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03/10/2024 | FRANCE | N°23LY01937

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 03 octobre 2024, 23LY01937


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



Mme E... C... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon à lui verser une somme de 155 841 euros, en réparation de préjudices consécutifs à sa prise en charge médicale dans cet établissement.



Par un jugement n° 2000620 du 6 avril 2023, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour :



Par une requ

ête et un mémoire, enregistrés respectivement le 7 juin 2023 et le 30 avril 2024, Mme E... C..., représentée par le cabinet Auravocat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon à lui verser une somme de 155 841 euros, en réparation de préjudices consécutifs à sa prise en charge médicale dans cet établissement.

Par un jugement n° 2000620 du 6 avril 2023, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement le 7 juin 2023 et le 30 avril 2024, Mme E... C..., représentée par le cabinet Auravocats, agissant par Me Bénagès, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000620 du 6 avril 2023 du tribunal administratif de Dijon ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon à lui verser la somme de 155 841 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge du CHU une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) à titre subsidiaire d'ordonner une expertise et d'annuler le jugement en tant qu'il met à sa charge les frais d'expertise d'un montant de 4 000 euros.

Mme C... soutient que :

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en entérinant le rapport d'expertise judiciaire, lequel omet des faits importants et contredit des documents médicaux ;

- la responsabilité du CHU de Dijon est engagée car il a, fautivement, écarté le diagnostic de la maladie de Lyme qui l'affecte de manière chronique, suspendu les traitements susceptibles d'effet contre cette maladie, ne lui a pas administré d'antibiotiques à titre de précaution et lui a administré des traitements inappropriés, contraires aux données acquises de la science, des corticoïdes qui ont entraîné une perte de vision ; le CHU a également commis une faute en lui conseillant de consulter un psychiatre pour ses troubles ;

- ses préjudices s'élèvent à :

* 14 000 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire ;

* 20 000 euros au titre d'un préjudice scolaire, universitaire ou de formation ;

* 10 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

* 1 841 euros au titre de dépenses de santé avant consolidation ;

* 10 000 euros au titre de dépenses de santé futures ;

* 100 000 euros au titre de son préjudice moral.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 avril 2024, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon, représenté par le cabinet d'avocats Le Prado - Gilbert, conclut au rejet de la requête et des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme.

Le CHU fait valoir que :

- il n'a commis aucune faute en écartant le diagnostic de la maladie de Lyme et pas davantage dans le choix des traitements administrés à Mme C... ;

- une nouvelle expertise ne revêt pas de caractère utile ;

- la requérante n'est pas recevable à contester les frais d'expertise taxés à 4 000 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Dijon du 11 janvier 2023, et ne justifie pas de circonstances particulières justifiant que ces frais soient mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Dijon.

Par une ordonnance du 6 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 23 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 16 septembre 2024 :

- le rapport de M. Gros, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bénagès représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. A compter du 9 septembre 2016, Mme E... C..., née le 1er juillet 1996, a, à plusieurs reprises et pour diverses pathologies, été prise en charge par le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon. En novembre 2019, Mme C... a réclamé à cet établissement le versement d'une indemnité d'un montant de 155 841 euros en réparation de préjudices qui seraient nés de cette prise en charge. Après que le CHU a rejeté sa réclamation, Mme C... a saisi le tribunal administratif de Dijon, qui, le 22 novembre 2021, a ordonné une expertise médicale, avant de rejeter la demande de l'intéressée, par jugement du 6 avril 2023, dont Mme C... relève appel en maintenant sa demande de condamnation du CHU à lui verser une indemnité de 155 841 euros.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes du premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".

3. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport, daté du 23 novembre 2022, de l'expertise judiciaire réalisée par un praticien hospitalier, chef du service des maladies infectieuses et hygiène hospitalière du centre hospitalier d'Aix-en-Provence, assisté d'un sapiteur, médecin interniste du même établissement, que Mme C... a été hospitalisée les 9 et 10 septembre 2016 au service de médecine interne du CHU de Dijon, où a été diagnostiquée une primo-infection au virus d'Epstein-Barr. Le 5 décembre suivant est diagnostiquée une uvéite de l'œil droit, d'abord améliorée par un traitement local anti inflammatoire non invasif, avant une aggravation qui, quelques jours après, la conduit au service des urgences ophtalmologiques du CHU, où sont pratiquées des injections intraoculaires de corticoïdes. Poursuivie durant une hospitalisation au service de médecine interne du CHU, du 15 au 19 décembre, l'administration de corticoïdes permet une évolution lentement favorable de cette uvéite antérieure. Mme C... est de nouveau hospitalisée, les 22 et 23 décembre, pour un syndrome de cyriax gauche, traité par un médicament antalgique contenant de la morphine, augmenté le 28 décembre suivant au vu d'un tableau d'arthro-myalgies et d'une asthénie intense. Le médecin traitant de Mme C... quant à lui prescrit à cette dernière, du 7 au 12 janvier 2017, le médicament Doxycycline, antibiotique recommandé dans le traitement de la maladie de Lyme, à la suite de quoi apparaissent diverses douleurs, dont des tremblements des membres inférieurs, qui entrainent une nouvelle hospitalisation de Mme C..., du 12 janvier au 3 février 2017. L'uvéite demeure et il est constaté une atteinte du nerf optique gauche (névrite optique retro bulbaire), ce qui conduit à l'administration de fortes doses de corticoïdes et, du fait de la réactivation du virus d'Epstein-Barr, à celle d'immunoglobulines. Dans ce service de médecine interne, comme dans celui de neurologie où Mme C... est transférée jusqu'au 24 février 2017, il est relevé une dissociation entre une amélioration de l'état des yeux et une baisse persistante de l'acuité visuelle de la patiente. En raison d'un nouvel épisode fiévreux et d'une accentuation des douleurs des membres inférieurs, Mme C... est hospitalisée du 4 au 7 mars 2017 au service de médecine interne du CHU. Après diverses consultations et examens, l'acuité visuelle étant relevée à 10/10 début septembre 2017, Mme C... est hospitalisée du 8 au 12 octobre 2018 au service de rhumatologie du CHU pour un bilan de douleurs diffuses atypiques. Le 26 novembre 2018, le chef du service de médecine interne évoque une fibromyalgie ou un syndrome de Munchhausen par procuration. Mme C... bénéficie de l'allocation aux adultes handicapés depuis le 1er octobre 2021.

4. La requérante, qui invoque, essentiellement, une " perte considérable d'autonomie " et une " perte visuelle ", attribue son état de santé à la maladie de Lyme, que le CHU de Dijon a écartée de son diagnostic, fautivement selon elle car cette pathologie aurait été révélée par des tests sanguins positifs. L'état de santé de Mme C... se caractérise, selon le rapport de l'expertise judiciaire du 23 novembre 2022, par des myalgies des membres inférieurs, une tendinopathie du moyen fessier bilatérale, une trépidation épileptoïde bilatérale avec réflexes ostéotendineux vifs et quelques fasciculations de la cuisse gauche.

5. Les experts indiquent que le diagnostic de la borréliose ou maladie de Lyme, maladie infectieuse dont l'agent pathogène est une bactérie nommée D... burgdorferi, est complexe. Cette pathologie peut être détectée par sérologie qui consiste à mesurer la quantité d'anticorps ou d'immunoglobulines dans le sérum d'un patient. Un résultat positif au test Elisa, qui signale les immunoglobulines M (B...), produites au contact de l'exposition initiale à un agent pathogène, doit être confirmé par un test positif Western Blot, sans quoi il s'agira d'un " faux positif ", et ce test positif confirmé doit être suivi d'un test de détection des immunoglobulines G (IgG), qui doit lui-même se révéler positif. Un test " faux positif " ou positif B... confirmé ne signale pas, à lui seul, en l'absence de symptômes cliniques caractéristiques, la présence de la maladie de Lyme.

6. Les analyses sérologiques concernant Mme C..., issues de prélèvements effectués les 9, 16 et 28 décembre 2016 se sont révélés positifs aux immunoglobulines M D..., un test Western Blot s'étant révélé négatif à la suite de la première et la troisième analyse précisant " réponse n'évoquant pas une borréliose ". De nouvelles sérologies Lyme effectuées mi-janvier 2017 et le 5 octobre 2017 donnent des résultats positifs aux immunoglobulines M, non confirmés par des tests Western Blot négatifs. Une sérologie Lyme d'octobre 2018 se révèle d'emblée négative aux immunoglobulines M. A... analyses sérologiques ne signalent pas de maladie de Lyme active. Les experts indiquent également que Mme C... ne présentait aucun signe clinique caractéristique de cette maladie. S'agissant de l'uvéite antérieure aiguë droite qui a affecté Mme C... à partir de fin novembre 2016, la cause première réside dans l'antigène HLA-B27 positif, dont la requérante est porteuse, maladie inflammatoire chronique ou auto-immune, la maladie de Lyme n'étant représentée que dans 1 % des cas d'uvéite. Quant à la névrite optique rétro bulbaire gauche ou atteinte du nerf optique gauche, apparue en janvier 2017, qui peut constituer une manifestation de la maladie de Lyme, elle est, selon les experts, due à l'atteinte oculaire à droite et/ou à une hypertension intracrânienne, cette dernière plus fréquente chez les jeunes femmes en surpoids, telle la requérante, et/ou secondaire à la prise de cycline. La requérante n'apporte pas d'éléments susceptibles de remettre en cause ces constats. Par suite, les praticiens du CHU de Dijon ont pu, sans commettre d'erreur, écarter le diagnostic de maladie de Lyme et ne pas poursuivre l'administration du médicament Doxycycline, antibiotique recommandé dans le traitement de la maladie de Lyme, qui avait été prescrit à la requérante par son médecin traitant pour la période du 7 au 12 janvier 2017. Enfin, cette uvéite antérieure, qui n'est pas, conséquemment, d'origine infectieuse, a été traitée dans les règles de l'art par un traitement antiinflammatoire, à base de corticoïdes, local avant injections, puis par immunoglobulines. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que la baisse d'acuité visuelle ressentie par Mme C... de décembre 2016 à septembre 2017 serait en lien avec l'administration de médicaments corticoïdes. Aucune erreur fautive de diagnostic ou de traitement ne peut donc être retenue à l'encontre du CHU de Dijon. Par suite, en l'absence de faute, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité du CHU est engagée sur le fondement des dispositions visées ci-dessus du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

7. La faute imputée par la requérante au CHU auquel elle reproche de lui avoir conseillé de consulter un psychiatre pour ses troubles, constitue une allégation dépourvue de toute argumentation sérieuse.

8. Il résulte de ce qui précède, sans besoin de diligenter de nouvelle expertise, que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions indemnitaires présentées sur le fondement de la responsabilité pour faute et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les frais liés au litige :

9. D'une part, aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".

10. En vertu de la règle, applicable même sans texte à toute juridiction administrative, qui lui impartit, sauf dans le cas où un incident de procédure y ferait obstacle, d'épuiser son pouvoir juridictionnel, il appartient à la cour de se prononcer sur la dévolution des frais d'expertise, contestée d'ailleurs par Mme C..., sans qu'y fasse obstacle la circonstance que cette dernière n'a pas contesté, dans le mois suivant sa notification, l'ordonnance du 11 janvier 2023 par laquelle le président du tribunal a liquidé et taxé à la somme de 4 000 euros les frais et honoraires de l'expertise judiciaire diligentée par cette même juridiction.

11. Il résulte de l'instruction qu'il n'y a pas lieu de modifier la dévolution des frais d'expertise décidée par les premiers juges.

12. D'autre part, aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens (...) ".

13. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge du CHU la somme que réclame la requérante au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C..., au centre hospitalier universitaire de Dijon et à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.

Délibéré après l'audience du 16 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.

Le rapporteur,

B. Gros

Le président,

F. Pourny

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY01937


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY01937
Date de la décision : 03/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. - Absence de faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public. - Diagnostic.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Bernard GROS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : BENAGES

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-03;23ly01937 ?
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