Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société à responsabilité limitée (SARL) Fervie One a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 6 mai 2019 par laquelle le maire de la commune nouvelle d'Annecy a exercé son droit de préemption urbain sur la parcelle cadastrée section ... et située sur le territoire de la commune d'Annecy.
Par un jugement n°1904367 du 10 octobre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 6 mai 2019 par laquelle le maire de la commune nouvelle d'Annecy a exercé son droit de préemption urbain sur la parcelle cadastrée section ... et située sur le territoire de la commune d'Annecy.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 9 décembre 2022 et un mémoire complémentaire enregistré le 4 juin 2024 (non communiqué), la commune nouvelle d'Annecy, représentée par la Selarl CDMF-Avocats Affaires Publiques, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 octobre 2022 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de rejeter la demande de la société Fervie One devant le tribunal administratif de Grenoble ;
3°) de mettre à la charge de la société Fervie One une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête d'appel répond aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative et est, par suite, recevable ;
- la décision de préemption en litige est suffisamment motivée ;
- elle poursuit un projet précis, la décision en litige étant avant tout justifiée par l'emplacement stratégique de la parcelle en cause et son projet portant sur la nécessité de structurer l'armature urbaine, de construire de nouveaux logements dans le cœur de ville d'Annecy et de limiter l'étalement urbain, en prenant en considération les orientations n° 1 et 2 du programme local de l'habitat.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 novembre 2023, la Société Fervie One, représentée par la Selarl Reflex Droit Public, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune nouvelle d'Annecy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable en ce qu'elle est manifestement dépourvue de nouveaux éléments par rapport à l'argumentation développée en première instance et qu'elle ne critique pas le jugement attaqué ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 2 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 3 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, première conseillère,
- les conclusions de Mme Mauclair, rapporteure publique,
- et les observations de Me Métier substituant Me Fiat représentant la commune nouvelle d'Annecy et de Me Brard pour la société Fervie One.
Considérant ce qui suit :
1. La commune nouvelle d'Annecy relève appel du jugement du 10 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé, à la demande de la société Fervie One, acquéreur évincé, la décision du 6 mai 2019 par laquelle le maire de la commune a décidé d'acquérir par voie de préemption le tènement foncier situé au ... à Annecy, sur une parcelle cadastrée section ....
2. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans le cadre d'une zone d'aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone. / Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat, la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération. Il en est de même lorsque la commune a délibéré pour délimiter des périmètres déterminés dans lesquels elle décide d'intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine. ". Aux termes de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. / (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. Lorsque la loi autorise la motivation par référence à un programme local de l'habitat (PLH), les exigences résultant de l'article L. 210-1 doivent être regardées comme remplies lorsque la décision de préemption se réfère à une délibération fixant le contenu ou les modalités de mise en œuvre de ce programme et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption. A cette fin, la collectivité peut soit indiquer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement du programme local de l'habitat à laquelle la décision de préemption participe, soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe.
4. La décision en litige, qui vise notamment la révision n° 5 du plan local d'urbanisme de la commune historique d'Annecy approuvée le 12 décembre 2016 et la délibération du conseil de communauté du Grand Annecy du 28 mars 2019 portant arrêt du projet de programme local de l'habitat du Grand Annecy, puis la déclaration d'intention d'aliéner du 18 février 2019, la visite des lieux et l'avis de la direction de l'immobilier de l'Etat, précise que le tènement foncier figurant au cadastre à la section DW sous le n° 38 occupe une place stratégique en cœur de ville en continuité directe avec des opérations récentes et structurantes du secteur. Cette décision renvoie au PLH du Grand Annecy dont le projet a été arrêté par délibération du conseil de communauté du 28 mars 2019, et à l'un des trois enjeux du PLH portant sur le souhait de maîtriser et structurer le développement de l'offre de logements en cohérence avec le projet d'aménagement du territoire et l'armature urbaine en privilégiant l'implantation des nouveaux logements à proximité des lieux d'emploi, des services et des infrastructures de transports. Elle indique à cet égard que l'un des objectifs de l'orientation 1 tend à " Organiser le développement par la production maîtrisée de logements " et vise à renforcer la politique foncière permettant de limiter l'étalement urbain, et elle évoque également l'orientation n° 2 visant à favoriser le développement solidaire de l'agglomération qui se décline en plusieurs mesures, tendant à optimiser, d'une part, les conditions de réalisation d'une offre en logements abordables, et à poursuivre, d'autre part, la production de logements sociaux. Cependant, le simple rappel global et indifférencié dans la décision de préemption des choix et enjeux du PLH en cours d'approbation et de la situation stratégique de ce terrain, à quelques centaines de mètres du lac et à moins de trois cent mètres de la gare ferroviaire et dans un secteur soumis à une très forte pression immobilière et à de forts enjeux économiques, ne permet pas de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption au sens des dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme.
5. Par ailleurs, la commune ne fait pas état en première instance ou en appel de l'existence d'un projet pour réaliser l'objectif précité, en méconnaissance des dispositions précitées.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la société Fervie One, que la commune nouvelle d'Annecy n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision de préemption du 6 mai 2019. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune nouvelle d'Annecy la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Fervie One dans l'instance et non compris dans les dépens en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune nouvelle d'Annecy est rejetée.
Article 2 : La commune nouvelle d'Annecy versera à la société Fervie One la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune nouvelle d'Annecy et à la société Fervie One. Copie en sera adressée à la société TRE MDB III.
Délibéré après l'audience du 2 juillet 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente,
Mme Christine Psilakis, première conseillère,
Mme Claire Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2024.
La rapporteure,
C. Burnichon
La présidente,
M. A...La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 22LY03598 2