Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 15 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier Vallée de la Maurienne l'a suspendue sans traitement à compter du même jour.
Par un jugement n° 2107692 du 22 mai 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Bessy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 mai 2023 ;
2°) d'annuler la décision de suspension du 15 septembre 2021 ;
3°) d'enjoindre au centre hospitalier Vallée de la Maurienne de lui verser les traitements dont elle a été privée du 15 septembre 2021 au 15 mai 2023, soit la somme totale de 39 771,81 euros, et de reconstituer sa carrière s'agissant notamment de la détermination de la durée des congés payés ainsi que des droits acquis au titre de son ancienneté, dans un délai de sept jours à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier Vallée de la Maurienne une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'infirmier exerçant sans être inscrit au tableau de l'Ordre s'expose seulement à des poursuites pénales et l'employeur ne peut suspendre une personne titulaire d'un contrat illégal ; la décision de suspension découle de son contrat de travail et elle était donc légitime à en demander l'annulation ;
- la mesure de suspension sans traitement prononcée à son encontre est assimilable à une exclusion temporaire de fonctions prise sans avoir respecté la procédure disciplinaire, et notamment les garanties liées à la communication du dossier, au contradictoire et à la réunion du conseil de discipline ;
- la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire lui impose de participer à un essai clinique ; le vaccin qui est en phase III a seulement obtenu une autorisation de mise sur le marché délivrée de façon conditionnelle ;
- elle n'a pas donné son consentement libre et éclairé, en méconnaissance des articles L. 1111-4, L. 1122-1, L. 1122-1-1, L. 1126-1 et L. 1121-2 du code de la santé publique, des articles 16 et 16-1 du code civil, du 1er alinéa de l'article 225-1 du code pénal, des articles 1 et 3 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 5 de la convention d'Oviedo, des articles 3 et 6 de la déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme, des articles 22 à 31 de la déclaration d'Helsinki de l'Association médicale mondiale, du " code de Nuremberg ", du j de l'article 2 et des d) et e) de l'article 3 de la directive du 4 avril 2001 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l'application de bonnes pratiques cliniques dans la conduite d'essais cliniques de médicaments à usage humain ;
- la loi du 5 août 2021 méconnaît en outre l'article 7 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- elle méconnaît le principe de non-discrimination consacré à l'article 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et repris par le règlement n°2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021 ;
- l'obligation vaccinale prévue par cette loi constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'obligation vaccinale méconnaît l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et la liberté d'entreprendre ;
- la décision de suspension sans traitement est disproportionnée au regard du but recherché dès lors que le vaccin n'empêche pas la propagation du virus, que ses effets indésirables sont nombreux, mal connus et potentiellement graves alors que le taux de mortalité de la covid-19 est très faible ; au demeurant, l'agence régionale de santé a publié une note le 18 janvier 2022 relative à la conduite à tenir pour les soignants vaccinés et positifs à la covid-19, qui peuvent continuer à travailler ;
- la décision de suspension sans traitement, qui présente un caractère fautif, lui a causé un préjudice financier et un préjudice moral.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2023, le centre hospitalier Vallée de la Maurienne, représenté par Me Vivien, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-l du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les conclusions à fin d'indemnisation présentées par la requérante sont irrecevables et en tout état de cause non fondées ;
- les moyens présentés par Mme A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Lordonné, rapporteure publique,
- les observations de Me Bessy, représentant Mme A..., et celles de Me Vivien représentant le centre hospitalier Vallée de la Maurienne.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., infirmière au sein du centre hospitalier Vallée de la Maurienne, a fait l'objet d'une décision du 15 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier l'a suspendue sans traitement de ses fonctions à compter du même jour jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination contre la covid-19 ou de contre-indication à la vaccination. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté, comme irrecevable, sa demande d'annulation de cette décision.
Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires :
2. Ainsi que le centre hospitalier Vallée de la Maurienne l'oppose, les conclusions indemnitaires présentées par Mme A... pour la première fois devant la cour, qui n'ont pas été soumises aux premiers juges, ont le caractère de conclusions nouvelles en cause d'appel et sont, par suite, irrecevables.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Selon l'article L. 4311-1 du code de la santé publique, dans sa version applicable au litige, est considérée comme exerçant la profession d'infirmier toute personne qui donne habituellement des soins infirmiers sur prescription ou conseil médical, ou en application du rôle propre qui lui est dévolu. L'article L. 4311-2 du même code fixe les conditions de diplôme requises à l'exercice de la profession et les dispositions du 6ème alinéa de l'article L. 4311-15 de ce code prévoient, en outre, que : " Nul ne peut exercer la profession d'infirmier s'il n'a pas satisfait à l'obligation [d'enregistrement] prévue au premier alinéa et s'il n'est pas inscrit au tableau de l'ordre des infirmiers. (...) ". Les dispositions de l'article L. 4311-15 du code de la santé publique distinguent l'enregistrement des professionnels de santé, auquel ceux-ci doivent eux-mêmes procéder, de la procédure d'inscription au tableau de l'ordre des infirmiers qui permet à l'ordre national des infirmiers d'obtenir communication des listes nominatives des infirmiers employés par des structures publiques ou privées directement auprès de celles-ci. Le décret n° 2018-596 du 10 juillet 2018 relatif à l'établissement des listes nominatives des infirmiers et des pédicures-podologues salariés en vue de leur inscription au tableau de l'ordre a défini, comme l'exigeaient les dispositions du neuvième alinéa de l'article L. 4311-15 du code de la santé publique, les modalités de l'inscription automatique des infirmiers au tableau de leur ordre professionnel.
4. La seule circonstance retenue par les premiers juges, que Mme A..., dont il n'est par ailleurs pas contesté qu'elle est titulaire des diplômes nécessaires à l'exercice de sa profession d'infirmière, exerçait ses fonctions de manière illégale en raison de son absence d'inscription au tableau de l'ordre des infirmiers, n'est pas de nature à la priver d'intérêt pour contester la décision dont elle est directement destinataire, portant suspension de ses fonctions d'infirmière au motif du défaut de production d'un justificatif de vaccination contre la covid-19 ou de contre-indication à la vaccination. Ainsi, en estimant que la requérante ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre de cette décision, le tribunal administratif de Grenoble a entaché son jugement d'irrégularité. Par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, Mme A... est fondée à demander l'annulation de ce jugement.
5. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer Mme A... devant le tribunal administratif de Grenoble pour qu'il soit à nouveau statué sur sa demande.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, la somme que le centre hospitalier Vallée de la Maurienne demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier Vallée de la Maurienne une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme A....
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 22 mai 2023 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Grenoble.
Article 3 : Le centre hospitalier Vallée de la Maurienne versera à Mme A... une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du centre hospitalier Vallée de la Maurienne tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au centre hospitalier Vallée de la Maurienne.
Délibéré après l'audience du 3 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 septembre 2024.
La rapporteure,
Emilie FelmyLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Michèle Daval
La République mande et ordonne au préfet de la Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY02398