Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L'université Lumière Lyon 2 a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner solidairement les sociétés ARTEO Construction, Projet Alu, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie, Chabanne Energétique et Qualiconsult à lui verser, d'une part, la somme de 419 488 euros TTC, assortie des intérêts de droit à compter du 27 janvier 2014, capitalisés, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, ou subsidiairement, sur celui de la responsabilité biennale et du défaut de conseil du maître d'œuvre, en réparation des désordres affectant l'isolation du bâtiment ICOM, et de mettre à la charge définitive des mêmes les frais et honoraires d'expertise liquidés à la somme de 31 719,60 euros.
Par jugement n° 1909455 du 24 mai 2022, le tribunal a, d'une part, condamné solidairement les sociétés ARTEO Construction, Projet Alu, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie et Qualiconsult, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, à lui verser la somme de 388 303,95 euros TTC, outre intérêts de droit à compter du 4 décembre 2019, capitalisés, d'autre part, condamné les sociétés Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie, Qualiconsult et Batimontage à se garantir mutuellement, à hauteur de 30 % pour la société Batimontage, 15 % pour la société Chabanne Architecte, 10 % pour la société Chabanne Ingénierie et 10 % pour la société Qualiconsult, des condamnations prononcées à leur encontre, a rejeté les conclusions d'appel en garantie de la société Batimontage dirigées contre la société ARTEO Construction comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, a mis à la charge des sociétés ARTEO Construction, Projet Alu, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie, Qualiconsult, Batimontage et société Façade Da Silva à lui verser les frais et honoraires d'expertise, à concurrence du partage de responsabilité déterminé au point 32 du jugement et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 25 juillet 2022, le 17 novembre 2022 et le 7 mai 2024, les sociétés Batimontage et Façade Da Silva, représentées par Me Jakob, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a condamné la société Batimontage à garantir les sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie des condamnations prononcées à leur encontre et a mis à leur charge les frais d'expertise à hauteur de, respectivement, 30 % et 20 % ;
2°) de rejeter les demandes d'appel en garantie et de mise à la charge des dépens présentées contre elles ;
3°) à titre subsidiaire, de réformer le jugement en ce qu'il a retenu des parts de responsabilité imputables à l'université Lumière Lyon 2, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie, Chabanne Energétique et à elles-mêmes de, respectivement, 5 %, 15 %, 10 %, 30 % et 20 %, de retenir une part de responsabilité imputable à l'université et aux sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie au moins égale à 80 % et de répartir le surplus entre les autres constructeurs ;
4°) de condamner les sociétés ARTEO Construction, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie, Chabanne Energétique et Qualiconsult à les relever et garantir de toute condamnation prononcée à leur encontre ;
5°) de mettre à la charge de l'université Lumière Lyon 2 la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le caractère décennal des désordres n'est pas démontré, dès lors que ceux-ci devaient être regardés comme apparents à la date de réception, en l'absence de réalisation des tests prévus, qu'ils ne concernaient qu'une partie du bâtiment et n'entraînaient pas une impropriété à destination du bâtiment ;
- les désordres sont entièrement imputables au fait du maître de l'ouvrage et à celui du maître d'œuvre ;
- leur responsabilité ne peut être engagée dès lors qu'elles n'ont commis aucune faute dans l'exécution des prestations qui leur étaient confiées ;
- les conclusions d'appel en garantie qu'elles ont formées à l'encontre de la société ARTEO Construction ne relèvent pas de la compétence du juge judiciaire.
Par mémoires enregistrés le 3 octobre 2022 et le 15 mai 2024, la société Chabanne Architecte, laquelle vient aux droits de la société Chabanne et Partners, et la société Chabanne Ingénierie, laquelle vient aux droits de la société Chabanne Energétique, représentées par Me Prudhon, demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête et la demande ;
2°) d'annuler les articles 2 à 5 du jugement ;
3°) à titre subsidiaire, de limiter leur part de responsabilité à 10% ;
4°) de condamner :
- les sociétés ARTEO Construction et son liquidateur judiciaire, la SELARL Jérôme Allais, Batimontage, Façade Da Silva et Qualiconsult à les garantir des condamnations prononcées à leur encontre s'agissant des défauts affectant la membrane d'étanchéité,
- les sociétés Projet Alu et son liquidateur, la SELAL MJ Synergie-Mandataires Judiciaires, ARTEO Construction, Batimontage et Façade Da Silva à les garantir des condamnations prononcées à leur encontre s'agissant des défauts affectant les menuiseries extérieures,
- les sociétés Rey et Qualiconsult à les garantir des condamnations prononcées à leur encontre s'agissant de l'installation de chauffage,
- les sociétés ARTEO Construction, Batimontage, Façade Da Silva, Qualiconsult, Rey, et Projet Alu à les garantir des condamnations prononcées à leur encontre au titre des autres préjudices.
5°) de mettre à la charge des sociétés Batimontage et Façade Da Silva et de tout autre succombant la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le caractère décennal des désordres n'est pas démontré, dès lors qu'ils ne concernaient qu'une partie du bâtiment et n'entraînaient pas une impropriété à destination ;
- les désordres relatifs au manque d'isolation sont imputables à l'université, laquelle, en s'abstenant de procéder aux tests, a commis une faute, et aux entreprises pour défaut d'exécution de leur mission ;
- la société Chabanne Partners, aux droits de laquelle est venue la société Chabanne Architecte, a accompli sa mission en rappelant les entreprises à leurs obligations au cours du chantier ; la société Chabanne Ingénierie, venant aux droits de la société Best, devenue ensuite KEO Ingénierie, dont la mission portait uniquement sur les lots fluides et structure, n'est pas responsable des désordres en litige ;
- les désordres relatifs aux menuiseries ne leur sont pas imputables dès lors que Chabanne Energétique et Chabanne Ingénierie n'étaient pas en charge des ouvertures et que Chabanne Architecte ne pouvait pas vérifier l'ensemble des calages des menuiseries extérieures dans le cadre de sa mission de direction des travaux ;
- les désordres résultant du sous-dimensionnement de l'installation de chauffage ne leur sont pas imputables dès lors que Chabanne Energétique et Chabanne Architecte n'étaient pas en charge du chauffage et que Chabanne Ingénierie ne pouvait pas anticiper les désordres résultant de défauts d'exécution par les entreprises ; à tout le moins, le titulaire du lot chauffage, la société Rey, aurait dû attirer l'attention de la maîtrise d'œuvre sur la nécessité de prévoir une surpuissance de 20 à 30 % ;
- les conclusions incidentes de l'université doivent être rejetées, dès lors que la garantie de bon fonctionnement n'était pas applicable à la membrane d'étanchéité SOPRATEC qui n'est pas un élément dissociable de l'ouvrage ; de même, la responsabilité contractuelle de la maîtrise d'œuvre pour défaut de conseil lors des opérations de réception des travaux ne peut pas être engagée, les désordres n'étant pas apparents à la date de réception et l'université étant assistée de ses services techniques ;
- les sociétés ARTEO Construction et son liquidateur judiciaire, la SELARL Jérôme Allais, Batimontage, Façade Da Silva et Qualiconsult doivent les garantir des condamnations prononcées à leur encontre s'agissant des défauts affectant la membrane d'étanchéité dès lors qu'ils ont pour origine principale des malfaçons commises par les entreprises et que la société Qualiconsult, au titre de sa mission TH, devait donner un avis sur l'isolation thermique ;
- les sociétés Projet Alu et son liquidateur, la SELARL MJ Synergie-Mandataires Judiciaires, ARTEO Construction, Batimontage et Façade Da Silva doivent les garantir des condamnations prononcées à leur encontre s'agissant des défauts affectant les menuiseries extérieures qui ont pour origine des défauts ponctuels d'exécution imputables à la société Projet Alu, la société ARTEO ayant manqué à son devoir de coordination et les sociétés Batimontage et Façade Da Silva étant mises en cause par l'expertise ;
- les sociétés Rey et Qualiconsult doivent les garantir des condamnations prononcées à leur encontre s'agissant du sous-dimensionnement de l'installation de chauffage ; la société Rey aurait dû, au titre de son devoir de conseil, attirer l'attention de la maîtrise d'œuvre sur la surpuissance insuffisante de l'installation de chauffage et la société Qualiconsult au titre de ses missions TH et F aurait dû émettre des observations ;
- les autres condamnations, les dépenses et les frais de l'instance doivent être partagés entre les coresponsables à hauteur de leurs parts de responsabilité finales ;
- les parties devront assumer en vertu de l'article 1317 alinéa 2 du code civil les conséquences de la défaillance des sociétés ARTEO Construction, Projet Alu et Façade Da Silva.
Par mémoires enregistrés le 7 octobre 2022 et le 23 avril 2024, la société Qualiconsult, représentée par Me Tetreau, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) par la voie de l'appel provoqué, de réformer le jugement en tant qu'il l'a condamnée à indemniser le maître de l'ouvrage, à titre subsidiaire, de limiter sa part de responsabilité à 5 % ;
2°) par la voie de l'appel incident et de l'appel provoqué, de condamner les sociétés ARTEO Construction, Projet Alu, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie et Chabanne Energétique à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;
3°) de condamner l'université Lumière Lyon 2 à lui rembourser les sommes réglées au titre de l'exécution provisoire, soit les sommes de 58 525 euros, 295,95 euros et 4 227,22 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'université Lumière Lyon 2 la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le caractère décennal des désordres n'est pas démontré, dès lors que ceux-ci devaient être regardés comme apparents à la date de réception, en l'absence de réalisation des tests prévus, qu'ils ne concernaient qu'une partie du bâtiment et n'entraînaient pas une impropriété à destination du bâtiment ;
- elle n'encourt aucune responsabilité, dès lors qu'elle n'avait aucun pouvoir de vérification de la bonne exécution des travaux ;
- elle n'a commis aucune faute dès lors que le maître de l'ouvrage ne lui a pas communiqué les résultats des tests ;
- la part de responsabilité du maître de l'ouvrage doit être portée à 10 % ;
- les sociétés ARTEO Construction, Projet Alu, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie et Chabanne Energétique doivent la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;
- elle demande que les sommes réglées dans le cadre de l'exécution du jugement lui soient remboursées.
Par mémoires enregistrés le 23 avril 2024 et le 6 août 2024, l'université Lumière Lyon 2, représentée par le cabinet Paillat Conti et Bory, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) à titre subsidiaire, et par la voie de l'appel incident et de l'appel provoqué :
- de réformer le jugement en tant qu'il a exclu de la cause des désordres le défaut de surpuissance de la production de chauffage, qu'il a tenu compte d'une faute exonératoire du maître de l'ouvrage de 5 % et retenu au titre de son préjudice un montant erroné de 408 741 euros TTC au lieu de 408 921 euros TTC ;
- de condamner solidairement les sociétés ARTEO Construction, Projet Alu, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie et Qualiconsult au titre de la garantie décennale à lui verser la somme de 31 081,05 euros, outre intérêts au taux de droit à compter du 4 décembre 2019, capitalisés au 4 décembre 2020 ;
- à titre encore plus subsidiaire, de condamner solidairement les sociétés Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie et Qualiconsult en raison du manquement à leur devoir de conseil, ou, à défaut, les sociétés ARTEO Construction, Projet Alu, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie et Qualiconsult sur le fondement de la garantie de bon fonctionnement des éléments d'équipement de l'ouvrage, à lui verser la somme de 409 627 euros au titre des travaux rendus nécessaires pour remédier aux désordres et la somme de 9 861 euros au titre des solutions provisoires mises en œuvre, assorties des intérêts de droit à compter du 4 décembre 2019, capitalisés à compter du 4 décembre 2020 ;
2°) de mettre à la charge des sociétés ARTEO Construction, Projet Alu, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie et Qualiconsult la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les désordres présentent bien un caractère décennal ;
- ils sont imputables aux sociétés Batimontage et Façade Da Silva intervenant en qualité de sous-traitantes dans le cadre du lot n° 2, au groupement de maîtrise d'œuvre qui est responsable in solidum et à la société Qualiconsult au titre de la mission F relative au fonctionnement des installations et la mission Th relative à l'isolation thermique et aux économies d'énergie ;
- elle n'a commis aucune faute exonératoire de responsabilité ;
- par la voie de l'appel incident, elle demande que le jugement attaqué soit partiellement réformé en ce qu'il a retenu une part de responsabilité du maître de l'ouvrage à hauteur de 5 %, qu'il a estimé que le défaut de surpuissance de la production de chauffage installée n'expliquait pas par lui-même les désordres affectant le bâtiment et en ce qu'il a retenu la somme de 408 741 euros TTC au lieu de la somme de 408 921 euros TTC telle qu'elle ressort du rapport d'expertise ;
- à titre subsidiaire, le groupement de maîtrise d'œuvre et le contrôleur technique engagent leur responsabilité contractuelle pour manquement à leur devoir de conseil ;
- à titre encore plus subsidiaire, elle est fondée à engager la responsabilité des constructeurs sur la base des principes dont s'inspire l'article 1792-3 du code civil, consacrant une obligation de garantie de bon fonctionnement des éléments d'équipement de l'ouvrage, d'une durée minimale de deux ans à compter de sa réception ;
- contrairement à ce qui a été retenu par le tribunal, le préjudice tenant à la modification à apporter aux pompes à chaleur apparaît bien en lien direct avec les difficultés thermiques.
Par un courrier du 23 juillet 2024, les parties ont été informées en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative de ce que la cour était susceptible de relever d'office :
- l'irrecevabilité des conclusions d'appel provoqué présentées par la société Qualiconsult à l'encontre de l'université Lumière Lyon 2 et des sociétés Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie, Chabanne Energétique et ARTEO Construction, dans l'hypothèse où sa situation ne serait pas aggravée à l'issue de l'examen de l'appel principal ;
- l'irrecevabilité des conclusions d'appel provoqué présentées par l'université Lumière Lyon 2 à l'encontre des sociétés Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie, ARTEO Construction, Projet Alu et Qualiconsult, dans l'hypothèse où sa situation ne serait pas aggravée à l'issue de l'examen de l'appel principal.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Evrard,
- les conclusions de Mme Psilakis, rapporteure publique, désignée en application de l'article R 222-24 du code de justice administrative ;
- les observations de Me Jacob pour la société Batimontage et la société Façade Da Silva, et celles de Me Delmotte pour l'université Lumière Lyon 2.
Considérant ce qui suit :
1. Pour la construction d'un bâtiment universitaire dédié au pôle d'excellence Communication, Image numérique et informatique décisionnelle sur le campus de Bron, l'université Lumière Lyon 2 a conclu, selon acte d'engagement du 20 avril 2012, un marché avec un groupement de maîtrise d'œuvre constitué de la société Chabanne et Partenaires, aux droits de laquelle est venue la société Chabanne Architecte, mandataire, de la société BEST aux droits de laquelle sont venues successivement les sociétés KEO Ingénierie puis Chabanne Ingénierie, et de la société Ingénierie de la nature et de l'environnement, aux droits de laquelle sont venues successivement les sociétés KEO Fluides puis Chabanne Energétique. Les travaux du lot n° 2 Clos-Couvert ont été confiés, par acte d'engagement du 24 juin 2013, à un groupement constitué de la société ARTEO Construction, mandataire, de la société Art Beton et de la société Projet Alu. La société ARTEO Construction a sous-traité ses missions à la société Batimontage, laquelle a elle-même fait appel en tant que sous-traitante à la société Façade Da Silva. Les travaux du lot n° 8 Chauffage-Ventilation-Climatisation, Plomberie et Sanitaires ont été confiés, par acte d'engagement du 17 avril 2013, à la société Rey. Le contrôle technique a été assuré par la société Qualiconsult. Les travaux ont été réceptionnés le 18 février 2015, avec l'émission de réserves dont il est constant qu'elles étaient étrangères aux désordres en litige et qui ont été levées le 27 janvier 2016. Des défauts d'étanchéité à l'air du bâtiment provoquant des courants d'air et une baisse de température des locaux se sont manifestés dès l'hiver 2015. Un expert judiciaire a été désigné aux fins d'en déterminer la cause et de proposer les travaux en vue d'y remédier.
2. Se prévalant des conclusions de l'expertise, l'université Lumière Lyon 2 a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner solidairement les sociétés ARTEO Construction, Projet Alu, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie, Chabanne Energétique et Qualiconsult à lui verser, d'une part, la somme de 419 488 euros TTC, assortie des intérêts de droit à compter du 27 janvier 2014, capitalisés, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, subsidiairement sur celui de la responsabilité biennale des constructeurs et pour défaut de conseil du maître d'œuvre, outre mise à la charge des dépens.
3. Par jugement du 24 mai 2022, le tribunal a condamné solidairement les sociétés ARTEO Construction, Projet Alu, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie et Qualiconsult, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, à lui verser la somme de 388 303,95 euros TTC, assortie des intérêts de droit à compter du 4 décembre 2019 et de la capitalisation de ces intérêts. Il a en outre condamné les sociétés Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie, Qualiconsult et Batimontage à se garantir mutuellement des condamnations prononcées à leur encontre, à hauteur de 30 % pour la société Batimontage, 15 % pour la société Chabanne Architecte, 10 % pour la société Chabanne Ingénierie et 10 % pour la société Qualiconsult, après avoir retenu une faute exonératoire du maître de l'ouvrage à hauteur de 5 %. Enfin, le tribunal a rejeté les conclusions d'appel en garantie de la société Batimontage dirigées contre la société ARTEO Construction comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, condamné les sociétés ARTEO Construction, Projet Alu, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie, Qualiconsult, Batimontage et société Façade Da Silva à supporter les frais d'expertise liquidés à la somme de 31 719,60 euros, selon la clé de répartition exposée au point 32 du jugement, et rejeté le surplus des conclusions des parties. Les sociétés Batimontage et Façade Da Silva relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a condamné la société Batimontage à garantir les sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie des condamnations prononcées à leur encontre et a mis à leur charge les frais d'expertise à hauteur de, respectivement, 30 % et 20 %. L'université Lumière Lyon 2 conclut, à titre incident, à la réformation de ce jugement en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à sa demande. Les sociétés Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie et Qualiconsult présentent des conclusions d'appel provoqué.
Sur l'appel principal :
4. D'une part, il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. D'autre part, le constructeur appelé en garantie peut invoquer tous moyens relatifs au principe et au montant de la condamnation qu'il lui est demandé de garantir. A ce titre, il peut utilement soutenir que les désordres que le constructeur qui l'appelle en garantie a été condamné à indemniser ne relevaient pas de la responsabilité décennale invoquée par le maître de l'ouvrage.
5. Il est constant que l'université Lumière Lyon 2 n'a effectué, avant la réception de l'ouvrage, aucun test par fumigène qui aurait permis de vérifier visuellement l'étanchéité du dispositif d'isolation du bâtiment alors qu'elle s'était expressément réservé, ainsi qu'il résulte de l'article 00 28 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) commun à tous les lots et du CCTP applicable spécifiquement aux travaux du lot n° 2, la faculté de faire réaliser de tels tests tant au cours du chantier qu'à la réception de l'ouvrage. En outre, il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise, que compte tenu de la nature et de l'importance des désordres, lesquels induisent des entrées d'air d'un volume trois fois supérieur à celui toléré, la réalisation de ces tests, au demeurant assez simples, aurait nécessairement mis en évidence les défauts d'isolation du dispositif, lesquels étaient aisément décelables mais ne pouvaient l'être que par le biais de tests. Dans de telles conditions, l'université Lumière Lyon 2, qui était avertie, pour les avoir imposées, des contraintes liées à la perméabilité à l'air ainsi que des aléas qui pesaient sur la réalisation technique de l'isolation des façades et des ouvertures, et de la vigilance à apporter à son isolation en vue du respect de la limitation de la consommation énergétique, n'a pas pris, en s'abstenant de procéder à une quelconque mesure de l'étanchéité à l'air de l'ouvrage avant sa réception, les mesures s'imposant à un maître de l'ouvrage normalement précautionneux.
6. Il en résulte que les sociétés Batimontage et Façade Da Silva sont fondées à soutenir que les désordres en cause pouvaient être regardés comme apparents dans toute leur ampleur à la date de réception de l'ouvrage.
7. Les sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie n'étant pas redevables de la garantie décennale à raison de la réception sans réserve de l'ouvrage affecté de malfaçons apparentes, la société Batimontage est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamnée à garantir, à hauteur de 30 %, ces sociétés de la condamnation prononcée à leur encontre sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs.
Sur les conclusions d'appel incident des sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie :
8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 que les sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie ne sont pas fondées à se plaindre de ce que le tribunal a limité la condamnation de la société Batimontage à les garantir de la condamnation prononcée à leur encontre à hauteur de 30 % du montant de cette dernière et que leurs conclusions tendant à ce que la société Batimontage les garantisse intégralement des condamnations prononcées à leur encontre doivent être rejetées.
Sur les conclusions d'appel provoqué de l'université Lumière Lyon 2 à l'encontre des sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie, ARTEO Construction, Projet Alu et Qualiconsult :
9. Si l'université Lumière Lyon 2 demande que les sociétés ARTEO Construction, Projet Alu, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie et Qualiconsult soient condamnées, d'une part, au titre de la garantie décennale, à l'indemniser des travaux rendus nécessaires par la modification des pompes à chaleur, et, d'autre part, au titre de la responsabilité contractuelle des constructeurs, à réparer les malfaçons affectant l'ouvrage, de telles conclusions, sont, en l'absence d'aggravation de sa situation après examen de l'appel principal, irrecevables et ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
Sur les conclusions d'appel provoqué des sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie à l'encontre de l'université Lumière Lyon 2 :
10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 que les sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal les a condamnées à verser à l'université Lumière Lyon 2 la somme de 388 303,95 euros TTC assortie des intérêts de droit, capitalisés, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs.
11. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par l'université Lumière Lyon 2 devant le tribunal et devant la cour.
12. Aux termes de l'article 1792 du code civil : " Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître (...), des dommages (...) qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère ", et aux termes de l'article 1792-2 du même code : " La présomption de responsabilité établie par l'article 1792 s'étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages (...) d'ossature, de clos ou de couvert (...) ". Enfin, aux termes de l'article 1792-3 du même code : " Les autres éléments d'équipement de l'ouvrage font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée minimale de deux ans à compter de sa réception ".
13. Il résulte de l'instruction, et, notamment du rapport d'expertise, que le bâtiment en litige présente une perméabilité à l'air au niveau de la membrane de couverture et des fenêtres, et que la reprise de ces désordres implique le remplacement de cette membrane et des ouvertures, lesquelles constituent des éléments d'équipement indissociables de l'ouvrage. Par suite, les conclusions de l'université Lumière Lyon 2 tendant à ce que les sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie soient condamnées à l'indemniser sur le fondement de la garantie biennale de bon fonctionnement ne peuvent qu'être rejetées.
14. En revanche, la responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Ce devoir de conseil implique que le maître d'œuvre signale au maître d'ouvrage toute non-conformité de l'ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l'art et aux normes qui lui sont applicables, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l'ouvrage.
15. Aux termes de l'article 21 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché de maîtrise d'œuvre : " (...) Il [le maître d'œuvre] est tenu de faire respecter par l'entreprise l'ensemble des stipulations du marché de travaux et ne peut y apporter aucune modification ". Et selon l'article de ce CCAP relatif au développement des missions de maîtrise d'œuvre, la direction de l'exécution des contrats de travaux implique, notamment, un contrôle de la conformité de la réalisation à partir du tableau de bord établi avec la maîtrise d'ouvrage lors du projet, et, plus particulièrement, un examen de la conformité des ouvrages aux prescriptions des contrats, ce contrôle devant se faire " au fur et à mesure de l'exécution des travaux, de façon à permettre des corrections éventuelles immédiates ", le CCTP applicable au lot n° 2 lui attribuant en outre, concurremment au maître de l'ouvrage, la faculté de prescrire des tests d'étanchéité à l'air.
16. Il résulte de l'instruction que les sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie, chargées d'une mission d'assistance au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception, se sont abstenues de prescrire la réalisation de tests d'étanchéité alors que le maître d'ouvrage n'avait pas pris d'initiative en ce sens et qu'elles ne pouvaient ignorer les risques que comportait une réception sans vérification du dispositif d'isolation et se devaient d'attirer l'attention de l'université sur les conséquences d'une telle négligence. Dans ces conditions, l'université Lumière Lyon 2 est fondée à soutenir que les sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie ont commis une faute au regard de leur obligation d'assistance aux opérations de réception l'ayant privée de la possibilité d'exiger du titulaire du lot n° 2 qu'il reprenne les malfaçons sur le fondement de ses engagements contractuels, justifiant qu'elles-mêmes soient condamnées à réparer les désordres affectant l'ouvrage. Par voie de conséquence les sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie ne sont pas fondées à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal les a condamnées à indemniser le maître de l'ouvrage des travaux rendus nécessaires par la reprise des désordres. Les conclusions de leur appel provoqué doivent être rejetées.
Sur les conclusions d'appel provoqué des sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie à l'encontre des sociétés ARTEO Construction, Batimontage, Façade Da Silva, Qualiconsult et Rey :
17. A supposer que les désordres aient pour origine des manquements des sociétés ARTEO Construction, Batimontage, Façade Da Silva, Qualiconsult et Rey à leurs obligations contractuelles, le préjudice qui est résulté pour l'université Lumière Lyon 2 de la réception de l'ouvrage sans réserve quant aux vices affectant l'isolation du bâtiment n'est pas directement imputable à de tels manquements dès lors que ces fautes au regard des règles de l'art n'ont pas fait obstacle à ce qu'elles conseillent utilement le maître de l'ouvrage quant aux précautions à prendre pour s'assurer de l'étanchéité à l'air du bâtiment. Dans ces conditions, les sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie ne sont pas fondées à se plaindre de ce que le tribunal n'a pas condamné ces constructeurs à supporter la réparation de l'intégralité des désordres.
Sur les conclusions d'appel provoqué de la société Qualiconsult à l'encontre de l'université Lumière Lyon 2 et des sociétés ARTEO Construction, Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie :
18. Les conclusions de la société Qualiconsult à l'encontre de l'université Lumière Lyon 2 et des sociétés ARTEO Construction, Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie, sont, en l'absence d'aggravation de sa situation après examen de l'appel principal, irrecevables et ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
Sur les dépens :
19. Il résulte en outre de ce qui a été dit aux points 6 et 7 que les sociétés Batimontage et Façade Da Silva sont fondées à demander que les conclusions de l'université Lumière Lyon 2 tendant à ce qu'elles soient condamnées, solidairement avec les autres constructeurs, aux dépens doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de répartir la part de 50 % des dépens mise à leur charge par le tribunal, entre les sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie, ce qui porte la part respective de ces sociétés à supporter les dépens à 40 % et 35 % et le jugement attaqué doit être réformé dans cette mesure.
Sur les frais liés à l'instance :
20. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés par elles et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 3 du jugement n° 1909455 du tribunal administratif de Lyon du 24 mai 2022 est annulé en tant qu'il condamne la société Batimontage à garantir les sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie à hauteur de 30 % des condamnations prononcées à leur encontre et les conclusions d'appel en garantie des sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie dirigées contre la société Batimontage sont rejetées.
Article 2 : L'article 4 de ce jugement est annulé en tant qu'il condamne les sociétés Batimontage et Façade Da Silva aux dépens.
Article 3 : La part des dépens supportée respectivement par les sociétés Chabanne Architecte et Chabanne Ingénierie est portée à 40 % et 35 %.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Batimontage, Façade Da Silva, Chabanne Architecte, Chabanne Ingénierie, Chabanne Energétique, Qualiconsult, Projet Alu et Rey, Me Allais, liquidateur de la société ARTEO Construction et à l'université Lumière Lyon 2.
Délibéré après l'audience du 29 août 2024 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
M. Savouré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2024.
La rapporteure,
A. Evrard
Le président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
N. Vanduynslaeger
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, en ce qui les concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY02261