Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
1°) Sous le n° 2305150, M. C... A...... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 10 février 2023 par lesquelles le préfet de l'Isère lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé à trente jours le délai de départ volontaire et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
2°) Sous le n° 2305151, Mme B...... épouse A...... a demandé au même tribunal d'annuler les décisions du 10 février 2023 par lesquelles le préfet de l'Isère lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé à trente jours le délai de départ volontaire et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2305150-2305151 du 21 novembre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à ces demandes et a enjoint au préfet de l'Isère de délivrer des titres de séjour à M. et Mme A.....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 décembre 2023 ensemble un mémoire complémentaire enregistré le 18 mars 2024, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2305150-2305151 du 21 novembre 2023 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de rejeter les demandes de M. C... A...... et de Mme B...... épouse A.......
Le préfet de l'Isère soutient que :
- sa requête n'est pas tardive ;
- c'est à tort que le tribunal n'a pas mis en cause l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) pour qu'il puisse présenter des observations sur la disponibilité des soins en Algérie ;
- tous les moyens invoqués en première instance étaient infondés et le tribunal aurait dû rejeter les demandes de M. et Mme A.....
Par un mémoire en défense enregistré le 8 avril 2024, M. et Mme A...., représentés par Me Ahdjila, concluent :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Isère de leur délivrer un titre de séjour dès la mise à disposition de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;
3°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, à verser à leur conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. et Mme A.... soutiennent que :
- c'est à juste titre que le tribunal a estimé que le refus de séjour opposé à M. A...... était entaché d'erreur manifeste d'appréciation et que le refus de séjour opposé à son épouse méconnaissait, par voie de conséquence, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le tribunal n'était pas tenu d'appeler l'OFII en la cause ;
- ils entendent reprendre subsidiairement les autres moyens invoqués en première instance ;
- le préfet s'est cru à tort lié par l'avis du collège de médecins de l'OFII et n'a pas examiné le dossier ni motivé sa décision ;
- l'avis médical est irrégulier en l'absence d'indication sur la durée prévisible du traitement ;
- les soins requis ne sont pas disponibles en Algérie ;
- le préfet a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les obligations de quitter le territoire français, les interdictions de retour sur le territoire français et les décisions fixant le pays de renvoi sont illégales en conséquence de l'illégalité des refus de séjour et en l'absence de traitement disponible en Algérie ;
- l'injonction prononcée par le jugement n'a pas été exécutée.
Par décision du 21 février 2024, M. et Mme A.... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, modifiée, conclue à Rome le 4 novembre 1950 ;
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, complété par un protocole, deux échanges de lettres et une annexe, modifié, signé à Alger le 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ensemble l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions, prévues à l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Stillmunkes, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A...., ressortissants algériens tous deux nés en 1952, ont, chacun en ce qui le concerne, demandé au tribunal administratif de Grenoble l'annulation des décisions du 10 février 2023 par lesquelles le préfet de l'Isère leur a refusé la délivrance de titres de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé à trente jours le délai de départ volontaire et leur a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par le jugement attaqué du 21 novembre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à ces demandes d'annulation et a enjoint au préfet de l'Isère de délivrer des titres de séjour à M. et Mme A..... Le préfet de l'Isère en interjette appel.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 611-12 du code de justice administrative : " Les communications à l'Etat des demandes et des différents actes de procédure sont faites à l'autorité compétente pour représenter l'Etat devant le tribunal ". Si, en application des dispositions procédurales du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables aux ressortissants algériens, les décisions préfectorales prises sur les demandes de séjour présentées sur le fondement de l'article 6, 7° de l'accord franco-algérien susvisé, en raison de l'état de santé du demandeur, doivent être précédées d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), cet office, qui n'intervient qu'à titre consultatif, n'est pas l'auteur des décisions et n'a pas à être mis en cause en tant que partie dans les instances portant sur des conclusions à fin d'annulation des refus de séjour en cause, qui sont édictés par l'autorité préfectorale, agissant au nom de l'Etat. C'est dès lors sans irrégularité que le tribunal, qui a communiqué la demande de première instance au préfet de l'Isère, auteur des décisions en litige et qui représente l'Etat devant le tribunal en la matière, n'a pas mis en cause l'OFII. La circonstance que l'OFII ne soit pas partie à l'instance ne fait au demeurant pas obstacle à ce que les services préfectoraux puissent, le cas échéant, recourir à son expertise médicale technique et produire des éléments d'information que l'Office leur aurait transmis, ainsi que l'a d'ailleurs fait le préfet de l'Isère devant la cour.
Sur la légalité des refus de titre de séjour :
3. Il résulte de l'avis du collège de médecins de l'OFII, corroboré par les données médicales produites par le préfet de l'Isère en appel, que les soins requis par l'état de santé de M. A...... sont disponibles en Algérie.
4. Toutefois, pour annuler la décision de refus de séjour opposée à M. A......, le tribunal ne s'est pas fondé sur la méconnaissance des stipulations de l'article 6, 7° de l'accord franco-algérien, mais sur l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet dans l'exercice de son pouvoir de régularisation, compte tenu des circonstances humanitaires particulières invoquées par M. A.......
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A...... est né en Algérie le 23 juillet 1952 et qu'il est de nationalité algérienne. Il est entré en France le 20 juillet 2018 avec son épouse, sous couvert d'un visa de court séjour. Il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en invoquant son état de santé. Sa demande a été rejetée le 25 novembre 2019 et ce refus de séjour a été assorti d'une mesure d'éloignement, la légalité de ces décisions étant confirmée par jugement du tribunal du 20 avril 2020 et par arrêt de la cour du 19 novembre 2020. Si trois de ses filles demeurent en Algérie, son fils aîné demeure régulièrement en France. Il résulte des certificats médicaux nombreux, concordants et circonstanciés produits par M. A...... qu'outre un diabète de type II insulinorequérant compliqué de rétinopathie, de néphropathie et de neuropathie, il est atteint essentiellement d'artériopathie oblitérante des membres inférieurs, d'asthme sévère de palier 5 ainsi que de myocardiopathie ischémique et hypertrophique. En outre, il a dû subir une amputation du pied gauche avec séquelles douloureuses et ne se déplace qu'avec un fauteuil roulant. Ainsi que l'a relevé le tribunal, son état s'est aggravé durant les années 2022 et 2023 et il a dû être admis aux urgences et en réanimation plusieurs fois, notamment pour détresse respiratoire aigüe avec oppression thoracique ainsi qu'à la suite de douleurs latéro-thoraciques et du bras gauche, répétées et graves. Outre de nombreux documents hospitaliers, son médecin traitant expose qu'il fait l'objet d'un suivi médical et paramédical régulier en raison de sa situation polypathologique complexe, en coordination avec les services hospitaliers spécialisés. Le même médecin atteste de façon très circonstanciée de l'aggravation sensible de son état général à compter de 2022, ce qui est corroboré par les différents éléments hospitaliers produits. Eu égard à la situation particulière de fragilité de M. A...... à la date des décisions ainsi qu'à la complexité du suivi médical qui a été progressivement mis en place et dont l'utilité est déterminante dans un contexte de polypathologies en cours d'aggravation avec risque d'arrêt cardiorespiratoire relevant d'une prise en charge d'urgence, c'est dès lors à juste titre que, dans les circonstances particulières de l'espèce, le tribunal a jugé que le refus de séjour opposé était entaché d'erreur manifeste d'appréciation dans l'exercice du pouvoir de régularisation que l'accord franco-algérien reconnait au préfet. C'est également à bon droit que, dans ces conditions, le tribunal a jugé que le refus de séjour opposé à son épouse méconnaissait, pour sa part, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard aux liens unissant les époux et à la fragilité particulière de M. A...... qui nécessite la présence de son épouse à ses côtés.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard aux motifs de l'annulation prononcée par les premiers juges et que la cour reprend, cette annulation implique nécessairement, ainsi que l'a jugé à juste titre le tribunal, que le préfet de l'Isère délivre à M. et Mme A...., un certificat de résidence algérien d'un an portant la mention " vie privée et familiale ". Il ne résulte pas de l'instruction que le préfet aurait déféré à cette injonction à la date du présent arrêt. Il y a en conséquence lieu de réitérer cette injonction, qui doit être mise en œuvre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
8. M. et Mme A.... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à Me Ahdjila, avocat de M. et Mme A...., d'une somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige, sur le fondement de ces dispositions, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de l'Isère est rejetée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à M. et Mme A...., un certificat de résidence algérien d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Ahdjila une somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Ahdjila renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. et Mme A.... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur ainsi qu'à M. C... A...... et Mme B...... épouse A....... D... en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 16 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
M. Gros, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
Le rapporteur,
H. Stillmunkes
Le président,
F. Pourny
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY03965