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15/07/2024 | FRANCE | N°23LY02868

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 15 juillet 2024, 23LY02868


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 22 décembre 2022 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et d'enjoindre au préfet, dans un délai de 8 jours à compter de la notification du jugeme

nt et sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour ou, à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 22 décembre 2022 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et d'enjoindre au préfet, dans un délai de 8 jours à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation.

Par un jugement n° 2208570 du 6 février 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 septembre 2023, M. C... D..., représenté par Me Passet, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2208570 du 6 février 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) d'annuler les décisions du 22 décembre 2022 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à Me Passet en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement du 6 février 2023 est irrégulier dès lors qu'il n'est pas suffisamment motivé ;

Sur l'obligation de quitter le territoire :

- cette décision a été prise en violation de son droit à être entendu, tel que reconnu par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- elle est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle méconnait les dispositions des articles L. 423-23 et L 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- cette décision est dépourvue de base légale à raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire ;

- elle entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et la durée de l'interdiction de retour est disproportionnée au regard de sa situation personnelle et familiale.

Le préfet de la Haute-Savoie, régulièrement mis en cause, n'a pas produit.

Par une décision du 9 août 2023, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, conclue à Rome le 4 novembre 1950 ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, complété par un protocole, deux échanges de lettres et une annexe, modifié, signé à Alger le 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant algérien né le 12 juin 1988, est entré en France le 21 octobre 2017 sous couvert de son passeport revêtu d'un visa court séjour. Par un arrêté du 22 décembre 2022, le préfet de la Haute-Savoie l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par le jugement attaqué du 6 février 2023, dont M. B... interjette appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur la régularité du jugement :

2. En indiquant que l'arrêté attaqué du 22 décembre 2022 énonçait les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde et était ainsi suffisamment motivé, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a suffisamment motivé le rejet du moyen tiré de l'insuffisance de motivation des décisions contestées. Par suite le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire :

3. En premier lieu, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, au sens de l'article 41, 2°, a) de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été entendu par les services de police, le 22 décembre 2022, à la suite de son interpellation. Selon le procès-verbal produit au dossier, il a été interrogé sur sa situation administrative, professionnelle et familiale en France, ainsi que sur les motifs pouvant faire obstacle à un retour en Algérie. Si le requérant se prévaut de sa relation avec une ressortissante française, il ressort des termes du procès-verbal qu'il n'en a pas fait état lors de son audition et ne fait valoir aucun élément de nature à justifier qu'il en aurait été empêché. En tout état de cause, il ne justifie d'aucun élément qui, s'il avait été connu de l'administration, aurait pu faire obstacle à la mesure d'éloignement en litige. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.

5. En deuxième lieu, l'arrêté contesté, qui vise les dispositions sur lesquelles il se fonde, notamment l'article L. 611-1 4° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, indique que la demande d'asile de M. B... a été définitivement rejetée par les organismes compétents et qu'en application des dispositions de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ne bénéficiait plus d'aucun droit à se maintenir sur le territoire français. Il précise qu'il n'est pas porté d'atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors qu'il est sans charge de famille en France et n'établit pas être dépourvu de toute attache en Algérie où il a vécu jusqu'à l'âge de 29 ans et où réside sa mère. Dans ses conditions, quand bien même cet arrêté ne mentionne pas les expériences professionnelles de M. B... en France ou la circonstance qu'il entretient une relation avec une ressortissante française, situation au demeurant non portée à la connaissance du préfet, il énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles se fonde la décision contestée. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit être écarté.

6. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient M B..., il ne ressort ni des termes de la décision contestée, ni des pièces du dossier que le préfet de la Haute-Savoie n'aurait pas procédé à un examen sérieux de sa situation personnelle avant de prononcer à son encontre une obligation de quitter le territoire français.

7. En quatrième lieu, le droit au séjour des ressortissants algériens étant entièrement régi par l'accord franco-algérien susvisé, M. B... n'est pas fondé à invoquer les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne lui sont pas applicables.

8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui.".

9. M. B... fait valoir qu'il est présent en France depuis le 23 octobre 2017, qu'il exerçait une activité professionnelle à la date de la décision contestée et qu'il entretenait, à cette date, une relation avec une ressortissante française avec laquelle il s'est marié le 10 mai 2023. Cependant, il ressort des pièces du dossier que la demande d'asile présentée par M. B... a été définitivement rejetée le 22 août 2019 et qu'il a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement le 21 octobre 2019, devenue définitive, qui n'a pas été exécutée. S'il a occupé un emploi en qualité d'homme de ménage sous couvert de contrats à durée déterminée pour les périodes du 14 août 2021 au 10 novembre 2021, du 9 avril 2022 au 4 novembre 2022, puis du 1er décembre 2022 au 3 avril 2022, et disposait d'un contrat à durée déterminée pour un emploi saisonnier du 5 décembre 2022 au 2 avril 2023, ces circonstances ne sont pas de nature à établir une insertion professionnelle particulière et durable en France. S'il produit une facture EDF du 16 février 2023 et un acte de mariage du 10 mai 2023, ces documents, qui sont postérieurs à la décision contestée, ne sont pas de nature à établir qu'il entretenait, à la date où la décision en litige est intervenue, une relation stable et durable avec une ressortissante française. Enfin M. B... ne conteste pas disposer d'attaches familiales et personnelles en Algérie, pays où il a résidé jusqu'à 29 ans et où vit sa mère. Dans ces conditions, et eu égard aux conditions de séjour en France de l'intéressé, la décision en litige ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, par suite, être écarté.

10. En sixième lieu pour les mêmes motifs qu'exposés au point précédent, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entachée la décision en litige doit également être écarté.

En ce qui concerne la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an :

11. En premier lieu, compte-tenu de ce qui a été précédemment exposé, le requérant n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français au soutien de ses conclusions à fin d'annulation dirigées contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.

12. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".

13. Dès lors que M. B..., qui ne fait valoir aucune circonstance humanitaire, a fait l'objet d'une mesure d'éloignement pour laquelle aucun délai de départ volontaire ne lui a été accordé, le préfet de la Haute-Savoie pouvait légalement prendre à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français. Par ailleurs, il résulte de ce qui a été précédemment exposé, notamment au point 9 du présent arrêt, que l'intéressé ne justifie ni de l'intensité ou de la stabilité de ses liens personnels et familiaux sur le territoire français, ni d'une insertion professionnelle durable à la date de l'arrêté contesté. Dans ces circonstances, le préfet de la Haute-Savoie pouvait prendre à son encontre une décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an sans commettre aucune erreur d'appréciation ni sur le principe de la mesure d'interdiction ni sur sa durée.

14. Eu égard à ce qui précède, en se bornant à invoquer les circonstances qu'il est présent en France depuis octobre 2017, entretiendrait une relation stable avec une ressortissante française avec laquelle il s'est marié en mai 2023, postérieurement à la décision litigieuse, et n'aurait jamais constitué une menace à l'ordre publique, M. B... n'est pas fondé à soutenir que cette décision serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions du 22 décembre 2022 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.

Délibéré après l'audience du 1er juillet 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juillet 2024.

La rapporteure,

E. Vergnaud

Le président,

F. Pourny

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY02868


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02868
Date de la décision : 15/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Edwige VERGNAUD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : PASSET

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-15;23ly02868 ?
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