Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... E... et Mme B... A... épouse E... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge de l'obligation qui leur a été notifiée par trois actes de saisies administratives à tiers détenteur du 9 avril 2021 de payer le solde de dettes fiscales dues en leur qualité d'associés de la SCI Selim et de dettes d'impôt sur le revenu et de pénalités dont ils étaient redevables au titre des années 2011 et 2012.
Par un jugement n° 2106204 du 6 juillet 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 31 août 2023, M. D... E... et Mme B... A... épouse E..., représentés par Me Reka, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer ces impositions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen tiré d'un détournement de pouvoir ;
- l'administration n'a pas procédé, avant les saisies administratives à tiers détenteur, à une relance progressive ou directe afin de recouvrir les sommes dues ;
- le point 3. de la note de service du 27 février 2019, qui a été publiée au BOFIP-GCP-19-0010, est opposable à l'administration ;
- les saisies administratives à tiers détenteur ne leur ont pas été notifiées ;
- l'administration avait renoncé à recouvrir les sommes faisant l'objet des saisies administratives à tiers détenteur ;
- les actes de cautionnement des dettes de la SCI Selim du 10 mai 2014 sont entachés de nullité ;
- l'administration n'a pas préalablement et vainement poursuivi la SCI Selim, avant d'adresser les saisies administratives à tiers détenteur concernant ses associés ; elle a alors commis un détournement de procédure ;
- l'action en recouvrement des sommes visées par les saisies administratives à tiers détenteur est prescrite ;
- ils ne doivent pas ces sommes ;
- l'administration a commis des détournements de procédure et de pouvoir.
Par un mémoire, enregistré le 12 décembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 15 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 7 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Porée, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Laval, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Le 25 mai 2018, M. et Mme E..., qui détenaient chacun la moitié des parts de la SCI Selim, se sont vu notifier, en qualité d'associés de cette société dont ils s'étaient portés caution, des avis de mise en recouvrement mettant à leur charge les rappels de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôt sur les sociétés, les pénalités et les amendes assignés à la société à la suite d'un contrôle fiscal portant sur la période couverte par les exercice clos en 2010, 2011 et 2012 par deux avis de mise en recouvrement du 13 novembre 2013. Par ailleurs, à la suite d'un examen contradictoire de situation fiscale personnelle dont ils ont été l'objet, M. et Mme E... ont été assujettis, au titre des années 2011 et 2012, à des cotisations d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux assorties de pénalités, lesquelles ont été mises en recouvrement le 30 avril 2015. Des sommes de, respectivement, 159 500 euros et 34 884 euros, ont été versées au Trésor par le notaire en règlement de ces dettes dans le cadre de la vente, le 2 avril 2021, d'une maison appartenant aux associés sur laquelle avaient été inscrites deux hypothèques. Le 9 avril 2021, le comptable public a, d'une part, délivré à l'encontre de chacun des époux une saisie administrative à tiers détenteur pour avoir paiement d'une somme de 15 269 euros correspondant à la moitié du solde de la dette fiscale de la SCI Selim, d'un montant total de 30 539 euros, et, d'autre part, délivré à l'encontre de M. et Mme E... une saisie administrative à tiers détenteur pour avoir paiement d'une somme de 2 462 euros se rapportant à la majoration de 10 % appliquée aux cotisations d'impôt sur le revenu. M. et Mme E... relèvent appel du jugement du 6 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande de décharge de l'obligation de payer les sommes visées par ces actes de poursuite.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si M. et Mme E... entendent soutenir que les premiers juges n'ont pas répondu à un moyen tiré d'un détournement de procédure qu'ils avaient invoqué, le tribunal administratif de Grenoble, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés par les requérants, a répondu, au point 11 de son jugement, au moyen soulevé en première instance tiré du détournement de procédure par l'administration. Par suite, M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'une irrégularité.
Sur la décharge de l'obligation de payer :
3. Aux termes de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances, amendes, condamnations pécuniaires et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. (...) Les contestations relatives au recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance. Elles peuvent porter : 1° Sur la régularité en la forme de l'acte ; 2° A l'exclusion des amendes et condamnations pécuniaires, sur l'obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l'exigibilité de la somme réclamée. Les recours contre les décisions prises par l'administration sur ces contestations sont portés dans le cas prévu au 1° devant le juge de l'exécution. Dans les cas prévus au 2°, ils sont portés : a) Pour les créances fiscales, devant le juge de l'impôt prévu à l'article L. 199 (...) ".
4. En premier lieu, le moyen tiré de l'absence de relance progressive ou directe avant les saisies administratives à tiers détenteur n'est pas assorti de précisions permettant d'en apprécier la portée. Au demeurant, les saisies administratives à tiers détenteur, qui ne donnent pas lieu à des frais, n'ont pas à être précédées d'une mise en demeure en application de l'article L. 257-0 A du livre des procédures fiscales.
5. D'autre part, M. et Mme E... ne peuvent se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du point 3. de la note de service du 27 février 2019, publiée au BOFIP-GCP-19-0010, qui se rapporte uniquement aux organismes publics nationaux.
6. En deuxième lieu, si M. et Mme E... soutiennent que les saisies administratives à tiers détenteur n'ont été notifiées qu'à leur banque et que cette absence de dénonciation est de nature à priver ces actes de leur effet interruptif de prescription, il n'appartient qu'au juge judiciaire d'apprécier la validité en la forme de ces actes de poursuite, et notamment de leur dénonciation. Par suite, le moyen tiré de l'absence de notification des saisies administratives à tiers détenteur aux requérants à l'appui de leur contestation introduite à l'encontre de ces actes devant le juge de l'impôt, doit être écarté comme inopérant.
7. En troisième lieu, la seule circonstance que M. et Mme E... ont vendu un bien immobilier qui faisait l'objet d'inscriptions hypothécaires au profit de l'administration ne saurait par lui-même établir l'existence d'une transaction par laquelle celle-ci aurait renoncé à recouvrer les pénalités et amendes fiscales mises à la charge de la SCI Selim. En tout état de cause, il résulte des actes d'inscription d'hypothèque légale du Trésor que l'hypothèque de 159 500 euros inscrite sur la maison de M. et Mme E... correspond seulement aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée et aux cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés mis à la charge de la SCI Selim et que l'hypothèque de 34 884 euros correspond aux trois avis d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux mis à la charge de M. et Mme E... au titre des années 2011 et 2012. Si par un courriel du 1er avril 2021 et une lettre du 2 avril 2021, le comptable public a donné mainlevée de ces inscriptions hypothécaires, il est constant que M. et Mme E... ont reçu, le 19 juillet 2017, une mise en demeure de payer qui vise des majorations de 10 % de 1 398 euros et 1 178 euros au titre de l'impôt sur le revenu des années 2011 et 2012, et le 9 octobre 2018 un procès-verbal de carence qui mentionne une somme totale due de 37 346 euros incluant ces majorations. Ainsi, la mainlevée des inscriptions d'hypothèque ne saurait être regardée comme manifestant la renonciation de l'administration au recouvrement des pénalités et amendes fiscales dues par la SCI Selim, ainsi qu'à la somme de 2 462 euros (37 346 - 34 884) correspondant à la majoration de 10 % appliquée aux dettes d'impôt sur le revenu et de contributions sociales. Dans ces conditions, M. et Mme E... n'apportent pas la preuve d'un accord transactionnel au terme duquel l'administration aurait renoncé à recouvrer les pénalités et amendes fiscales mises à la charge de la SCI Selim, ainsi qu'une partie des pénalités mises à la charge des requérants au titre de l'impôt sur le revenu.
8. En quatrième et dernier lieu, M. et Mme E... ne démontrent pas les détournements de procédure et de pouvoir allégués.
En ce qui concerne la dette de la SCI Selim :
9. En premier lieu, d'une part, il résulte des saisies administratives à tiers détenteur du 9 avril 2021, qui visent les avis de mise en recouvrement du 25 mai 2018 notifiés à M. et Mme E... le 29 mai 2018, en leurs qualités d'associés de la SCI Selim sur le fondement de l'article 1857 du code civil, que ces saisies ne sont pas fondées sur les actes de cautionnement du 10 mai 2014. Par suite, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir de la nullité de ces actes de cautionnement.
10. D'autre part, aux termes de l'article 1857 du code civil : " A l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements. (...) ". Aux termes de l'article 1858 de ce code : " Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale. ".
11. Il résulte de l'instruction qu'une mise en demeure valant commandement de payer les impositions supplémentaires et les pénalités d'assiette a été notifiée à la SCI Selim le 19 juillet 2017. De plus, il résulte des recherches effectuées par l'administration le 6 décembre 2023 que les trois derniers comptes bancaires de la SCI Selim ont été clôturés les 18 juin 2016, 10 avril et 12 août 2017. Ainsi, l'administration a préalablement et vainement poursuivi la SCI Selim, avant d'adresser les saisies administratives à tiers détenteur concernant ses associés.
12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Les comptables publics des administrations fiscales qui n'ont fait aucune poursuite contre un redevable pendant quatre années consécutives à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l'envoi de l'avis de mise en recouvrement sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable. (...) ". Aux termes de l'article L. 277 de ce livre : " Le contribuable qui conteste le bien-fondé ou le montant des impositions mises à sa charge est autorisé, s'il en a expressément formulé la demande dans sa réclamation et précisé le montant ou les bases du dégrèvement auquel il estime avoir droit, à différer le paiement de la partie contestée de ces impositions et des pénalités y afférentes. L'exigibilité de la créance et la prescription de l'action en recouvrement sont suspendues jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été prise sur la réclamation soit par l'administration, soit par le tribunal compétent. (...) ". Selon le 3. de l'article L. 257-0 A du même livre, dans sa rédaction alors applicable : " La mise en demeure de payer interrompt la prescription de l'action en recouvrement. Elle peut être contestée dans les conditions prévues à l'article L. 281. ".
13. D'une part, il résulte de l'instruction que les deux avis de mise en recouvrement du 13 novembre 2013 relatifs aux pénalités correspondantes aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée et aux cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, ont été notifiés à la SCI Selim le 15 novembre 2013. L'action en recouvrement a été suspendue par la demande de sursis de paiement présentée dans le cadre de la réclamation de la SCI Selim du 20 janvier 2014, jusqu'à la décision du 24 mai 2017 rejetant cette réclamation. En outre, le délai de prescription a été interrompu par la mise en demeure de payer du 17 juillet 2017, qui vise les pénalités d'assiette et qui a été notifiée à la SCI Selim le 19 juillet suivant, et par celles notifiées aux deux associés de cette société le 29 mai 2018 qui visent les pénalités d'assiette. Enfin, les saisies administratives à tiers détenteur ont été notifiées à M. et Mme E... le 14 mai 2021.
14. D'autre part, les amendes fiscales dues par la SCI Selim au titre des années 2013 et 2014 ont été mises en recouvrement les 10 décembre 2014 et 30 septembre 2015. Le délai de prescription a été interrompu par les mises en demeure de payer qui visent ces amendes et qui ont été notifiées aux associés de la SCI Selim le 29 mai 2018. Les saisies administratives à tiers détenteur ont été notifiées à M. et Mme E... le 14 mai 2021. Dans ces conditions, le moyen tiré de la prescription de l'action en recouvrement doit être écarté.
15. En troisième et dernier lieu, il résulte des avis de mise en recouvrement des 13 novembre 2013, 10 décembre 2014 et 30 septembre 2015, que la SCI Selim était redevable de pénalités d'assiette pour un montant de 30 288 euros, et d'amendes fiscales pour un montant de 300 euros, soit un total de 30 588 euros. De plus, si les deux saisies administratives à tiers détenteur relatives à la dette de la SCI Selim ne poursuivent qu'une somme de 30 539,72 euros et non de 30 588 euros, c'est en raison de la réduction / paiement de 48,28 euros concernant une des deux amendes fiscales tel que cela ressort de ces actes de saisie. Ainsi, M. et Mme E... sont bien redevables en tant qu'associés de la SCI Selim de la somme de 30 539,72 euros au titre des pénalités et des amendes fiscales dues par cette société.
En ce qui concerne la dette personnelle de M. et Mme E... :
16. En premier lieu, les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, ainsi que les pénalités correspondantes, mises à la charge de M. et Mme E... au titre des années 2011 et 2012, ont été mises en recouvrement le 30 avril 2015. L'action en recouvrement a été suspendue par la demande de sursis de paiement présentée dans le cadre de la réclamation des requérants du 29 mai 2015, jusqu'à la décision du 7 juin 2017 rejetant cette réclamation. En outre, le délai de prescription a été interrompu par la mise en demeure de payer qui a été notifiée à M. et Mme E... le 19 juillet 2017 et qui vise les deux majorations de 10 %. Enfin, la saisie administrative à tiers détenteur a été notifiée à M. et Mme E... le 14 mai 2021. Dans ces conditions, le moyen tiré de la prescription de l'action en recouvrement doit être écarté.
17. En second lieu, il résulte de l'acte de saisie administrative à tiers détenteur du 9 avril 2021 qu'il a pour objet de recouvrir la majoration de 10 % au titre de l'impôt sur le revenu des années 2011 et 2012, et non ces impôts. M. et Mme E... ne sont dès lors pas fondés à soutenir qu'ils ont déjà réglé ces impôts sur le revenu par le prix de vente de leur maison.
18. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., Mme B... A... épouse E... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 2 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 septembre 2024.
Le rapporteur,
A. Porée
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY02806