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15/07/2024 | FRANCE | N°23LY00989

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 15 juillet 2024, 23LY00989


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



La fondation Association du Rhône pour l'hygiène mentale (ARHM) a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la société Enedis à lui verser la somme de 314 517,57 euros en réparation du préjudice que lui a causé l'implantation d'un support de ligne à haute tension sur une parcelle lui appartenant sur le territoire de la commune de Dardilly.



Par un jugement n° 2105704 du 17 janvier 2023, le tribunal administratif de Lyon a condamné l

a société Enedis à verser à la fondation ARHM la somme de 102 347 euros.





Procédure devant la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La fondation Association du Rhône pour l'hygiène mentale (ARHM) a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la société Enedis à lui verser la somme de 314 517,57 euros en réparation du préjudice que lui a causé l'implantation d'un support de ligne à haute tension sur une parcelle lui appartenant sur le territoire de la commune de Dardilly.

Par un jugement n° 2105704 du 17 janvier 2023, le tribunal administratif de Lyon a condamné la société Enedis à verser à la fondation ARHM la somme de 102 347 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 mars 2023, ensemble un mémoire complémentaire enregistré le 7 mai 2024, la SA Enedis, représentée par la SELARL Khôra avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2105704 du 17 janvier 2023 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de rejeter les conclusions de la fondation ARHM ;

3°) de mettre à la charge de la fondation ARHM une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Enedis soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le juge administratif n'est pas compétent pour connaitre d'un litige portant sur l'indemnisation de dommages non accidentels liés à une servitude conventionnelle d'implantation et de passage d'installations de transport d'énergie électrique ;

- subsidiairement, seul le juge judiciaire est compétent pour se prononcer sur l'existence et la validité d'une servitude conventionnelle et une question préjudicielle aurait dû lui être posée ;

- infiniment subsidiairement, les préjudices allégués ne sont pas établis ;

- au surplus, la fondation ARHM a commis une faute de négligence en modifiant l'emprise de son projet sans l'avertir et sans tenir compte des ouvrages électriques implantés avec son accord ;

- le déplacement des ouvrages n'était pas possible, compte tenu de leur nature et de leur utilité pour le réseau, sans atteinte excessive à l'intérêt général ;

- sa responsabilité ne peut être engagée sur le fondement des dommages permanents de travaux publics, compte tenu de l'antériorité des ouvrages et de la faute de la victime ;

- la fondation n'est pas recevable à majorer en appel le montant de l'indemnisation sollicitée, ni à faire valoir un nouveau chef de préjudice.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 avril 2024, la fondation ARHM, représentée par la SELARL Guimet Avocats, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre incident, de porter la somme que la société Enedis a été condamnée à lui verser à hauteur de 361 018,07 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 19 juillet 2021 et capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de la société Enedis une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La fondation ARHM soutient que :

- la juridiction administrative est compétente pour connaitre du litige qui porte sur l'indemnisation des préjudices liés à l'implantation irrégulière d'un ouvrage ;

- elle est fondée à réclamer une indemnisation en raison de l'implantation irrégulière de l'ouvrage ;

- en tout état de cause, sur le fondement des articles L. 323-6 et D. 323-16 du code de l'énergie, la société Enedis était tenue d'enlever les ouvrages ;

- le retard mis à enlever le troisième poteau est anormal ;

- elle a subi un préjudice de jouissance, un surcoût dans la réalisation de son projet, une gêne dans son activité, un surcoût durant la période de pandémie Covid-19, une perte d'exploitation, une perte de chance de développer une activité supplémentaire de stockage, une perte de valeur patrimoniale et un préjudice moral.

Par ordonnance du 7 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 8 avril 2024 à 16h30. Par ordonnance du 9 avril 2024, la clôture d'instruction a été reportée au 10 mai 2024 à 16h30. Par ordonnance du 13 mai 2024, la clôture d'instruction a été reportée au 13 juin 2024 à 16h30.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'énergie ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- les observations de Me Guillot, représentant la société Enedis,

- et les observations de Me Quiviger, représentant la fondation ARHM.

Considérant ce qui suit :

1. La fondation Association du Rhône pour l'hygiène mentale (ARHM) est propriétaire des parcelles cadastrées BC 31, 32, 33, 34 et 51 sur le territoire de la commune de Dardilly. Afin de réaliser un projet de bâtiment, la fondation a demandé et obtenu d'Enedis en 2014 le déplacement d'ouvrages de transport d'énergie électrique. En 2018, elle a demandé un nouveau déplacement, portant sur trois poteaux supportant une ligne aérienne, compte tenu d'une modification de son projet. Deux de ces poteaux ont été déplacés en juillet 2019. Le troisième poteau a été désactivé et n'a été enlevé qu'en 2021. La fondation a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la société Enedis à l'indemniser des dommages résultant de la présence de ce dernier poteau. Par le jugement attaqué du 17 janvier 2023, le tribunal a condamné la société Enedis à verser à la fondation ARHM la somme de 102 347 euros.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 323-7 du code de l'énergie : " Lorsque l'institution des servitudes prévues à l'article L. 323-4 entraîne un préjudice direct, matériel et certain, elle ouvre droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit. / L'indemnité qui peut être due à raison des servitudes est fixée, à défaut d'accord amiable, par le juge judiciaire ". Si les conséquences des dommages purement accidentels causés par les travaux de construction, de réparation ou d'entretien des ouvrages relèvent de la compétence des juridictions administratives, en revanche, les juridictions judiciaires sont seules compétentes pour connaître des dommages qui sont les conséquences certaines, directes et immédiates des servitudes instituées au profit des concessionnaires de distribution d'énergie, tels que la dépréciation de l'immeuble, les troubles de jouissance et d'exploitation, la gêne occasionnée par le passage des préposés à la surveillance et à l'entretien. Se rattache à cette dernière catégorie de dommages ceux liés au retard mis à mettre fin à une servitude d'implantation d'un ouvrage dans le cadre du déplacement d'une ligne électrique.

3. Ainsi que le fait valoir la société Enedis et que l'admet la fondation ARHM, par document intitulé " fiche d'identité propriétaire " du 17 mars 2014, que complète une convention de servitudes du même jour, la fondation ARHM a accepté l'implantation sur ses parcelles alors cadastrées BC 31, 32 et 35 de câbles aériens sur une longueur de 90 mètres, ce qui inclut nécessairement la pose des pylônes nécessaires. Le plan d'exécution accompagnant ces actes précise d'ailleurs les portions de lignes aériennes et de lignes souterraines qui seront posées, ainsi que l'implantation des trois poteaux afférents à la ligne aérienne, dont le poteau n° 4 litigieux, qui ne peut ainsi être regardé comme ayant été implanté irrégulièrement Il est constant que, conformément à ce plan, les poteaux sont implantés sur les parcelles cadastrées BC 31 et 32. La seule circonstance que la convention de servitude qui a été conclue ne fixe pas explicitement l'indemnisation attachée à l'implantation d'ouvrages liés à une ligne aérienne est sans incidence sur l'existence de la servitude consentie en elle-même.

4. Le présent litige porte sur l'indemnisation des préjudices résultant du maintien du poteau identifié sous le n° 4, après que la société Enedis ait accepté et réalisé le déplacement de la ligne, c'est-à-dire sur la prolongation dans le temps des effets de la servitude d'implantation de ce poteau. Il relève, dès lors, du seul juge judiciaire.

5. Il résulte de ce qui précède que la société Enedis est fondée à soutenir, d'une part, que le jugement attaqué, par lequel le tribunal a statué sur des conclusions relevant du seul juge judiciaire, doit en conséquence être annulé comme irrégulier et, d'autre part, que les conclusions indemnitaires de la fondation ARHM doivent être, par la voie de l'évocation, rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre.

Sur les frais de l'instance :

6. La société Enedis n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions formées à son encontre par la fondation ARHM sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société Enedis sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2105704 du 17 janvier 2023 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : Les conclusions indemnitaires de la fondation Association du Rhône pour l'hygiène mentale sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre.

Article 3 : Le surplus des conclusions de première instance et d'appel des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Enedis et à la fondation Association du Rhône pour l'hygiène mentale.

Délibéré après l'audience du 1er juillet 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juillet 2024.

Le rapporteur,

H. Stillmunkes

Le président,

F. Pourny

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY00989


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00989
Date de la décision : 15/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

17-03-01-02-01 Compétence. - Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. - Compétence déterminée par des textes spéciaux. - Attributions légales de compétence au profit des juridictions judiciaires. - Compétence des juridictions judiciaires en matière de responsabilité des personnes publiques.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Henri STILLMUNKES
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SELARL KHÔRA AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-15;23ly00989 ?
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