Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 16 juin 2020 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande de reconnaissance de la qualité d'apatride.
Par un jugement n° 2008424 du 11 juillet 2022, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 10 novembre 2022, et un mémoire enregistré le 22 février 2024 et non communiqué, Mme B..., représentée par Me Couderc, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 juillet 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 16 juin 2020 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande de reconnaissance de la qualité d'apatride ;
3°) d'enjoindre à l'OFPRA, à titre principal, de lui reconnaître la qualité d'apatride et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'OFPRA le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à charge pour son conseil de renoncer à la part contributive de l'Etat.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal n'a pas usé de son pouvoir d'injonction pour solliciter de l'OFPRA la délivrance du compte-rendu d'entretien et d'une traduction française des lois de nationalité visées dans la décision en litige ; les principes du contradictoire et de l'égalité des armes ont donc été méconnus ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur de fait, d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire enregistré le 30 novembre 2023, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, représenté par Me Lewy, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- si la cour devait retenir que l'OFPRA s'est fondé, pour rejeter la demande d'apatridie de Mme B..., sur le fait qu'elle entre dans les prévisions des lois yougoslave et monténégrine en matière de nationalité, il y aurait lieu de neutraliser ce motif surabondant en application de la jurisprudence du Conseil d'Etat du 12 janvier 1968, Dame Perrot ;
- les autres moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 30 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 2 janvier 2024.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention relative au statut des apatrides, signée à New-York le 28 septembre 1954 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mauclair, présidente-assesseure ;
- les conclusions de Mme Djebiri, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Entrée pour la dernière fois en France en 2003, Mme B..., qui déclare être née le 21 décembre 1947 à Podgorica, dans le quartier de Zagoric au Monténégro, relève appel du jugement du 11 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 juin 2020 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a refusé de lui reconnaître la qualité d'apatride.
Sur la régularité du jugement :
2. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. Le cas échéant, il revient au juge de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments utiles de nature à lui permettre de former sa conviction. En l'espèce, le tribunal, qui disposait de tous les éléments nécessaires afin de trancher le litige, n'a pas méconnu son office en s'abstenant de faire usage de ses pouvoirs généraux d'instruction afin de solliciter de l'OFPRA, notamment, la production du compte-rendu d'entretien de l'intéressée, étant au demeurant relevé que rien ne faisait obstacle à ce que l'intéressée demande elle-même une copie du compte-rendu de son entretien auprès de l'OFPRA pour le produire à l'instance si elle l'estimait utile.
3. Par ailleurs, il est possible au juge de fonder sa décision sur des éléments d'information générale librement accessibles au public, alors même qu'ils ne sont pas disponibles en langue française, dès lors que l'utilisation de tels documents ne présente pas de difficulté particulière. Ainsi, si l'OFPRA, pour refuser de reconnaître la qualité d'apatride à Mme B..., s'est fondé sur la loi sur la citoyenneté yougoslave du 1er janvier 1997 et sur la loi n° 41/99 sur la citoyenneté monténégrine, remplacées par la loi n°13/08 du 26 février 2008 sur la citoyenneté monténégrine, ces éléments d'information générale, lesquels ont au demeurant été produits par la requérante en première instance, sont librement accessibles au public et leur absence de traduction en langue française n'a pas fait obstacle à l'exercice par les premiers juges du contrôle qui leur incombe.
4. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en s'abstenant de faire usage de leur pouvoir d'instruction sur ces points, les premiers juges auraient méconnu le principe d'" égalité des armes ", garanti par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou le principe du contradictoire.
Sur la légalité de la décision du 16 juin 2020 :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version alors applicable, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 582-1 du même code : " La qualité d'apatride est reconnue à toute personne qui répond à la définition de l'article 1er de la convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides. Ces personnes sont régies par les dispositions applicables aux apatrides en vertu de cette convention ". Aux termes de l'article 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides : " (...) Le terme " apatride " désigne une personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation (...) ". Il incombe à toute personne se prévalant de la qualité d'apatride d'apporter la preuve qu'en dépit de démarches répétées et assidues, l'Etat de la nationalité duquel elle se prévaut a refusé de donner suite à ses démarches.
6. Pour refuser à Mme B... la reconnaissance de la qualité d'apatride, l'OFPRA a relevé qu'il n'apparaissait pas possible d'établir formellement l'identité et l'état-civil de l'intéressée, qu'elle était fondée à se prévaloir de la nationalité monténégrine et qu'enfin les démarches entreprises auprès des autorités monténégrines ne sauraient être regardées comme adéquates compte tenu des incohérences quant à la nationalité dont elle disposerait.
7. En premier lieu, la décision contestée comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et est ainsi suffisamment motivée.
8. En second lieu, Mme B... produit un extrait d'acte de naissance du 4 juillet 2017 au terme duquel il apparaît qu'elle dispose, comme sa mère, de la nationalité monténégrine, ainsi qu'une copie d'une carte d'identité délivrée le 27 novembre 1989 par les autorités monténégrines. Elle ne fournit aucune explication sur les conditions de délivrance de ces documents et actes, qui sont contraires au récit que Mme B... a présenté devant l'OFPRA à l'appui de sa demande d'apatridie, duquel il ressort qu'elle n'aurait jamais eu aucune nationalité. Par ailleurs, si Mme B... produit un courrier du consulat général du Monténégro à Frankfurt (Allemagne) du 17 septembre 2012 et une attestation de l'ambassade du Monténégro en France en date du 29 janvier 2019, dont il ressort qu'elle ne serait pas citoyenne monténégrine, elle n'apporte aucune explication sur les conditions dans lesquelles elle aurait pu se voir, en dépit des documents produits, refuser la nationalité monténégrine. Compte tenu des contradictions résultant de l'appréciation de la situation de Mme B... et du fait que les documents produits sont insuffisants pour établir qu'elle aurait entrepris des démarches sérieuses et réitérées pour se voir reconnaître la nationalité monténégrine, dont rien ne permet d'établir qu'elle ne pourrait s'en prévaloir, l'OFPRA a pu, sans commettre d'erreur de fait, d'erreur de droit ou d'erreur manifeste d'appréciation, refuser à Mme B... la qualité d'apatride.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,
Mme Anne-Gaëlle Mauclair, présidente-assesseure,
Mme Gabrielle Maubon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.
La rapporteure,
A.-G. MauclairLa présidente,
M. C...
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N° 22LY03233 2