Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 18 juin 2019 par lequel le maire de la commune de Cholonge a refusé de lui accorder le permis de démolir l'ancien tunnel des lapins et de construire une porcherie, une fumière, un atelier de découpe et de transformation ainsi qu'un hangar de stockage de la paille.
Par un jugement n° 1907867 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et le rejet implicite du recours gracieux introduit et a enjoint au maire de Cholonge de délivrer le permis de construire sollicité par M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 mars 2022 et le 23 juillet 2024, la commune de Cholonge, représentée par Me Fiat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 janvier 2022 ;
2°) de rejeter la requête de M. B... dirigée contre l'arrêté du 18 juin 2019 ;
3°) de mettre à la charge de M. B... le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal n'a pas examiné le moyen, invoqué en défense, tiré de l'éventuelle responsabilité du maire en cas de faute dans l'exercice de sa compétence en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que le projet en litige ne méconnaît pas le principe de précaution ;
- le motif tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime peut être substitué à celui tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, dès lors que le bâtiment d'élevage projeté par le pétitionnaire se trouve à moins de 100 mètres de la maison d'habitation la plus proche, contrairement aux exigences de l'article 153.4 du règlement sanitaire départemental.
Par un mémoire enregistré le 9 mars 2023, et un mémoire enregistré le 9 septembre 2024 et non communiqué, M. B..., représenté par Me Poulet Mercier-L'Abbé, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Cholonge le versement de la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la commune ne sont pas fondés ;
- le motif que la commune demande de substituer aux motifs initiaux n'est pas fondé dès lors que les dispositions du règlement sanitaire départemental ne sont pas applicables.
Par ordonnance du 9 août 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Charte de l'environnement ;
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le règlement sanitaire départemental de l'Isère ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mauclair, présidente assesseure ;
- les conclusions de Mme Djebiri, rapporteure publique ;
- les observations de Me Fiat, représentant la commune de Cholonge et de Me Poulet Mercier-L'Abbé, représentant M. B....
M. B... a produit une note en délibéré qui a été enregistrée le 3 octobre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., propriétaire et exploitant agricole sur le territoire de la commune de Cholonge, a sollicité du préfet de l'Isère, une dérogation aux règles de distance d'implantation vis-à-vis du ruisseau de Pré Epaule, fixées par les prescriptions générales afférentes à la rubrique n° 2102-2-b de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, dans le cadre de son projet de création d'une porcherie paillée de cent-vingt places, d'un atelier de découpe et de transformation de viande et d'un hangar de stockage de paille. Par un arrêté du 1er mars 2019, le préfet de l'Isère lui a accordé cette dérogation, lui permettant de s'implanter à 20 mètres dudit ruisseau. Par un arrêté du 18 juin 2019, le maire de la commune de Cholonge a refusé d'accorder à M. B... l'autorisation de construire sollicitée portant sur la construction de ces bâtiments et installations. Son recours gracieux ayant été implicitement rejeté par le maire de la commune de Cholonge, M. B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble l'annulation de ces deux dernières décisions.
2. Par un jugement du 25 janvier 2022, le tribunal a annulé l'arrêté du 18 juin 2019 du maire de Cholonge et la décision implicite de rejet du recours gracieux de M. B... et a enjoint au maire de Cholonge de lui délivrer le permis de construire sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, en relevant que le maire pouvait le délivrer en l'assortissant d'une prescription tenant à la couverture d'une fumière. La commune de Cholonge relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
3. La commune de Cholonge soutient que le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur l'argument tiré de ce que sa responsabilité aurait été engagée, en vertu des dispositions de l'article L. 211-7 du code de l'environnement, si elle ne s'était pas opposée à la demande de permis de construire sollicitée par M. B.... Toutefois, alors que la commune de Cholonge a, ce faisant, exposé une argumentation sans soulever un moyen distinct de défense, il ressort du jugement attaqué que le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par la partie défenderesse, n'a commis aucune omission à statuer.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Pour refuser le permis de construire sollicité, la commune de Cholonge a, au visa de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et du principe de précaution, estimé que l'implantation, l'importance et les caractéristiques de l'installation projetée sont de nature à porter atteinte à la salubrité du ruisseau de Pré Epaule, lequel alimente les lacs de Pétichet et de Laffrey, et à induire leur pollution, conduisant ainsi à porter atteinte à la salubrité et à la sécurité des usagers des lacs et des habitants du Hameau de Coirelle, représentant un risque écologique pour le bassin hydrographique nord du plateau matheysin et un risque pour l'économie touristique.
5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ".
6. En vertu de ces dispositions, lorsqu'un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l'autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu'il n'est pas légalement possible, au vu du dossier et de l'instruction de la demande de permis, d'accorder le permis en l'assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modifications substantielles nécessitant la présentation d'une nouvelle demande, permettraient d'assurer la conformité de la construction aux dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect. Par ailleurs, s'il n'appartient pas à l'autorité administrative d'assortir le permis de construire délivré pour une installation classée de prescriptions relatives à son exploitation et aux nuisances qu'elle est susceptible d'occasionner, il lui incombe, en revanche, le cas échéant, de tenir compte des prescriptions édictées au titre de la police des installations classées ou susceptibles de l'être.
7. Il ressort des pièces du dossier que la porcherie, l'atelier de découpe et de transformation ainsi que le hangar de stockage de paille seront implantés sur une plate-forme existante d'environ 1 000 m² qui ne présente aucune pente, notamment en direction du ruisseau de Pré Epaule distant de 20 mètres et qui ne sera pas remodelée. Le bâtiment destiné à abriter la porcherie, organisé en sept bandes de quinze porcs élevés sur une litière paillée pendant dix mois, qui est, compte tenu de la configuration des lieux, éloigné au maximum de ce ruisseau, sera entièrement bétonné au sol et étanche. La litière accumulée sera curée toutes les fins de bande, soit tous les dix mois, et le fumier, très compact afin de limiter fortement la production de purin et par voie de conséquence le rejet d'effluents liquides, sera stocké dans une fumière bétonnée de 70 m², attenante à la porcherie, entourée de deux murs. La gestion des effluents liquides provenant des jus de la fumière sera, quant à elle, assurée par une fosse de béton existante, également étanche, implantée sous la fumière, et qui sera réduite pour une capacité totale de 136 m3. L'insuffisance de la capacité de ces dispositifs, qui permettent le stockage de 7,5 mois d'effluents liquides et de 7 mois d'effluents solides, n'est pas établie par la commune de Cholonge, qui se borne à faire état de la réduction de la surface de la fosse, alors, au demeurant, que le compte rendu rédigé par la chambre d'agriculture de l'Isère dans le cadre de la demande de dérogation de M. B... aux règles d'implantation, mentionne que l'exploitation sera en règle vis-à-vis des exigences relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement au titre de la déclaration et des exigences de la directive Nitrates. S'agissant de l'atelier de découpe et de transformation, qui est raccordé au réseau d'eaux pluviales existant, la notice du dossier de permis de construire indique que ses eaux de lavage seront traitées dans un système de traitement autonome matérialisé notamment sur le plan de masse PC 2. En se bornant à soutenir que le pétitionnaire n'a pas apporté de précisions, notamment sur les dimensions et les modalités techniques de ce système, et qu'il s'est borné à une représentation sommaire sur le plan de masse, la commune de Cholonge, qui n'avait d'ailleurs pas sollicité de précisions dans le cadre de l'instruction du dossier de permis de construire, n'établit pas, par ces seules allégations, que le risque de pollution pris en compte n'aurait pas été correctement évalué. Il ressort également des pièces du dossier que M. B... s'est engagé, en raison de la proximité immédiate de marécages, à réaliser une étude géotechnique préalablement à la phase de construction et à adapter les constructions au terrain.
8. Par ailleurs, par un arrêté du 1er mars 2019, devenu définitif, pris après un rapport favorable de l'inspection des installations classées de la direction départementale de la protection des populations, le préfet de l'Isère a autorisé M. B... à déroger aux règles de distance, sous réserve de la satisfaction des prescriptions techniques applicables en matière d'élevages soumis au régime de la déclaration, lui permettant ainsi d'installer le bâtiment d'élevage à 20 mètres du ruisseau de Pré Epaule. Pour accorder une telle dérogation, le préfet de l'Isère a estimé que les mesures compensatoires décrites par l'exploitant et ayant pour objet d'atténuer les nuisances de l'élevage en matière de bruit, d'air, d'odeurs, de nuisibles, de ressource en eau et d'intégration paysagère, sont adaptées et suffisantes et qu'elles permettent de préserver des risques de pollution des eaux, en particulier dudit ruisseau.
9. Enfin, le terrain d'assiette du projet se situe en zone de montagne, est inclus dans une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) de type II et est relativement proche d'une autre zone de type I. Par ailleurs, le plan local d'urbanisme approuvé le 19 février 2021 le définit comme un espace de fonctionnalité des zones humides. En revanche, si la commune fait également valoir que le ruisseau de Pré Epaule est également classé pour son biotope par la commission locale de l'eau, elle ne produit pas de pièce à l'appui de son affirmation, qui est contestée par le requérant.
10. Toutefois, la commune de Cholonge se borne à rappeler des généralités tenant à ce que le terrain d'assiette est localisé au sein d'une ZNIEFF de type II " lacs et zones humides du plateau matheysin " et à la présence en amont de zones humidifiées répertoriées par le plan local d'urbanisme, alors que le permis de construire comprend quant à lui, ainsi qu'il a été dit, de nombreuses mesures précises destinées à éviter tout risque de pollution, comme celle portant sur les modalités de déversement des effluents dans le milieu naturel. Dans ces conditions, les conséquences dommageables pour l'environnement et le risque de pollution des lacs de Laffrey et Pétichet n'est pas établi, étant relevé par ailleurs que le terrain d'assiette est situé à l'écart du hameau et que sa destination est conforme au règlement de la zone.
11. Par suite, le maire de la commune de Cholonge a méconnu les dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme en refusant le permis de construire sollicité sur ce fondement.
12. En second lieu, l'article L. 110-1 du code de l'environnement définit le principe de précaution, consacré à l'article 5 de la Charte de l'environnement, comme le principe " selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ".
13. S'il appartient à l'autorité administrative compétente de prendre en compte le principe de précaution lorsqu'elle se prononce sur l'octroi d'une autorisation délivrée en application de la législation sur l'urbanisme, les dispositions de l'article 5 de la Charte de l'environnement ne permettent pas, indépendamment des procédures d'évaluation des risques et des mesures provisoires et proportionnées susceptibles, le cas échéant, d'être mises en œuvre par les autres autorités publiques dans leur domaine de compétence, de refuser légalement la délivrance d'une autorisation d'urbanisme en l'absence d'éléments circonstanciés sur l'existence, en l'état des connaissances scientifiques, de risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus d'autorisation.
14. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, le maire de la commune de Cholonge ne pouvait opposer au projet de M. B... la méconnaissance du principe de précaution.
Sur la demande de substitution de motifs présentée par la commune de Cholonge :
15. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas l'intéressé d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
16. Aux termes de l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime : " Lorsque des dispositions législatives ou réglementaires soumettent à des conditions de distance l'implantation ou l'extension de bâtiments agricoles vis-à-vis des habitations et immeubles habituellement occupés par des tiers, la même exigence d'éloignement doit être imposée à ces derniers à toute nouvelle construction et à tout changement de destination précités à usage non agricole nécessitant un permis de construire, à l'exception des extensions de constructions existantes (...) ". Aux termes de l'article 153-4 du règlement sanitaire départemental de l'Isère : " Sans préjudice de l'application des documents d'urbanisme existant dans la commune ou de cahiers des charges de lotissement, l'implantation des bâtiments renfermant des animaux doit respecter les règles suivantes : / - les élevages porcins à lisier ne peuvent être implantés à moins de 100 mètres des immeubles habités ou habituellement occupés par des tiers, des zones de loisirs et de tout établissement recevant du public (...) ".
17. Si la commune de Cholonge soutient que les dispositions précitées imposaient de rejeter le projet de M. B... en ce que la maison d'habitation la plus proche se situe à moins de 100 mètres de l'exploitation de celui-ci, il ressort des plans du dossier de demande de permis de construire que ladite habitation est celle de l'intéressé lui-même. Ainsi, la règle d'implantation prévue par les dispositions précitées du règlement sanitaire départemental de l'Isère n'est pas opposable à cette habitation. Par suite, alors qu'il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu'une autre habitation, occupée par des tiers, serait située à moins de 100 mètres du projet litigieux, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de substitution de motifs présentée par la commune de Cholonge.
18. Il résulte de ce qui précède que la commune de Cholonge n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 18 juin 2019 et la décision implicite de rejet du recours gracieux présenté par M. B....
Sur les frais d'instance :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Cholonge demande au titre de ses frais d'instance.
20. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune requérante le versement à M. B... d'une somme de 2 000 euros à ce titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Cholonge est rejetée.
Article 2 : La commune de Cholonge versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Cholonge et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de la formation de jugement,
Mme Anne-Gaëlle Mauclair, présidente assesseure,
Mme Gabrielle Maubon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 octobre 2024.
La rapporteure,
A.-G. Mauclair La présidente,
M. C...
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 22LY01020 2