Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Optical Center a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 13 décembre 2018 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a rejeté le recours formé par le docteur A... contre la décision du conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins refusant sa demande d'exercice sur un site distinct de sa résidence professionnelle habituelle. Par jugement n°191040 du 14 janvier 2020, le tribunal a rejeté sa demande.
Par arrêt n° 20LY01082 du 1er juin 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société Optical Center contre ce jugement.
Par décision n° 455075 du 29 décembre 2023, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Lyon
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat
Par un mémoire enregistré le 15 mars 2024, la société Optical Center, représentée par Me Lorit, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal Administratif de Lyon du 14 janvier 2020 ;
2°) d'annuler la décision du conseil national de l'ordre des médecins du 13 décembre 2018 ;
3°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a intérêt à agir contre cette décision ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- le second motif de refus opposé au Dr A..., tiré de ce qu'il ne garantirait pas l'effectivité d'un suivi de qualité, manque en fait ;
- il est entaché d'une erreur de droit dans la mesure où la continuité des soins n'a pas nécessairement lieu sur le site de prise en charge ;
- la décision en litige est entachée d'erreur manifeste d'appréciation du critère de suivi et de continuité des soins ;
Par mémoire enregistré le 15 avril 2024, le conseil national de l'ordre des médecins, représenté par Me Cayol, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la société Optical Center la somme de 4 422,50 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il expose que :
- la société requérante est dépourvue d'intérêt à agir ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;
- il y a lieu de substituer au motif opposé au Dr A... celui tiré du manquement que ce mode d'exercice aurait induit vis-à-vis de ses obligations déontologiques.
Par mémoire enregistré le 11 juin 2024, la société Optical Center conclut aux mêmes fins que ses précédents mémoires. Elle soutient, en outre, que les modalités d'exercice dans le centre qu'elle exploite n'induisent pas de manquement à la déontologie.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bertrand Savouré, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Christine Psilakis, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Lorit, représentant la société Optical Center, et de Me Lor, représentant le conseil national de l'ordre des médecins ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Optical Center a créé en avril 2016 à Lyon un centre de chirurgie réfractive proposant aux patients qui présentent des anomalies de la puissance optique de l'œil des interventions consistant à intervenir sur la cornée par le recours à deux techniques de laser. Par une décision du 3 juillet 2018, le conseil départemental de l'ordre des médecins du Rhône s'est opposé à la demande d'exercice sur site distinct de sa résidence professionnelle habituelle présentée par M. A..., médecin spécialiste qualifié en ophtalmologie, en vue d'exercer dans ce centre. Le Conseil national de l'ordre des médecins a rejeté le recours administratif préalable obligatoire formé par M. A.... Par un arrêt du 1er juin 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé contre le jugement du 14 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision. Par une décision du 29 décembre 2023, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Lyon.
2. Aux termes de l'article L. 4121-2 du code de la santé publique : " L'ordre des médecins (...) [veille] au maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine (...) et à l'observation, par tous [ses] membres, des devoirs professionnels, ainsi que des règles édictées par le code de déontologie prévu à l'article L. 4127-1 (...) / Ils assurent la défense de l'honneur et de l'indépendance de la profession médicale (...) ". Aux termes de l'article R. 4127-85 du même code, dans sa version applicable au présent litige : " Le lieu habituel d'exercice d'un médecin est celui de la résidence professionnelle au titre de laquelle il est inscrit sur le tableau du conseil départemental, conformément à l'article L. 4112-1. / Dans l'intérêt de la population, un médecin peut exercer son activité professionnelle sur un ou plusieurs sites distincts de sa résidence professionnelle habituelle : - lorsqu'il existe dans le secteur géographique considéré une carence ou une insuffisance de l'offre de soins préjudiciable aux besoins des patients ou à la permanence des soins ; - ou lorsque les investigations et les soins qu'il entreprend nécessitent un environnement adapté, l'utilisation d'équipements particuliers, la mise en œuvre de techniques spécifiques ou la coordination de différents intervenants. / Le médecin doit prendre toutes dispositions et en justifier pour que soient assurées sur tous ces sites d'exercice la réponse aux urgences, la qualité, la sécurité et la continuité des soins. / La demande d'ouverture d'un lieu d'exercice distinct est adressée au conseil départemental dans le ressort duquel se situe l'activité envisagée (...) Le silence gardé par le conseil départemental sollicité vaut autorisation implicite à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la date de réception de la demande (...) L'autorisation est personnelle et incessible (...) Les recours contentieux contre les décisions de refus (...) d'autorisation ne sont recevables qu'à la condition d'avoir été précédés d'un recours administratif devant le Conseil national de l'ordre ".
3. Ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat dans sa décision susvisée, les interventions de chirurgie réfractive proposées dans le centre créé par la société Optical Center n'impliquent pas, eu égard à la nature superficielle de l'effraction sur la cornée et à sa durée très courte, le recours à un secteur opératoire et ne nécessitent pas le recours à une anesthésie justifiant l'application des dispositions de l'article D. 6124-91 du code de la santé publique. Ainsi, la société Optical Center est fondée à soutenir qu'en s'opposant à la demande présentée par M. A... au motif que les interventions de chirurgie réfractive relevaient des activités de chirurgie soumises à autorisation en application des articles L. 6122-1 et R. 6122-25 du code de la santé publique et n'avaient, en l'espèce, pas été autorisées par l'agence régionale de santé, le conseil national de l'ordre des médecins a méconnu ces dispositions. En outre, compte tenu notamment de ce qui vient d'être dit, il ne ressort pas des pièces du dossier que le centre créé par la société Optical Center serait dépourvu des conditions permettant d'offrir au médecin des conditions d'exercice conformes à la qualité attendue des soins et à la sécurité des patients.
4. Par ailleurs, si le Conseil national de l'ordre des médecins fait valoir que, selon le Dr A... lui-même, les actes médicaux devant être réalisés au sein du centre nécessitaient un suivi le jour suivant l'opération puis un mois plus tard, ce qui n'était que partiellement possible au centre puisqu'il ne devait y travailler qu'une demi-journée par mois, cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce qu'il assure personnellement le suivi des patients à Lyon, Sainte-Foy-lès-Lyon et Chaponost, dès lors que cette dernière commune, qui est la plus éloignée des trois et où il a son cabinet principal, est distante de seulement 12 km du centre créé par la société Optical Center. Les modalités d'exercice prévues étaient ainsi propres à assurer la qualité, la sécurité et la continuité des soins.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, qu'aucun des motifs opposés au Dr A... par la décision en litige n'est fondé.
6. Toutefois l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
7. Le conseil national de l'ordre des médecins soutient que la déontologie médicale faisant obstacle à l'exercice de la profession dans le centre créé par la société Optical Center, il était tenu de refuser la demande d'exercice sur site distinct formulée par le Dr A.... Or s'il est vrai que la plainte dont a été saisie la chambre disciplinaire de première instance du conseil régional de l'ordre des médecins contre une consœur de ce dernier a été rejetée par un jugement du 5 septembre 2018 et que sur appel du conseil de l'ordre, par un arrêt du 8 mars 2022, la chambre nationale s'est bornée à lui infliger la sanction de l'avertissement après avoir rejeté l'essentiel des griefs, il n'en demeure pas moins, alors que ces juridictions ont statué au regard des arguments présentés devant elles et que leur appréciation ne lie pas la cour, que les modalités d'exercice dans ce centre mettaient le médecin dans une situation lui faisant clairement courir un risque de manquement déontologique. Ainsi, il y a lieu notamment de relever que les craintes concernant des risques d'exercice dans un local commercial interdit par l'article R. 4127-25 du code de la santé publique et de compérage prohibé par l'article R. 4127-23 du même code étaient avérées dès lors, d'une part, que les conditions dans lesquelles les activités de médecin et d'opticien sont exercées dans ce centre sont de nature à faciliter l'orientation des éventuels patients ou clients de l'une vers l'autre, peu important à cet égard que les salariés de la société n'y trouvent pas un intérêt financier direct et immédiat, d'autre part que les deux activités sont exercées au sein de locaux qui font l'objet d'un bail commercial unique, ont des ouvertures communes sur la façade sur rue l'une au-dessus de l'autre, que les mentions apposées sur les stores de la clinique viennent rappeler celles figurant sur les vitrines du magasin et que si elles ont des entrées séparées, elles disposent néanmoins d'une signalétique commune, le tout créant un lien entre les deux activités médicale et commerciale de nature à créer une confusion dans l'esprit du public. Dès lors que les conditions d'exercice dans ce centre n'étaient pas propres à garantir le respect de la déontologie médicale, le Conseil national de l'ordre des médecins, qui a pour mission de veiller au respect du code de déontologie, était fondé à refuser l'autorisation sollicitée et ce quand bien-même les dispositions précitées de l'article R. 4127-85 du code de la santé publique dans sa version alors applicable ne mentionnaient pas explicitement ce motif de refus. Il résulte de l'instruction que cet organisme aurait pris la même décision s'il s'était fondé initialement sur ce motif, qui justifie à lui seul la décision attaquée. Par conséquent, et dès lors que la société requérante n'est, en l'espèce, privée d'aucune garantie procédurale, il y a lieu de procéder à la substitution de motif sollicitée.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la demande de première instance, que la société Optical Center n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la société Optical Center. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière le versement de la somme de 2 000 euros au profit du Conseil national de l'ordre des médecins en application de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Optical Center est rejetée.
Article 2 : La société Optical Center versera au Conseil national de l'ordre des médecins une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Optical Center, au Conseil national de l'ordre des médecins et à M. A....
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2024, où siégeaient :
M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,
Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,
M. Bertrand Savouré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.
Le rapporteur,
B. SavouréLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 24LY00051