Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Par un déféré enregistré le 16 janvier 2024, la préfète de l'Ain a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision tacite née le 3 novembre 2021 par laquelle le maire de la commune de Serrières-sur-Ain a délivré un permis d'aménager à la SARL Les Epis du Moulin.
Par une ordonnance n° 2400432 du 31 janvier 2024, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 18 mars 2024, la préfète de l'Ain demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lyon du 31 janvier 2024 ;
2°) d'annuler le permis d'aménager tacite du 3 novembre 2021 et la décision du maire de la commune de Serrières-sur-Ain du 13 octobre 2023 dénommée " attestation complémentaire au certificat de permis tacite " ;
3°) de rejeter le surplus des conclusions présentées par les autres parties en première instance.
Elle soutient que :
- que sa requête d'appel est recevable ;
- l'ordonnance contestée est entachée d'irrégularité en ce que sa demande de 1ère instance n'était pas tardive, la demande d'avis adressée aux services de la direction départementale des territoires sur le fondement de l'article L. 422-5 du code de l'urbanisme ne pouvant, alors même qu'elle était accompagnée de l'entier dossier, être regardée comme une transmission de ce dernier au contrôle de légalité ;
- le maire était en situation de compétence liée compte tenu de l'avis défavorable émis par les services de l'Etat au titre de l'article L. 422-5 du code de l'urbanisme et il devait, dès lors, refuser le permis d'aménager sollicité ;
- les dispositions des articles L.122-5 et L.122-5-1 du code de l'urbanisme sont méconnues, le projet ne pouvant être regardé comme remplissant la condition de continuité avec l'urbanisation ;
- subsidiairement, les dispositions de l'article L. 122-25 du code de l'urbanisme sont méconnues, la création d'une unité touristique nouvelle locale étant interdite dans les communes qui ne sont pas couvertes par un document d'urbanisme.
Par un mémoire enregistré le 21 mai 2024, la SARL Les Epis du Moulin et la commune de Serrières-sur-Ain, représentées par Me Bardet, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le tribunal a jugé à bon droit que le déféré est tardif ;
- le délai de retrait de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme est expiré ;
- les moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 122-5, L.122-5-1 et L. 122-25 du code de l'urbanisme, présentés pour la première fois en appel, ne sont, par suite, pas recevables, et les conclusions d'appel ne pouvaient être utilement dirigées qu'à l'encontre du dispositif de l'ordonnance contestée.
Par une ordonnance du 13 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 juin 2024.
Par un mémoire, enregistré le 17 juin 2024, la préfète de l'Ain conclut à l'annulation de l'ordonnance du tribunal administratif et au non-lieu sur les conclusions dirigées contre le permis d'aménager.
Il soutient que le permis d'aménager en litige a été retiré à la demande du bénéficiaire.
Par un courrier du 7 juin 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fin d'annulation dirigées contre la décision du maire de Serrières-sur-Ain du 13 octobre 2023 dénommée "attestation complémentaire au certificat de permis tacite", ces conclusions étant nouvelles en appel.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mehl-Schouder, présidente,
- les conclusions de Mme Mauclair, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Les Epis du Moulin a déposé une demande de permis d'aménager auprès des services de la commune de Serrières-sur-Ain et a obtenu le 3 novembre 2021, à défaut de réponse expresse, un permis d'aménager tacite. Le maire lui a délivré le 19 septembre 2023 un certificat de permis tacite, qu'il a complété le 13 octobre 2023. La préfète de l'Ain a demandé l'annulation de ce permis d'aménager tacite devant le tribunal administratif de Lyon, et son déféré a été rejeté comme tardif, et, par suite, irrecevable, par une ordonnance du président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lyon du 31 janvier 2024, prise sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. La préfète de l'Ain relève appel de cette ordonnance.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 13 octobre 2023 ;
2. La préfète de l'Ain demande l'annulation de la décision du maire de Serrières-sur-Ain du 13 octobre 2023 dénommée " attestation complémentaire au certificat de permis tacite ". Ces conclusions sont toutefois nouvelles en appel, et ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'annulation du permis d'aménager tacite :
3. En premier lieu, si la société bénéficiaire et la commune évoquent le délai de retrait des autorisations tacites fixé à l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme, ce dernier est, en tout état de cause, indépendant du délai dans lequel le représentant de l'Etat peut déférer un acte.
4. En second lieu, le premier alinéa de l'article R. 424-1 du code de l'urbanisme prévoit que, à défaut d'une décision expresse dans le délai d'instruction, le silence gardé par l'autorité compétente vaut permis d'aménager et l'article L. 424-8 de ce code dispose qu'un tel permis tacite est exécutoire à compter de la date à laquelle il est acquis. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 423-7 du même code : " Lorsque l'autorité compétente pour délivrer le permis ou pour se prononcer sur un projet faisant l'objet d'une déclaration préalable est le maire au nom de la commune, celui-ci transmet un exemplaire de la demande ou de la déclaration préalable au préfet dans la semaine qui suit le dépôt. ". Aux termes de l'article R. 423-38 du même code : " Lorsque le dossier ne comprend pas les pièces exigées (...), l'autorité compétente, dans le délai d'un mois à compter de la réception ou du dépôt du dossier en mairie, adresse au demandeur (...) une lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...) indiquant, de façon exhaustive les pièces manquantes ". En vertu du c) de l'article R. 423-23 du code de l'urbanisme, le délai d'instruction de droit commun est de trois mois pour les demandes de permis d'aménager.
5. S'il résulte des dispositions de l'article L. 424-8 du code de l'urbanisme rappelées ci- dessus qu'un permis tacite est exécutoire dès qu'il est acquis, sans qu'il y ait lieu de rechercher s'il a été transmis au représentant de l'Etat, les dispositions de cet article ne dérogent pas à celles de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, en vertu desquelles le préfet défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. Figurent au nombre de ces actes les permis d'aménager tacites. Une commune doit être réputée avoir satisfait à l'obligation de transmission, dans le cas d'un permis d'aménager tacite, si elle a transmis au préfet l'entier dossier de demande, en application de l'article R. 423-7 du code de l'urbanisme. Le délai du déféré court alors à compter de la date à laquelle le permis est acquis ou, dans l'hypothèse où la commune ne satisfait à l'obligation de transmission que postérieurement à cette date, à compter de la date de cette transmission. Lorsque, en application de l'article R. 423-38 du même code, la commune invite le pétitionnaire à compléter son dossier de demande, la transmission au préfet de l'entier dossier implique que la commune lui transmette les pièces complémentaires éventuellement reçues en réponse à cette invitation.
6. En l'espèce, la SARL Les Epis du Moulin a déposé le 3 août 2021 à la mairie de Serrières-sur-Ain sa demande de permis d'aménager et, en application du premier alinéa de l'article R. 424-1 du code de l'urbanisme, le silence gardé pendant le délai d'instruction de trois mois sur cette demande a fait naître le 3 novembre 2021 un permis d'aménager tacite à son profit. Il ne ressort pas des pièces que la commune aurait transmis au préfet l'entier dossier de demande au cours de la procédure d'instruction de ce permis. Si ce dossier a été adressé le 5 août 2021 à la direction départementale des territoires de l'Ain dans le cadre de cette instruction, pour leur demander d'émettre l'avis requis par les dispositions de l'article L. 422-5 du code de l'urbanisme, cette communication ne constitue pas, en l'absence de toute demande expressément formulée en ce sens par la commune, une transmission faite aux services de l'Etat en application des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, ni une transmission au préfet au titre de l'obligation posée par l'article R. 423-7 du code de l'urbanisme. Elle n'était donc pas de nature à faire courir le délai du déféré préfectoral. Le courriel du 12 octobre 2023 des services de la préfecture confirmant l'existence d'un permis tacite ne saurait pas davantage établir la réalité d'une transmission complète du dossier de permis au contrôle de légalité, seule de nature à faire courir le délai du déféré. Il est constant que les services de la préfecture n'ont reçu le dossier de permis d'aménager que le 20 novembre 2023, avec le document " attestation complémentaire au certificat de permis tacite ". Le déféré de la préfète de l'Ain, enregistré le 16 janvier 2024, a, par suite, été introduit dans le délai de deux mois courant à compter de cette transmission. La préfète de l'Ain est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande pour tardiveté. Il résulte de ce qui précède que l'ordonnance du 31 janvier 2024 doit être annulée.
7. Il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement sur les conclusions, par voie d'évocation.
8. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 14 juin 2024 pris à la demande de la société bénéficiaire, le maire de la commune de Serrières-sur-Ain a retiré le permis d'aménager en litige. Les conclusions de la préfète de l'Ain tendant à l'annulation de ce permis sont, dès lors, privées d'objet.
Sur les frais du litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demandent la commune de Serrières-sur-Ain et la SARL Les Epis du Moulin au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2400432 du 31 janvier 2024 du président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lyon est annulée.
Article 2 : Il n'y a plus lieu de se prononcer sur les conclusions de la préfète de l'Ain tendant à l'annulation du permis d'aménager.
Article 3 : Les conclusions de la préfète de l'Ain tendant à l'annulation de la décision du 13 octobre 2023 sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Serrières-sur-Ain et la SARL Les Epis du Moulin tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la préfète de l'Ain, à la commune de Serrières-sur-Ain et à la SARL Les Epis du Moulin.
Délibéré après l'audience du 2 juillet 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,
Mme Christine Psilakis, première conseillère,
Mme Claire Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2024.
La présidente-rapporteure,
M. Mehl-Schouder L'assesseure la plus ancienne,
C. Psilakis
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 24LY00738 2