Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand, par deux requêtes distinctes, d'annuler l'arrêté du 27 février 2020 par lequel le maire de la commune d'Yzeure lui a infligé un blâme, et l'arrêté du 18 septembre 2020 par lequel cette même autorité l'a sanctionné de trois mois d'exclusion temporaire de fonctions.
Par un jugement nos 2001000 et 2001852 du 20 octobre 2022, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 20 décembre 2022 et des mémoires enregistrés le 6 mars 2024 et le 12 avril 2024, M. A..., représenté par la SCP d'avocats Lardans Tachon Micallef, agissant par Me Tachon, demande à la cour :
1°) de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction pénale sur sa plainte pour harcèlement moral ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 20 octobre 2022 ;
3°) d'annuler les arrêtés des 27 février et 18 septembre 2020 ;
4°) de mettre à la charge de commune d'Yzeure une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il a saisi la juridiction pénale d'une plainte dont l'issue aura nécessairement une incidence sur le jugement de l'affaire dont la cour est saisie ;
- dès lors qu'il avait désinstallé le profil administrateur qu'il avait créé après qu'il en a reçu l'ordre par un courrier du 30 octobre 2019 ayant le caractère d'une sanction, le maire avait épuisé son pouvoir de sanction ;
- en fondant l'arrêté lui infligeant un blâme sur le motif tiré de ce qu'il aurait activé des alertes de menaces, le maire s'est fondé sur des faits matériellement inexacts ;
- la création d'un profil administrateur non autorisé a eu lieu dans le cadre d'un contexte de harcèlement moral de la part des membres du service informatique, afin de mieux faire face à ses tâches ; la décision de la sanction est dès lors entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- les sanctions qui lui ont été infligées sont intervenues dans un contexte de harcèlement moral et de discrimination à raison de ses origines ;
- l'emprunt de matériel qui lui est reproché résulte d'une pratique établie et acceptée par la commune, qui n'a pas sanctionné les autres agents s'y étant livrés ;
- l'exclusion temporaire de fonctions a un caractère excessif.
Par des mémoires en défense enregistrés le 4 juillet 2023 et le 25 mars 2024, la commune d'Yzeure, représentée par la SELARL DMMJB Avocats, agissant par Me Juilles, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de M. A... la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- un sursis à statuer n'est pas justifié ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 12 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 3 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
- et les observations de Me Tachon, représentant M. A..., et celles de Me Lambert, représentant la commune d'Yzeure ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., recruté en janvier 2002 par la commune d'Yzeure en qualité d'agent contractuel, y a poursuivi sa carrière à compter de janvier 2004 en qualité de fonctionnaire stagiaire, puis titulaire. Technicien territorial principal de 2ème classe depuis le 1er octobre 2017, il a été affecté aux fonctions d'adjoint au responsable du service informatique de la commune, puis à compter du 1er avril 2019, à celles de responsable du service de la voie publique. Par un arrêté du 27 février 2020, le maire de la commune lui a infligé un blâme. Puis, par un arrêté du 18 septembre 2020, il lui a infligé la sanction disciplinaire de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois. M. A... relève appel du jugement du 20 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur les conclusions tendant au sursis à statuer :
2. M. A..., qui a notamment déposé plainte pour harcèlement moral auprès de la doyenne des juges d'instruction du tribunal judiciaire de Moulins le 25 janvier 2022, demande à la cour de surseoir à statuer sur sa requête, jusqu'à ce que la juridiction pénale d'instruction ou de jugement se soit prononcée sur cette plainte. Toutefois, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au juge administratif de surseoir à statuer dans l'attente de la fin de l'instruction pénale ou d'une décision du juge pénal sur le fond. En outre, compte tenu des pièces figurant au dossier, un tel sursis à statuer n'apparaît pas utile à l'instruction.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 visée ci-dessus, portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable, aujourd'hui repris à l'article L. 530-1 du code général de la fonction publique : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Aux termes de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984 visée ci-dessus, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, alors applicable, repris à l'article L. 533-1 du même code : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : Premier groupe : l'avertissement ; le blâme ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours ; (...) Troisième groupe : la rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à un échelon correspondant à un indice égal ou immédiatement inférieur à celui détenu par l'agent ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans ; (...) ".
4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire sont établis, s'ils constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
En ce qui concerne la sanction de blâme :
5. Aux termes de la section G de la charte informatique de la commune, intitulée " Préservation de l'intégrité du système d'information " : " L'utilisateur s'engage à ne pas apporter volontairement des perturbations au bon fonctionnement des systèmes informatiques et des réseaux que ce soit par des manipulations anormales du matériel, par l'utilisation de clés USB personnelles, ou par l'introduction de logiciels parasites connus sous le nom générique de virus, chevaux de Troie, bombes logiques, etc... / Tout travail risquant de conduire à la violation de la règle définie dans le paragraphe précédent, ne pourra être accompli qu'avec l'autorisation du responsable du système d'information de la collectivité et dans le strict respect des règles qui auront alors été définies ". Aux termes de la section L de la même charte : " (...) les utilisateurs ne respectant pas les règles et les obligations définies dans la charte sont passibles d'une procédure disciplinaire inhérente à leur statut. (...) ". Il ressort des pièces du dossier que M. A..., ancien adjoint au responsable du service informatique de la commune d'Yzeure, a attesté le 7 novembre 2017 avoir pris connaissance de cette charte, et s'est engagé à la respecter.
6. En premier lieu, M. A... a reconnu avoir créé sur son poste informatique de travail, une session administrateur, sans y être autorisé. Compte tenu des fonctions qu'il avait précédemment occupées, M. A... ne pouvait ignorer que la création d'une telle session relevait d'une manipulation anormale du matériel qui lui était confié, susceptible de perturber le bon fonctionnement des systèmes informatiques et des réseaux. La circonstance qu'ayant reçu du maire, par une lettre du 30 octobre 2019, l'ordre de supprimer cette session, il s'y est conformé, n'ôte pas à ces faits leur caractère fautif. Par ailleurs, cette lettre du 30 octobre 2019 se présentant comme un rappel au règlement, lequel ne constitue pas une sanction disciplinaire, elle n'interdisait pas qu'une sanction disciplinaire soit prononcée pour ces mêmes faits, ainsi qu'elle l'envisageait d'ailleurs en cas de constatation d'autres manquements. Par suite, les moyens tirés de l'erreur dans la qualification juridique des faits et de la méconnaissance du principe " non bis in idem " doivent être écartés.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le logiciel anti-virus de la collectivité a déclenché à de multiples reprises des alertes concernant des menaces, dont M. A... ne conteste pas qu'elles concernaient son poste de travail, de telles alertes étant notamment survenues le 19 décembre 2019 à deux reprises, et le lendemain. Si le requérant, pour contester sa responsabilité dans ces alertes, fait valoir que celles-ci peuvent se déclencher de manière intempestive en cas de navigation sur un site internet non sécurisé, ou lors du démarrage d'un logiciel utilisé par la commune, il ressort des courriels d'alerte générés par le logiciel anti-virus que celui-ci a signalé la présence de fichiers exécutables prohibés par la charte informatique, constituant dans un cas un cheval de Troie (" Trojan ") et dans les deux autres cas un logiciel malveillant (" Malware ") enregistrés sous des répertoires intitulés " sauvegarde perso " de l'ordinateur du requérant. Il est ainsi établi que M. A... a, en méconnaissance des stipulations de la charte informatique rappelées au point 5, enregistré ces fichiers sur son ordinateur. Par suite, en estimant qu'il avait manqué à son obligation d'obéissance hiérarchique, le maire de la commune d'Yzeure n'a pas commis d'erreur de fait ni d'erreur d'appréciation.
8. En troisième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires visée ci-dessus, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 131-1 du code général de la fonction publique : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race ". Aux termes de l'article 6 quinquies de la même loi, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 133-2 du code précité : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime de discrimination ou d'agissements constitutifs de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à toute discrimination et à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la discrimination ou les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
9. En l'espèce, M. A... soutient que lorsqu'il occupait le poste d'adjoint au responsable du service informatique, il aurait été mis à l'écart par ce responsable et aurait découvert que l'un de ses collègues tenait sur les réseaux sociaux des propos racistes et haineux par lesquels il s'est senti menacé, et aurait surpris des conversations au cours desquelles ce collègue et le responsable du service partageaient des opinions de même nature. Toutefois, le requérant n'apporte aucun élément susceptible d'établir la réalité de sa mise à l'écart, ni le signalement des propos racistes qu'il dénonce, ni enfin qu'il aurait mis en avant cette situation lorsqu'il s'est porté candidat au poste de responsable du service de la voie publique. Il n'est pas non plus établi que l'un des agents du service informatique de la commune d'Yzeure aurait été l'auteur des publications racistes et haineuses versées aux débats. Par ailleurs, si le requérant se plaint que certains de ses effets personnels, et notamment des photographies et des dessins de ses enfants, ont été adressés en son absence à son nouveau directeur, il n'est pas allégué que cette démarche aurait abouti à la divulgation d'informations confidentielles. Ensuite, si le requérant soutient que ses anciens collègues auraient imposé des restrictions excessives sur son poste informatique, sur lequel ils exerceraient une surveillance anormale, il ne l'établit par aucune pièce, alors que par un courrier du 5 décembre 2019, l'adjoint au maire chargé de l'administration générale et du personnel a expliqué les connexions à distance sur ce poste à la suite des anomalies relevées. M. A... ayant admis avoir créé sans autorisation une session administrateur sur son poste, et la commune justifiant d'alertes de sécurité générées par son logiciel anti-virus, de sécurité, le requérant ne conteste pas sérieusement la nécessité des contrôles auquel son poste a été soumis conformément aux dispositions de la charte informatique de la commune, lesquels ne dépassent pas l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. En outre, le requérant ne produit aucune pièce à l'appui de ses allégations selon lesquelles ses demandes au service informatique étaient traitées dans un temps anormalement long, qui l'aurait contraint de passer outre les règles de sécurité en créant un profil administrateur. Ainsi, en l'absence de tout élément propre à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ou d'une discrimination à raison de ses origines, le moyen tiré de ce que le blâme qui lui a été infligé interviendrait dans un tel contexte doit être écarté.
10. En quatrième et dernier lieu, à supposer que le requérant ait entendu contester également la sévérité de la sanction disciplinaire qui lui a été infligée, celle-ci, qui relève du premier groupe, ne présente pas un caractère disproportionné.
En ce qui concerne la sanction d'exclusion temporaire de fonctions :
11. En vertu des articles 6 et 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 dont les dispositions ont été rappelées au point 9, les fonctionnaires ne peuvent être sanctionnés lorsqu'ils sont amenés à dénoncer des faits de discrimination ou de harcèlement moral dont ils sont victimes ou témoins. Toutefois, l'exercice du droit à dénonciation de ces faits doit être concilié avec le respect de leurs obligations déontologiques, notamment l'obligation de réserve à laquelle ils sont tenus et qui leur impose de faire preuve de mesure dans leur expression.
12. En premier lieu, pour infliger à M. A... la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de trois mois, le maire de la commune d'Yzeure s'est tout d'abord fondé sur la circonstance que l'intéressé avait diffusé à l'aide de sa messagerie professionnelle un message contestant le blâme dont il avait fait l'objet auprès des trente-trois élus municipaux, et mettant en doute la probité de personnes qu'il a nommément désignées. Alors qu'ainsi que cela a été exposé ci-dessus, l'existence d'un traitement discriminatoire et d'une situation de harcèlement moral n'est pas établie, le maire n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que le requérant avait ainsi manqué à son devoir de réserve.
13. En deuxième lieu, il n'est pas contesté que M. A... a emprunté sans autorisation et à des fins personnelles du matériel appartenant à la collectivité et sollicité l'un de ses subordonnés, pour procéder à l'enlèvement de gravats à son domicile et déposer ceux-ci sur un site municipal. Le requérant ne saurait utilement faire valoir que la précédente municipalité aurait toléré l'enlèvement de matériaux par les services techniques auprès tant des agents que d'autres particuliers, et il n'établit pas que d'autres agents auraient bénéficié plus récemment de similaires utilisations des moyens de la collectivité, sans être sanctionnés. Le maire n'a dès lors commis aucune erreur d'appréciation en estimant que le requérant avait manqué à son obligation d'exemplarité.
14. En troisième et dernier lieu, compte tenu de la nature et de la gravité des faits, et de ce qu'un blâme avait précédemment été infligé à M. A..., la sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de trois mois ne présente pas un caractère disproportionné.
15. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté ses demandes.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d'Yzeure, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. A.... Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier la somme que la commune d'Yzeure demande en application de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune d'Yzeure sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la commune d'Yzeure.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Emilie Felmy, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
M. Joël Arnould, premier conseiller,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2024.
Le rapporteur,
Joël ArnouldLa présidente,
Emilie Felmy
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne à la préfète de l'Allier en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY03707