stillmunkes, président de la formation de jugement,
M. Gros, premier conseiller,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.
La rapporteure,
E. Vergnaud
Le président,
H. Stillmunkes
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY02048